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Au-delà du cas "Dove" : les pubs cosmétiques, symptômes d’un racisme "inconscient"
Naomi Campbell est une des seules mannequins noires connues dans le milieu de la mode.
VALERY HACHE / AFP

Au-delà du cas "Dove" : les pubs cosmétiques, symptômes d’un racisme "inconscient"

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La polémique Dove a relancé le débat autour du racisme dans les publicités beauté, montrant à quel point le sujet restait hypersensible. Non sans raison.

Si la marque de soins Dove et sa dernière publicité sont au cœur d’une polémique qui n'avait a priori pas lieu d'être, les réactions outrées ont montré à quel point la représentation des femmes noires dans les publicités restait un sujet extrêmement sensible.

Basée sur une capture d'écran partielle et biaisée, l'impression de racisme laissée par la pub Dove s'estompait dès lors qu'on pouvait voir la pub dans son intégralité. La courte vidéo de 3 secondes, montrant successivement trois femmes à la couleur de peau différente et se remplaçant les unes les autres (une brune à la peau noire, une rousse à la peau blanche et une autre brune à la peau mat), a toutefois laissé un sentiment "gênant" à Myriam Cottias, directrice de recherche sur "les esclavages" au CNRS : "Ce qui me gêne dans cette vidéo, c’est de voir une transformation de "peau" avec cette superposition de femmes, regrette-t-elle. On pourrait analyser ça comme étant le symbole de l’unicité du genre féminin."

Contexte hypersensible

Gênant sans doute aussi car Dove a déjà électrisé le débat avec sa représentation des couleurs de peau. C'était en 2011, trois femmes étaient alignées de gauche à droite sur la photo : une noire, une métisse et une blanche. La première était placée sous le panneau "Avant", craquelé, représentant une peau sèche, tandis que la dernière posait sous le panneau "Après", lisse, représentant ainsi une peau hydratée. La métisse était positionnée entre les deux tableaux. Tollé à l'époque, déjà, certains considérant que le canon de beauté de Dove était bel et bien d'avoir la peau blanche. Pour Marie-France Malonga, sociologue des médias, on tombe là dans "le manque de vigilance" de la part de la marque, dans un contexte extrêmement sensible. "Or, quand on est producteur de contenus, c’est très important de se poser les bonnes questions : quelle responsabilité a-t-on dans la société, quel impact une publicité peut-elle avoir ?, questionne-t-elle. Certains stéréotypes sont ancrés dans l’inconscient collectif et sont considérés comme naturels, donc perpétués. En réalité, les stéréotypes sont construits, et peuvent dont être déconstruits".

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"Ne montrer qu'un seul type de peau"

Un contexte hypersensible dû à un déficit de représentation, ou à des représentations stéréotypées, des femmes noires dans les pubs cosmétiques. Myriam Cottias dénonce un racisme "inconscient" dans ces publicités et note la faible présence des femmes de couleur. "La question de la beauté est assez emblématique des représentations stéréotypées, dans le sens où il y a une tendance à n’en montrer qu’un seul type", confirme Marie-France Malonga.

C’est en ce sens que la mannequin d’origine africaine Deddeh Howard avait lancé le projet "Black Mirror" en décembre 2016. Objectif : dénoncer la non-diversité dans la mode. La jeune femme avait détourné des publicités célèbres, en se faisant photographier de la même manière que les mannequins blanches choisies par les marques.

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Pourquoi la femme blanche représenterait-elle le summum de la beauté ? "C’est dû à l’héritage colonial : avant l’esclavage, le blanc n’existait pas. Mais l’Histoire a construit des catégories raciales, et avec elles des stéréotypes racistes autour de la déconsidération des personnes noires, analyse Myriam Cottias. La représentation de la beauté s’est donc développée autour de la femme blanche".

Marie Peretti-Ndiaye, docteure en sociologie, confirme : "Le racisme colonial s’est appuyé assez largement sur l’esthétique. Les couleurs permettaient de définir les groupes en présence". Elle prend pour exemple l’Egypte antique où le noir était signe de fécondité, alors que dans l’Occident chrétien, la population projetait un fantasme d’hypersexualité sur la noirceur. "On ne peut s’affranchir de ces aspects très lourds de notre Histoire", regrette Marie Peretti-Ndiaye.

Blanchir la peau des Noirs dans la pub... dès le 19e siècle

Les publicités françaises de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle véhiculaient justement cette notion de catégories raciales. En 1896 - près de cinquante ans après l’abolition de l’esclavage en France - une publicité pour le savon "La Hêve" montre le clown blanc Footit frotter violemment le visage noir du clown Chocolat pour prouver l’efficacité du produit. Tout aussi choquante, une publicité de 1910 illustre une femme - blanche - tremper un bébé noir dans un seau. Sur le côté de l’image, une phrase : "Avec Javel S.D.C pour blanchir un nègre on ne perd pas son savon".

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"Blanchir". Vingt ans plus tard, en 1930, l’idée prenait forme dans une publicité pour "mécaniciens, automobilistes et ménagers". Nous y voyons un homme noir se laver la main droite. Alors qu’elle devient blanche, il s’exclame : "Le Savon Dirtoff me blanchit !".

"Il y a de véritables victimes de ces normes esthétiques", alerte Marie Peretti-Ndiaye. Pour elle, ce contexte soulève un grave problème : l’utilisation de produits éclaircissants pour se blanchir la peau. En 2011, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) publiait une "évaluation des risques liés à la dépigmentation volontaire". La pratique est décrite comme étant "courante" dans les pays d’Afrique sub-saharienne, allant jusqu’à 25% de la population féminine au Mali, en 1991. La dépigmentation volontaire serait également "fréquente" à Mayotte, en Arabie Saoudite, en Asie, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud.

Des mobilisations collectives pour lutter contre les normes esthétiques

Se blanchir la peau serait une manière de se conformer à l’idéal-type de beauté. Comment alors lutter contre l'importance de ce dernier ? "La culture se modifie grâce aux mobilisations collectives. En se manifestant, les gens peuvent agir et avoir une incidence sur ces normes esthétiques pour ne pas devoir les subir", encourage Marie Peretti-Ndiaye. Effectivement, pour Myriam Cottias, une adhésion par la bien-pensance n’est pas suffisante : "Il faudrait travailler avec les publicitaires, les réalisateurs et les cinéastes pour mettre un terme aux représentations stéréotypées". Marie-France Malonga, elle, souligne l’importance du web. "Le fait que les citoyens puissent réagir dans l’espace public leur confère un poids, ça leur permet de contester les représentations imposées". Un pouvoir des réseaux sociaux amplement démontré par le cas Dove puisque la marque a supprimé la publicité et présenté ses excuses.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne