Cette semaine, un immense bus orange a fait son apparition en région parisienne. Le Free Speech Bus, du collectif Citizen GO, parcourt les rues de Paris et sa banlieue pour alerter les passants sur l’enseignement de la théorie du genre à l’école. Nous sommes allés à leur rencontre, incognito, pour en savoir plus.
« Vous avez des enfants ? Oh, mais vous en aurez un jour non ? Et bien moi j’ai des enfants. Et certaines choses que je vois dans les livres scolaires me choquent profondément. Des choses comme ‘Si votre fille se sent fille, ce n’est pas naturel. C’est vous qui lui avez transcrit vos préjugés‘, dans un livre de SVT au collège !« . Devant la gare de Bondy, l’homme nous montre un prospectus orange, comme le bus garé quelques mètres derrière nous, où sont inscrits des exemples qui prouvent selon lui que l’Education nationale enseigne la théorie du genre à nos enfants. En moins d’une dizaine de minutes, le représentant du Free Speech Bus nous déroule un discours bien rodé. L’objectif ? Nous effrayer en évoquant « toutes les horreurs » que contiennent les manuels scolaires.
Depuis une semaine, ce bus de la plateforme CitizenGo sillonne les rues de Paris et d’Ile-de-France contre l’idéologie du genre. Dans une tribune publiée dans Libération, un collectif d’associations engagées dans la lutte pour les droits des lesbiennes, gays, bi et trans a appellé à faire barrage à une telle propagande. Nous sommes montés dans ce bus, incognito, afin d’en savoir plus.
La théorie du genre à l’école n’existe pas
Mais qu’est-ce que c’est au fait, la théorie du genre ? En 2014, le docteur en psychologie et directeur de recherche au CNRS Pascal Huguet explique dans le Huffington Post comment cette prétendue théorie est née… Alors qu’elle n’existe pas. Le concept de « genre » est bien réel dans les sciences sociales, et désigne l’identité genrée que se forge un enfant en fonction de son environnement social, ainsi que toute la perception des rôles des hommes et des femmes dans la société, et les rapports qu’ils entretiennent entre eux. La théorie du genre telle que la combat ce bus de la plateforme CitizenGo aurait pour but de déconstruire le modèle familial traditionnel et la norme hétérosexuelle, pour encourager à l’inverse l’homosexualité et la transsexualité, pousserait donc la déconstruction beaucoup plus loin.
https://twitter.com/PA_9th/status/912598472662163456
Il nous faut alors démêler le vrai du faux. En commençant par le tract que nous a tendu l’homme du Free Speech Bus, dont les informations ne correspondent pas vraiment à ce que l’on vient d’entendre. La prétendue citation du « livre de SVT au collège » provient d’un programme de sciences économiques et sociales en seconde. « Ce ne sont même pas des interprétations de textes littéraires ou philosophiques. On explique à nos enfants que c’est physique« , développait-il ensuite en parlant justement du distinguo fait entre l’identité biologique et l’identité culturelle liée au genre. Pourtant, la phrase encadrée en noir est tirée de la rubrique « Le Coin Philo » d’un manuel d’enseignement moral et civique de quatrième. Pas vraiment le genre de livre qui aborde les questions biologiques…
« Donner des repères » aux enfants
Ironiquement, notre interlocuteur utilise les mêmes termes que ceux que l’on emploie en sciences sociales. « A cet âge-là, un enfant est en construction. Il est perméable. Il faut lui donner des repères. Et l’école joue un grand rôle là-dedans. Moi qui ai des enfants, je peux vous dire que c’est difficile de parler après la maîtresse« . Et c’est bien pour toutes ces raisons que l’éducation nationale estime important de déconstruire les stéréotypes liés aux hommes et aux femmes dans notre société, pour que l’enfant puisse se construire sans être influencé par des clichés.
L'enfance est un temps où l'homme reçoit une culture pour construire son identité, pas pour en douter. #FreeSpeechBus #CitizenGO pic.twitter.com/OA3BxJzsw9
— Axel Rokvam (@axelrokvam) October 3, 2017
Mais les problèmes ne se trouvent pas que dans les livres scolaires, d’après les représentants du Free Speech Bus. « Sur ce site internet, on explique à votre petite fille comment se mettre une banane dans les fesses ! Et ça, c’est relayé par l’éducation nationale !« . Du doigt, l’homme nous montre une capture d’écran du site onsexprime.fr mis en place par l’INPES, que l’éducation nationale recommande en effet d’utiliser pour apporter des réponses aux adolescents sur les questions de sexualité.
