À quelque chose malheur est bon. Il a fallu cette épidémie providentielle de peste [bubonique et pulmonaire], c’est bien le cas de le dire, pour qu’on se décide et qu’on emploie les grands moyens pour se débarrasser des crasses séculaires dans les villes et villages [la bactérie de la peste, qui se développe chez les rats, est véhiculée par les puces].

C’est maintenant qu’on réalise qu’on est assis depuis des années sur une mine d’or…dures qu’on a oublié de déblayer ou, à défaut, d’exploiter. Et d’un coup, le gouvernement trouve des moyens importants pour faire le boulot [des mesures d’urgences ont été adoptées pour enrayer la progression de l’épidémie], alors que depuis l’indépendance de Madagascar, il y a 57 ans, aucun pouvoir n’a pensé à doter les grandes villes d’un service de voirie adapté aux besoins d’une population grandissante, gonflée par un exode rural incontrôlé et irréversible.

Les règles les plus élémentaires d’hygiène ignorées

Au fil des années, le problème s’est compliqué avec des infrastructures dépassées en quantité et en qualité, les constructions illicites qui ignorent les normes les plus élémentaires d’hygiène, une anarchie érigée en règle de vie par une population de plus en plus inculte et indisciplinée, hermétique à toute éducation et sensibilisation.

La semaine dernière, lors de l’ouverture de la réunion sur les finances locales à Antananarivo, à l’hôtel Carlton, le Premier ministre [Olivier Mahafaly Solonandrasana] trouvait encore le moyen de déclarer qu’il n’existerait pas de subventions exceptionnelles [pour le problème de la peste]. Comme si la situation ne l’exigeait pas ? Pourtant, l’OMS [Organisation mondiale de la santé] a bien débloqué illico presto 300 000 dollars [255 000 euros] pour parer au plus pressé.

En 57 ans, on n’a jamais su gérer les ordures, et on n’a pas voulu, ni pu doter les sapeurs-pompiers de moyens, mis à part avec de l’assistanat et de la mendicité. On a toujours fait dans le superficiel et dans la propreté de façade lors de grandes occasions comme le sommet de la Francophonie [26 au 27 novembre 2016] pendant lequel on avait sorti les blindés pour surveiller ceux qui jettent les emballages de chewing-gum dans la rue, ou bien les Jeux de la Francophonie en 1997 pendant lesquels on avait réussi à dégager [le quartier d’] Analakely de ses marchands sauvages.

On n’a jamais compris que l’hygiène et la propreté, c’est d’abord pour ceux qui sont condamnés à vivre jusqu’à l’éternité à Madagascar, et non pour les beaux yeux de ceux qui ont le privilège de visiter l’île la plus pauvre du monde. Pendant des années, on n’a jamais cherché comment traiter les ordures de façon rationnelle, à imaginer qu’un jour elles pourraient ensevelir toute la ville, tout le pays. Y penser, c’est faire une bonne politique, c’est gouverner.

La saison pesteuse jusqu’en mars

Il eût été injuste et miraculeux qu’un jour ou l’autre la peste ne naisse ipso facto dans son berceau naturel. Après des années de sursis, les bornes sont dépassées et les conséquences sont immédiates et dramatiques. Reste que ce ne sont pas toujours les vrais fautifs qui paient de leur vie la négligence des autres.

On ignore quand on verra le bout du tunnel dans cette tragédie moyenâgeuse. À en croire la météo du ministère de la Santé publique, la saison pesteuse courra jusqu’en mars. Il va falloir se gargariser de beaucoup d’anticorps pour pouvoir résister à cette pandémie. La bataille se complique à partir du moment où elle gagne les zones urbaines comme le craint l’OMS à juste titre.

On espère que les survivants, dirigeants comme habitants, auront retenu la leçon. On s’est trompé d’ennemi il y a quelques années en menant à fond la caisse la lutte des classes. Aujourd’hui, on se rend compte que la lutte de crasse est la révolution qu’il fallait faire. Socialiste ou capitaliste, c’est la base de la meilleure des Constitutions.