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Boris Faure, agressé par le député El Guerrab : "J'ai entrouvert les portes de la mort"
Boris Faure souhaite désormais faire refluer la violence en politique.
Capture d'écran Youtube.

Boris Faure, agressé par le député El Guerrab : "J'ai entrouvert les portes de la mort"

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Boris Faure, le responsable PS agressé fin août par le député El Guerrab à coups de casque de scooter, tente de se reconstruire. Il explique à "Marianne" vouloir entamer une réflexion sur la violence, notamment en politique.

Il y a quarante jours, Marianne vous l'avait rapporté, le député macroniste M'Jid El Guerrab envoyait le socialiste Boris Faure en soins intensifs en lui portant deux coups de casque violents au visage, en plein Paris. Depuis, les vies des deux hommes ont basculé. Si le parlementaire, viré de La République en Marche (LREM) se mure pour l'heure dans le silence et refuse de démissionner, son ex-rival tente de se reconstruire. En entamant une réflexion sur la violence qui monte dans la société, notamment. Interview.

Marianne : Comment allez-vous, quarante jours après votre hémorragie cérébrale due aux coups de casque portés par le député M’jid El Guerrab ?

Boris Faure : Je suis toujours arrêté, jusqu’à au moins début novembre, car j’ai encore des maux de tête quand je dois me concentrer, ainsi qu’une surdité partielle à l’oreille droite. Les médecins disent que cela va prendre du temps. Mais ça va quand même mieux. L’hématome cérébral s’est complètement résorbé et je commence à pouvoir sortir, à lire.

Avez-vous compris pourquoi M’Jid El Guerrab vous a agressé de cette façon ?

Mes enfants me posent la même question, me demandent : « Pourquoi il a fait ça ? ». Je n’ai pas de réponse car je ne comprend toujours pas. C’est à lui de s’expliquer, devant la justice. Ce que je peux dire, c’est qu’avec M’Jid El Guerrab, nous n’avons jamais eu de litige personnel. A une époque, nous avions même des liens de bonne camaraderie. Quand j’étais conseiller de la ministre Yamina Benguigui, il venait nous rendre visite pour donner quelques conseils, bénévolement. Notre contentieux a porté sur un affrontement purement politique aux élections législatives de juin, dans un contexte de rivalité exacerbée entre le PS et En Marche. Quand je l’ai croisé dans la rue, mon idée était donc d’enterrer la hache de guerre. J’ai d’ailleurs le souvenir de l’avoir félicité pour son élection. Deux minutes plus tard, j’étais au sol, K.O.

"Je me rappelle le voir préparer ce coup comme un boxeur prépare son crochet..."

Quels mots avez-vous échangé avant que M’Jid El Guerrab ne vous frappe ?

Le choc aidant, je ne me rappelle plus des détails de la conversation. J’ai juste dans la tête cette image de M’Jid El Guerrab qui tord son buste, arme son coup. Je me rappelle le voir préparer ce coup comme un boxeur prépare son crochet. Ce n’était pas un geste instinctif comme on chasse une mouche.

Avez-vous besoin de comprendre ce qu’il s’est passé dans sa tête, à ce moment-là ?

J’ai envie d’entendre ce qu’il a à dire à la justice, bien sûr. De l’entendre aller au-delà de ses stratégies de défense, surtout. Il a commencé par avoir des propos diffamatoires, sur des soi-disant insultes racistes. Tous les témoignages de gens qui me connaissent ont montré que c’était ridicule. Je remarque d’ailleurs qu’il a plusieurs fois changé de version, dans les médias et devant la police. Au-delà de cet aspect, je ne veux pas en rajouter, ni commenter son attitude. Je n’ai pas de désir de vengeance mais simplement de justice. En revanche, je ressens le besoin de réfléchir et de m’engager sur le thème de violence, en politique et ailleurs.

"J’ai envie de devenir un apôtre, un messager de la non-violence et de la dignité en politique."

Comment comptez-vous vous investir sur ce thème de la violence ?

Je suis un responsable politique et j’ai souvent milité, dans ma vie, contre la violence. Quand j’ai voyagé en Afrique du Sud, ou à l’Ile Maurice, où j’ai habité pendant quatre ans et où il y a des heurts entre la population d’origine indienne et la population d’origine créole, je prônais déjà ces valeurs. Je suis désormais, malheureusement, aussi, une victime, qui a rencontré la violence dans sa chair. Sans dimension christique, j’ai envie de devenir un apôtre, un messager de la non-violence et de la dignité en politique.

Votre agression vous paraît-elle symptomatique d’une montée générale de la violence en politique ?

Heureusement, la violence physique en politique reste, pour l’heure, du domaine du fait divers et pas du fait de société. En revanche, il y a une vraie montée de la violence verbale, qui peut ouvrir certaines portes. Il s’agit là d’un phénomène sociétal, attisé par les réseaux sociaux. Désormais, il est très facile d’insulter, de diffamer, en toute impunité. Les politiques sont particulièrement concernés car il y a aujourd’hui une crise de la démocratie, la parole politique est dépréciée, la réputation des politiques entamée. Sur Internet, les insultes sur le PS comme « gauchiasse » ou « socialope » sont devenues usuelles. Même les politiques s’y mettent, d’ailleurs, quand il parlent de « croc de boucher » voire de « foutre le bordel ».

Que faire, face à cette montée de la violence verbale dans la société et sur Internet ?

Promouvoir l’éthique en politique, d’abord. Dans les partis politiques, on se focalise sur la conquête du pouvoir, on est dans une logique guerrière. Il serait bon d’encourager davantage les comportements dignes et l’exercice responsable du pouvoir. Mener une réflexion sur l’anonymat, aussi. On pense souvent l’anonymat à partir des exemples des Anonymous ou de V pour Vendetta, qui luttaient de cette façon contre la violence d’Etat. Mais il y a également l’anonymat défouloir, moins glorieux. On ne doit pas pouvoir harceler impunément quelqu’un, sous prétexte qu’on est sur Facebook ou Twitter.

"Il y a un vrai bonheur d'être vivant."

Vous êtes-vous sentis diffamé de cette façon, après l’agression ?

Il y a eu, heureusement, un réflexe de compassion et d’empathie. L’immense majorité des messages que j’ai reçus ont été positifs. Mais je ne cautionne par, par exemple, les tentatives de récupération de la fachosphère qui rapprochent l’acte commis par mon agresseur et son patronyme. Cela n’a strictement aucun lien.

Si vous regrettez cette utilisation violente des réseaux sociaux, vous les utilisez vous aussi pour faire passer des messages. Vous avez récemment publié une photo de votre crâne couturé sur Facebook.

Je l’ai fait spontanément, après m’être rasé le crâne en rentrant de l’hôpital, il y a une semaine. J���ai été le premier à être saisi en voyant cette cicatrice. J'ai partagé cette photo car elle parle d’elle-même. Elle montre aux derniers sceptiques qu’il s’est vraiment passé quelque chose de grave. En même temps, elle dit « je suis vivant ».

Dans votre esprit, il y a forcément un « avant » et un « après » cette agression ?

Oui. J’ai entrouvert les portes de la mort. J’aurais pu laisser une épouse, des enfants. Cela, pour un contentieux politique. C’est totalement hallucinant, quand j’y repense. Je vais avoir besoin de réfléchir à ça, dans une démarche cathartique, probablement d'écrire. Mais il y a un vrai bonheur d’être vivant.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne