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Aux Etats-Unis, des lycéens apprennent à débusquer les « fake news »

Le musée de la presse et du journalisme de Washington propose aux jeunes un atelier pour apprendre à repérer les fausses informations. Un phénomène exacerbé par les réseaux sociaux.

Par  (Alexandria, Virginie, envoyée spéciale)

Publié le 13 octobre 2017 à 14h52, modifié le 16 octobre 2017 à 06h33

Temps de Lecture 4 min.

L’objectif de cette formation de moins de deux heures consiste à donner aux lycéens des réflexes pour repérer un bobard.

Kyrie est bien embarrassée. Comment savoir si la phrase du président philippin, Rodrigo Duterte, incitant ses compatriotes « à tuer les vendeurs de drogue », est vraie ou pas. La jeune Américaine de 17 ans a deux minutes pour se faire une opinion. Telle est la règle édictée par Kim Ash, l’efficace formatrice, qui, ce matin-là, enseigne à un groupe de lycéens d’Alexandria (Virginie) comment reconnaître et déjouer une « fake news ».

Ce programme a été lancé au printemps par le Newseum, le musée de la presse et du journalisme de Washington, alors que le terme fait florès depuis l’élection de Donald Trump. Ces derniers jours, le président des Etats-Unis n’a pas craint de demander « une enquête du Sénat » pour comprendre « pourquoi tant d’infos dans notre pays sont inventées, FAUSSES ! ».

La veille, agacé par les critiques sur sa gestion de la crise à Porto Rico, il avait inondé son compte Twitter d’accusations vagues et répétées contre les grands médias américains : « Whaou, tellement de fake stories aujourd’hui. Quoi que je fasse ou dise, ils ne diront pas la vérité ». Dans le même temps, de « vraies fausses nouvelles » ont circulé sur les réseaux sociaux après l’attaque de Las Vegas, laissant entendre que le tueur s’était converti à l’islam ou qu’il était un militant anti-Trump.

« Sur les sites suspects, repérez un contact, un historique, cherchez sur Internet le profil des sources ou des “experts” cités dans l’article. » Kim Ash, formatrice au Newseum

Coïncidence ou pas, au Newseum, les classes ne désemplissent pas. Durant une partie de la matinée, l’enseignante va aider les adolescents à cerner ce qu’est une fake news, comprendre pourquoi certains s’y adonnent et leur donner des outils pour les contrer. Téléphone portable en main, Kyrie commence ses recherches. Son instinct la pousserait à estampiller « fausse » la déclaration brutale de M. Duterte. « C’est tellement fou, ça ne peut pas être vrai. » En quelques clics, elle vérifie le sérieux du site, retrouve la citation dans d’autres médias et change d’avis.

« Vérifier et revérifier »

Celia, 17 ans elle aussi, est aux prises avec une information qui la laisse sceptique. En réponse à la politique migratoire de Donald Trump, le premier ministre canadien proposerait d’interdire l’entrée de son pays à des responsables américains. Le site présente bien (The Burrard Street Journal), mais les nouvelles qui y sont publiées lui paraissent sujettes à caution.

« Dans l’article, Trudeau emploie des gros mots, je ne le vois pas faire ça. Pour moi, c’est une fake news », estime Celia. L’enseignante approuve puis s’empresse de donner quelques clés aux jeunes lecteurs. « Sur les sites suspects, repérez un contact, un historique, cherchez sur Internet le profil des sources ou des “experts” cités dans l’article. »

Si elle avait pris la peine de pousser plus loin sa recherche, Celia aurait découvert que The Burrard Street Journal se présente lui-même comme « un journal satirique et parodique canadien, occasionnellement drôle », qui ne publie que des informations inventées. Kim Ash est bien consciente que, dans la vie, peu d’adolescents prendront le temps de « vérifier et revérifier le sérieux des informations qu’ils reçoivent en continu sur leurs réseaux sociaux préférés ». Celia confirme. Même lorsqu’elle a un doute, elle ne pratique pas le « double-check ». « Je passe vite à autre chose, c’est tout. »

Selon Kim Ash, du Newseum, « il faut que les nouvelles générations (...) ne deviennent ni des cyniques de l’info, ni des naïfs ».

L’objectif de cette formation de moins de deux heures, que les groupes d’élèves peuvent inclure dans leur visite du musée, consiste à leur donner des réflexes pour repérer une fausse information et des outils pour mieux comprendre ce phénomène exacerbé par les nouvelles technologies.

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« On commence par leur dire qu’une fake news, à condition qu’elle ne porte pas atteinte à la sécurité d’une personne ou de l’Etat, est protégée par le premier amendement. Beaucoup s’en étonnent, témoigne Kim Ash. Il faut ensuite qu’ils comprennent la différence entre une fake news et une information erronée ou politiquement biaisée. Les meilleurs journalistes peuvent faire des erreurs, l’important est qu’ils les corrigent. Quant à la presse d’opinion, elle est évidemment légitime. »

L’apprentissage de la démocratie

Pour les responsables du Newseum, le défi est immense et relève de l’apprentissage de la démocratie. « Il faut que ces nouvelles générations nées avec des écrans dans la main ne deviennent ni des cyniques de l’info, qui ne croient plus rien ni personne, ni des naïfs, qui prennent tout pour argent comptant », explique Kim Ash. Un enjeu primordial depuis l’élection de M. Trump à la Maison Blanche. « Les fake news existaient avant lui, mais il les a mises dans la lumière. »

« Les jeunes sont en général moins naïfs qu’on pourrait le penser et ils n’aiment pas qu’on se moque d’eux. » Kim Ash

Le Newseum, qui depuis des années propose des formations sur l’analyse de l’information et la liberté d’expression, s’est inquiété de la déferlante des attaques contre la presse et de l’utilisation du terme « fake news » comme une nouvelle stratégie de communication politique.

« Comment expliquer que certains qualifient de fake news une information qui ne l’est pas, par exemple les mauvais sondages sur l’administration Trump ? », lance Kim Ash à la cantonade. « C’est pour discréditer les sources et faire en sorte que les gens ne prennent plus rien au sérieux », répond un lycéen du tac au tac. « Les jeunes sont en général moins naïfs qu’on pourrait le penser et ils n’aiment pas qu’on se moque d’eux », constate Kim Ash, qui en a vu passer quelques centaines depuis le printemps.

Elle ne se fait toutefois pas d’illusion. « Je repère aussi ceux qui n’ont confiance en aucun média et s’en remettent aux théories du complot. Pour ceux-là, je crains que la formation ne change pas grand-chose. » Celia et Kyrie, elles, repartent avec de nouvelles pratiques. Dorénavant, elles éviteront de faire circuler une info qui leur paraît peu crédible « même si elle est drôle ». « Evitez de faire vivre les fake news sur Internet », leur a conseillé Kim Ash.

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