Visualiser l’activité cérébrale d’un bébé était presque impossible jusqu’à aujourd'hui. L’électroencéphalographie (EEG) permet bien de mesurer l’activité électrique cérébrale par le biais d’électrodes, mais la technique ne livre pas d’image fonctionnelle du cerveau à proprement parler, il s’agit d'une analyse de signal. Le seul outil capable de percevoir l’activité neuronale, c’était l’imagerie par résonance magnétique dite fonctionnelle. Immobiliser un bébé dans un appareil d’IRM est possible, mais loin d’être souhaitable... Pour pallier cette lacune dans l'étude du développement cérébral chez les très jeunes enfants et les prématurés, une équipe française vient de réaliser une percée. Une technique de neuro-imagerie par ultrasons ultrasensibles mise au point par l'équipe de Mickael Tanter (Unité physique des ondes pour la médecine Inserm/ESPCI/CNRS) a été testée sur des nouveau-nés au service de néonatalogie dirigé par le Pr Olivier Baud à l’hôpital Robert-Debré (Paris). Une première scientifique et médicale tout juste publiée dans Science Translationnal Medicine.
La technique, inventée en 2011, n’avait jusqu’ici été testée qu’en phase préclinique chez des animaux. Elle fonctionne sur le même principe qu’une échographie classique. Celle-ci permet en effet de voir les flux sanguins dans plusieurs organes, mais pas la vascularisation très fine du cerveau. Le prototype développé en 2011 démultiplie ces capacités grâce à une acquisition d’images à très haute cadence couplée à des algorithmes de traitement de données. Ce qui permet de cartographier de façon très fine les variations de flux sanguins dans les petits vaisseaux cérébraux. “La technique se fonde sur le concept de couplage neurovasculaire”, rappelle le Pr Olivier Baud. Concrètement, il est possible de lire précisément l’activité neuronale à travers les modifications hémodynamiques dans les vaisseaux.
Coupe coronale du réseau vasculaire cérébral, obtenue de façon non invasive par imagerie Doppler ultrasonore ultrarapide chez un nouveau-né prématuré.
Testée chez des nouveau-nés prématurés, la technique a démontré son efficacité. D’abord dans une phase de vérification : “Nous avons d’abord observé le cerveau lors des phases de sommeil (agité, calme), qu’on connaît déjà très bien, pour nous assurer que ça correspondait aux données EEG, explique Olivier Baud. Puis sur des enfants qui convulsent lors de crises d'épilepsie, et entre ces épisodes convulsifs.” La résolution spatiale de 150 micromètres a livré des données inédites, permettant de localiser le foyer de ces crises. Un projet soutenu par la Commission européenne qui a financé ces travaux à hauteur de 2,5 millions d'euros via le Conseil européen de Recherche (ERC).
À gauche, l'imagerie par ultrasons, à droite, le signal EEG.
À l’aube d’une révolution du monitoring cérébral
“Non seulement nous obtenons une très grande sensibilité, mais nous bénéficions aussi de la portabilité des ultrasons, non intrusifs”, nous explique Mickael Tanter. “Pour réaliser l’examen d’imagerie, il faut que la sonde soit parfaitement immobile, ajoute le Pr Olivier Baud. Nous avons donc conçu un dispositif qui permet de clipser la sonde ultrasonore sur un portoir qui épouse parfaitement la forme de la tête du bébé. De sorte que même si l’enfant bouge, la sonde suit ses mouvements sans qu’il soit gêné.” Le dispositif fonctionne en envoyant les ondes à travers la fontanelle des bébés.
Le système a donc une limite : lorsque les os du crâne finissent de se refermer après quelques mois, la technique tombe… sur un os ! “La boîte crânienne ne laisse pas bien passer les ultrasons. Il y a une absorption des ondes par l’os contre laquelle on ne peut pas faire grand-chose sur le plan technique”, détaille Mickael Tanter. En revanche, il est possible de ruser en profitant des “failles” de la boîte crânienne. “Chez l’adulte, on envisage de passer par les tempes où l’os est plus fin, ou par le trou occipital situé à l’arrière de la nuque. Cela permettrait d’obtenir trois cônes couvrant une très large partie du cerveau”, explique le chercheur. Le dispositif portable permettrait alors d’étudier l’activité neuronale associée à une large gamme d'activités, chose encore impossible avec l’IRM.
“Nous apportons là une démonstration de faisabilité, et on est encore loin d’une commercialisation. Mais nous sommes à l’orée d’une petite révolution dans le domaine du monitoring cérébral qui consiste à enregistrer l’activité neuronale sur des temps longs”, avertit Olivier Baud. Pour l’heure, “mises à part les données de l’EEG qui ne sont pas de l’imagerie, on est complètement aveugle sur l’activité et le développement cérébral des bébés”. Cette percée pourrait rapidement être exploitée pour détecter plus précocement des troubles du développement, notamment du spectre autistique.