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La Catalogne met de l’eau dans son indépendance

Catalogne: vers l'indépendance?dossier
Même si Carles Puidgemont a officiellement proclamé l’indépendance, mardi soir devant le Parlement catalan, il en a «suspendu» immédiatement l’application et prôné le dialogue. Suffisant pour enrayer l’escalade avec Madrid ?
par François Musseau, Correspondant à Madrid
publié le 10 octobre 2017 à 21h36

Sous la pression de millions de regards, le chef de l’exécutif catalan, Carles Puigdemont, a réalisé un grand écart impressionnant. Et il a sans doute prononcé le seul discours possible pour éviter à la fois l’immense frustration des siens - les séparatistes à qui il a promis l’eldorado de l’indépendance - et une réponse autoritariste du pouvoir de Madrid.

Devant un Parlement catalan extrêmement tendu, sous l'œil d'un millier de journalistes accrédités, Puigdemont, curieusement souriant et décontracté compte tenu de la solennité du moment, a laissé la déclaration d'indépendance en suspens. Il n'y a pas mis fin pour autant : «La Catalogne a gagné le droit d'être un Etat indépendant», a-t-il dit. Et d'ajouter, peu après : «La Catalogne sera indépendante sous la forme d'une République». Quand ? Personne ne le sait. «Quelques semaines…» a indiqué vaguement le leader sécessionniste. Ce dernier a mardi soir cherché à gagner du temps. Face à un dilemme cornélien (je renonce au défi séparatiste que j'ai lancé, ou bien je déclare dès maintenant l'indépendance), il a appuyé sur le bouton «pause». Une variation catalane du fameux «donner du temps au temps» mitterrandien.

Médiation

Puigdemont a-t-il botté en touche ? Oui, mais pas seulement. En temporisant, il compte aussi inverser la tendance et repousser Madrid dans les cordes. Comment ? En appelant à une médiation. «Nous proposons un dialogue et une négociation nationale et internationale», afin de donner une chance à «un dialogue avec l'Etat espagnol». Carles Puigdemont s'est bien gardé de citer quel type de médiation, et de nommer de possibles interlocuteurs. Ce qui lui importe, comme à l'essentiel du camp indépendantiste, c'est d'obtenir une reconnaissance de la Catalogne en tant que sujet politique. Ces dernières semaines, de nombreux observateurs indiquaient d'ailleurs que c'était la véritable intention du défi sécessionniste. Bien conscient que le gouvernement central de Mariano Rajoy n'accepterait jamais cette partition, Puigdemont vise surtout à faire de la question catalane un conflit international, et si possible une crise européenne. Dans l'espoir que Madrid soit obligé de s'asseoir à une table.

Equilibrisme

Sans doute très préparé à l'éventualité de cette pirouette, le gouvernement conservateur de Madrid a immédiatement répondu à cette supposée main tendue : «Il est hors de question d'accepter une médiation», a précisé la numéro 2 de l'administration Rajoy, Soraya Sáenz de Santamaría, alors que les autorités catalanes ont «brisé l'ordre constitutionnel». Pour Puigdemont, le tant attendu discours est «un geste de générosité» et d'équilibrisme politique revenant à suspendre les effets de la loi d'indépendance (approuvée par le Parlement catalan les 6 et 7 septembre au milieu du tohu-bohu), sans toutefois renoncer au dessein suprême qui, a-t-il rappelé, est un «mandat du peuple catalan». Une référence à la (courte) majorité des formations séparatistes dans l'hémicycle et aux 2,3 millions de votants du référendum du 1er octobre.

Face à une avalanche d'entreprises qui déménagent leur siège social hors de Catalogne, et après l'historique manifestation dans les rues de Barcelone, ce dimanche, en faveur de l'unité de l'Espagne, le leader séparatiste a souhaité «diminuer la tension». Il y est sans doute parvenu. Mais en faisant du surplace.

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