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Les femmes ont du mal à se dire qu'elles peuvent poser leurs fesses sur le canapé sans rien faire

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Elles sont encore trop souvent les seules à ramasser les chaussettes sales, à faire le ménage et à s'occuper des enfants… Dans son livre Libérées, la journaliste Titiou Lecoq exhorte les femmes à se libérer des tâches ménagères, en les partageant. Sur RMC.fr, elle explique en quoi le combat féministe doit aussi se gagner dans la sphère privée "et devant le panier de linge sale".

Titiou Lecoq est journaliste. Elle est l'auteure de Libérées (aux éditions Eyrolles).

"Il y a toujours des inégalités sur la répartition des tâches ménagères (les femmes consacrent environ 3h30 à ces tâches, soit 1h20 de plus que les hommes). En 25 ans, les hommes ont augmenté de 5 minutes leur temps consacré aux tâches ménagères. J'ai été surprise de voir que ces chiffres n'avaient pas bougé. Si les femmes consacrent moins de temps qu'avant à ces tâches, c'est uniquement du fait de la disparition de certaines pratiques comme la couture, ou le fait que l'on passe moins de temps en cuisine.

On fait moins attention à la vie quotidienne, qui est liée à la vie de couple. Et on n'a pas forcément envie de déclencher une engueulade pour une histoire d'aspirateur. Souvent, la femme va s'occuper du rangement par exemple parce qu'elle est plus dérangée par le bordel que l'homme. Mais la vie à deux, c'est élaborer un univers domestique commun, c'est vivre ensemble. Dans l'idéal, il faudrait négocier une norme de propreté commune aux deux conjoints. Il faut se dire: 'OK je lâche là-dessus, mais toi tu lâches sur autre chose'...

"Du mal à poser leurs fesses sur le canapé sans rien faire"

Le sujet de mon livre, c'est de dire aux femmes qu'elles doivent être dans un rapport plus égoïste à leur temps. Je ne sais pas comment on a incorporé l'idée qu'aimer les autres, c'était s'occuper d'eux et les prendre en charge. Aimer ses enfants ce n'est pas se sacrifier pour eux. C'est le discours qu'on entend: une femme qui a un enfant est censée se sacrifier et se dévouer entièrement à lui. Or, un enfant ne peut pas se sentir bien si sa maman ne va pas bien.

Les hommes français prennent 3h30 de plus de temps pour eux, que les femmes. Je parle de temps égoïste. C'est énorme! On a appris aux femmes à saturer en permanence leur temps avec des tâches. Elles ont du mal à se dire qu'elles vont poser leurs fesses sur le canapé sans rien faire. Non, elles vont ramasser un jouet qui traîne, elles vont plier le linge…

Les femmes doivent aussi se rendre compte que la maison ne va pas s'écrouler si elles arrêtent de tout faire. Il faut savoir laisser de la place à l'autre pour qu'il fasse des choses, mais il faut aussi arrêter de se mettre une pression énorme. Le problème, c'est qu'avec les réseaux sociaux et Instagram, les normes ménagères ont beaucoup augmenté ces dernières années: une belle maison doit être une maison impeccable où il n'y a pas un grain de poussière, pas un jouet qui traîne. C'est effrayant, mon salon ne ressemblera jamais à ça! Il faut se dire que ce n'est pas important, il faut profiter de la vie.

"Le quotidien est un piège pour les femmes"

Le quotidien est un piège pour les femmes. Il faut se demander pourquoi les maisons restent majoritairement des territoires féminins. Il y a un paradoxe: les femmes y sont esclaves mais en même temps, c'est leur domaine et elles y sont un peu reines. Le plus souvent elles choisissent la décoration, parfois même elles choisissent l'appartement ou la maison. C'est compliqué pour les femmes d'abandonner ce territoire qui est à peu près le seul où elles pourront avoir le sentiment d'être dominante. Car l'espace public est toujours masculin. On le voit à travers (les luttes féministes) contre le harcèlement de rue, les problèmes dans les transports collectifs

Parce que les femmes sont dans l'incapacité à l'heure actuelle de s'approprier l'espace public, elles s'approprient l'espace privé. Et puis la lutte pour l'égalité salariale paraît plus noble et plus immédiate, donc on ne pense pas aux tâches ménagères. Tout cela fait qu'il n'y a aucune avancée en matière d'égalité hommes - femmes dans la vie quotidienne et la sphère privée. Il faut rééquilibrer les sphères d'influence.

Mais au-delà des négociations au sein du couple, il y a des décisions politiques simples à mettre en place, comme l'allongement du congé paternité. Je ne comprends pas pourquoi cela n'a toujours pas été fait. Sa durée n'est que de 14 jours et seuls 40 % des papas le prennent. Il faut déculpabiliser les hommes pour qu'ils puissent le prendre sans craindre que ce soit un problème au travail. Il faut sacraliser ce principe d'égalité. C'est urgent à faire et cela peut être vite mis en place."

Propos recueillis par Philippe Gril