L’école d’abord. À 9 ans, Amani a le sens des priorités. Pour cette petite Irakienne, hors de question de quitter le camp de déplacés de Khazir, à une heure de voiture de Mossoul, où elle vit depuis avril 2017. Ici, elle peut enfin aller en classe, un plaisir dont elle a été privée pendant trois ans. Pour cause, tous les établissements de son village avaient fermé avec l’arrivée de Daech. Alors, pour elle comme pour beaucoup d’enfants, le camp apparaît comme un espace de libertés que peu d’entre eux envisagent déjà de quitter. Le seul, ou presque, qu’ils ont connu au cours de la moitié de leur vie.

Dans les camps irakiens, être enfant malgré tout

« Ç’a été une libération », explique Amani. Elle n’oubliera jamais, dit-elle, son arrivée au camp. Alors, elle insiste : « Une sorte de délivrance. » Le mot semble incongru dans ce dédale de bivouacs, bordé d’une grande enceinte blanche et gardé par des forces de sécurité scrupuleuses.

De l’extérieur, l’endroit ressemble davantage à une prison à ciel ouvert. Et pourtant, c’est ici que beaucoup d’enfants ont retrouvé le sourire. Ils ont laissé derrière eux Daech et la guerre. Au cœur du camp, l’école tenue par l’organisation Norwegian Refugee Council (NRC) apparaît comme la principale source de joie pour beaucoup d’entre eux.

« Je suis heureuse de pouvoir apprendre »

Munie d’un livre de mathématiques, Amani se presse pour assister au premier cours de la journée. « Je suis heureuse de pouvoir apprendre », lance-t-elle avant d’entrer dans la tente qui fait office de salle de classe. Un professeur de l’association NRC attend que les garçons s’asseyent d’un côté, les filles de l’autre.

Depuis l’ouverture du camp, l’ONG dispense des cours pour les jeunes déplacés dans une dizaine de disciplines : mathématiques, anglais, arabe, sciences mais aussi art, musique et même football. Six jours par semaine, elle accueille ainsi l’ensemble des enfants du camp, âgés de 3 à 18 ans.

Hassan y est professeur d’anglais. Il a également suivi une formation pour accompagner psychologiquement ces élèves. « On ne remplace pas les professionnels mais on essaye d’être attentifs aux comportements des enfants et d’être présents quand on remarque des signes ­d’anxiété », explique-t-il.

Un quotidien extrêmement précaire

Dans les camps irakiens, être enfant malgré tout

Pour cet Irakien, ce genre de situation est néanmoins de plus en plus rare. « C’est toujours difficile quand les enfants arrivent dans le camp mais la plupart sont là depuis maintenant quelques mois : ils ont compris qu’ils étaient en sécurité et ils commencent à ne plus penser à leur passé », affirme-t-il.

Quand Amani sort de cours pour rejoindre la tente où elle vit avec sa mère et ses frères et sœurs, c’est pourtant bien ce passé-là qui les rattrape face à leur précarité. Seuls trois matelas posés à même le sol accueillent cette famille de six enfants, dont le dernier est atteint de trisomie 21.

« Ils comprennent bien que je ne peux pas leur apporter tout ce dont ils ont besoin, explique la mère. Quand je parle avec les autres familles, je sais que j’ai beaucoup de chance : certains enfants crient et se battent avec leurs parents pour protester contre leur situation actuelle. »

Des repas sans légume ni viande

Dans les camps irakiens, être enfant malgré tout

Cette « situation », c’est un manque de nourriture régulier, une hygiène approximative et des soucis d’argent insolubles. Salah est un ami de la jeune famille. Arrivé à la fin de l’année 2016, au début de l’opération militaire pour la reprise de Mossoul, le jeune garçon a maintenant passé presque un an dans le camp de Khazir. À 13 ans, il est l’aîné de sa fratrie et tente d’aider ses parents pour récolter quelques dollars supplémentaires. Il avoue ainsi ne pas être allé à l’école la semaine dernière.

« On m’a prêté une brouette ici, alors j’ai aidé tous ceux qui voulaient transporter quelque chose de lourd, en échange d’une petite rémunération », explique-t-il. Chaque course lui rapporte 50 centimes. De quoi acheter à la fin de la journée quelques denrées dans les étalages de fortune qui bordent les grilles du camp.

Si le gouvernement distribue chaque mois un carton de nourriture à ces familles, celles-ci n’y trouvent qu’essentiellement du riz, des lentilles ou de la farine. Les légumes sont un bonus et la viande, un luxe que peu d’entre elles peuvent s’autoriser. Quand Salah tente d’expliquer les problèmes alimentaires auxquels ils doivent faire face, il ne peut s’empêcher de cacher son visage au creux de ses mains, d’où se dégage un rire nerveux.

« Je ne veux pas partir, je suis bien ici »

Puis il cherche le regard de son père, en quête de soutien. « J’aimerais bien manger du maglouba », esquive l’enfant, provoquant le rire de ses frères et sœurs. Salah se joint à l’amusement collectif : dans le camp, le nom de ce plat traditionnel composé de riz, de viande et d’aubergines résonne comme un fantasme.

L’enfant est farceur. Mais quand il pense à ses copains repartis dans leur village d’origine, il reprend peu à peu son sérieux. « C’est difficile, je préférerais qu’ils restent ici », avoue-t-il. Lui pourrait presque apercevoir sa maison depuis l’extrémité du camp, et pourtant, il n’est pas autorisé à y retourner. Sa bourgade est désormais entourée par les peshmergas, les forces armées kurdes, qui refusent leur retour. « Nous sommes tous des terroristes pour eux », explique le père. Salah se rassure : « Je ne veux pas partir de toute façon, je suis bien ici. »

Des enfants aux rêves d’avenir

Dans les camps irakiens, être enfant malgré tout

Le garçon avoue que dans ses moments de tristesse, il s’exerce à la méditation. Il en a appris les bienfaits en juin, alors qu’une organisation humanitaire dispensait des cours thérapeutiques à tous les déplacés. « Quand je ne me sens pas bien, je m’assieds, le dos droit, puis je prends de l’air par ma bouche et je le souffle par le nez », mime-t-il. « Ensuite,je bouge mes doigts et j’essaye de ne penser qu’aux choses qui me rendent heureux », abrège le garçon, gêné de raconter ce moment d’intimité.

Pour la plupart des enfants du camp, seuls comptent de tels instants de bonheur. Peu d’entre eux racontent les problèmes qu’ils peuvent rencontrer, préférant s’étendre sur leur rêve d’avenir. Amina, comme Salah, voudraient eux devenir professeurs. À Bagdad, Mossoul, Karakoch, peu importe. « Même dans le camp », affirme fièrement la jeune fille devant son professeur, Hassan, qui décèle là un nouveau défi : « Je crois que beaucoup d’entre eux ne comprennent pas que cette vie doit être temporaire. »

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Le magazine Astrapi, édité par Bayard (également éditeur de La Croix), s’est également penché, à sa manière, sur le quotidien de ces enfants. Pour retrouver, gratuitement, ce journal réalisé avec des jeunes de 8 à 13 ans qui vivent dans des camps de réfugiés en Irak, cliquez ici.