Mais encore une fois, contrairement à ce qu’affirme le tract, le site n’est pas relayé directement dans les écoles par l’Education nationale, et surtout pas à n’importe quel public. Déjà souvent attaqué par La Manif Pour Tous, le site de l’INPES est avant tout un support pour répondre aux questions des adolescents à partir du collège, et si l’illustration peut être trompeuse (elle n’est plus la même aujourd’hui), il n’est pas question sur le site d’apprendre aux enfants la pénétration anale (comme vous pouvez le vérifier par vous-même).
Mensonge, manipulation… Et théorie du complot
Au-delà donc des fausses informations que nous donne oralement le membre du Free Speech Bus, la lecture de son tract montre que CitizenGo a un problème avec l’éducation à la sexualité, et le fait que l’école cherche à démonter certains stéréotypes de genre qui donnent lieu à des inégalités entre les sexes. Et à en croire notre interlocuteur, ce sont des lobbys qui ont fait apparaître ces sujets à l’école : « Tout ça ne date pas du gouvernement actuel, mais ça s’empire, ça se prolonge. C’est apparu sous Luc Chatel. Alors je ne sais pas si c’est son idée, s’il y a eu des pressions, des lobbys… Mais un ministre c’est un homme politique, et il n’agit que quand il y a du monde autour de lui« . Mais de quel lobby parle-t-il ? « En tout cas, si c’est pour lutter contre l’homophobie en faisant croire qu’on est tous les mêmes, tous pareil… » finit-il par lâcher, désignant implicitement le prétendu lobby LGBT.
[VIDEO]Jean-Pier #DelaumeMyard :"Le lobby gay est déterminé à détruire les institutions du mariage et de la famille" https://t.co/PxTUFFq4Oy
— Le Syndicat de la Famille (@SyndicatFamille) March 15, 2014
La théorie du genre enseignée à l’école et l’existence d’un lobby LGBT qui voudrait détruire le modèle familial traditionnel sont deux grands poncifs de La Manif Pour Tous, et ce n’est pas un hasard que de retrouver ces arguments dans la bouche des membres de CitizenGo. Cette fondation, espagnole à l’origine, se décline aujourd’hui dans plusieurs pays et a trouvé en France le soutien de médias et organisations catholiques conservatrices liées de très près à La Manif Pour Tous.
Si notre interlocuteur n’a pas évoqué avec nous d’autres sujets que celui de la théorie du genre, il nous renvoie en revanche vers le site de CitizenGo, sur lequel se trouvent plusieurs articles anti-PMA (procréation médicalement assistée), anti-mariage pour tous, et anti-avortement. Le site déclare même reconnaître le « droit au mariage, défini comme étant l’union entre un homme et une femme« .
Des soutiens de toute la droite intégriste
Parmi les plus fervents soutiens de CitizenGo en France se trouve Emile Duport, du collectif anti-avortement des Survivants, ou encore François Régis Salefran, photographe de La Manif Pour Tous. Autour d’eux, ce sont tous les comptes Twitter influents de la sphère catholique intégriste qui relaient au quotidien les informations du Free Speech Bus, ainsi que les attaques dont ils sont victimes sur les réseaux sociaux. Quelques politiques, comme l’ancien candidat FN aux législatives Thierry Devige, ont également salués la venue du Free Speech Bus à Paris.
C’est parti pour une semaine de roadshow pour le #freespeechbus https://t.co/FgSVPIY5TM
— Emile DUPORT (@emileduport) October 3, 2017
Derrière des couleurs vives facilement repérables en ville, des illustrations dignes d’Halloween et des slogans sur la protection de l’enfance, CitizenGo et son Free Speech Bus dénoncent en réalité le fait que l’école s’attaque aux stéréotypes sexistes. Ce que notre interlocuteur n’hésite pas à comparer au viol : « On ne touche pas aux enfants. Et ça c’est partout. Même en prison, les gens qui font du mal à un mouflet ou ont commis un viol sont en danger par rapport aux autre prisonniers« . La théorie du genre qu’ils veulent combattre ne semble pas exister ailleurs que dans leurs esprits. « Est-ce le rôle de l’école de faire s’interroger les enfants sur leurs représentations du monde, et en particulier sur leurs représentations du masculin et du féminin, issues de ce qu’ils voient ?« , écrivait fin septembre le site vigi-gender.fr, un autre site vers lequel notre interlocuteur nous a redirigés. Et la réponse est oui.