C’est un échalas à l’air timide. Un garçon qui donne une impression de flegme et de douceur malgré son regard sombre. Pas du genre fauteur de troubles, plutôt premier de la classe. Un profil qui, à première vue, ne colle pas à l’image d’Act Up-Paris. Le 9 septembre, Rémy Hamai, 23 ans, a pourtant été élu président de la plus turbulente des associations de lutte contre le sida en France, créée en 1989. Ou plutôt, seul candidat à ce poste, il en a accepté la responsabilité pour les deux ans à venir.
Rémy Hamai commence son parcours de militant au sein de l’association LGBT (lesbienne, gay, bi et trans) de son école d’ingénieurs en région parisienne, dont il vient d’être diplômé. « Ça manquait de réflexion, d’expertise, niait le sida chez les jeunes gays. J’avais envie de m’engager davantage », explique-t-il en sirotant un soda dans un café situé à deux pas de l’hôtel de ville, à Paris. Alors, il y a deux ans, en pleine période de doutes, il se rend à la réunion hebdomadaire d’Act Up, se met dans un coin et écoute. « Je m’attendais à ce qu’on me dise : “Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu fais là ? Raconte-nous ta vie.” Rien de tout ça. Ça m’a plu, j’y suis retourné. » A partir de là, il s’implique de plus en plus, jusqu’à se voir confier la gestion de la commission LGBTphobies-sérophobie :
« Act Up est une association fondée sur la confiance et qui vous met en valeur. »
De sa vie personnelle, on ne saura pas grand-chose. Tout juste qu’il est « né et a grandi en région parisienne ». Ses réponses, entrecoupées de longs silences, sont calibrées, ses confidences, millimétrées :
« Je suis allé à Act Up à cause du sida. J’avais besoin de me mettre en colère parce que ma famille me détruisait à petit feu, à coups d’insultes et de dépréciations pour ce que je suis. Leurs agissements me mettaient à la merci du VIH. Quand vous mettez les gens plus bas que terre et que vous leur faites perdre toute estime d’eux-mêmes, c’est là qu’ils deviennent le plus vulnérables et qu’ils se contaminent. »
Un afflux de nouvelles recrues
En 2015, près de 6 000 personnes ont découvert leur séropositivité, selon les données de Santé publique France, un nombre stable depuis 2011. Dans une enquête parue en juillet, l’agence nationale alertait sur la situation « extrêmement préoccupante » chez les jeunes homosexuels, particulièrement touchés par l’épidémie. « Aujourd’hui, il y a un vrai problème d’engagement dans la lutte contre le sida », analyse Rémy Hamai :
« La nouvelle génération ne s’y intéresse pas. La plupart de mes amis ne comprennent pas pourquoi je me bats. Ils me disent : “Tu n’es pas payé, ça te bouffe tout ton temps, ça te fatigue… A quoi ça sert ?” »
Mais depuis la sortie du film 120 battements par minute, en août, le jeune homme observe un regain militant. Le film de Robin Campillo, récompensé à Cannes par le Grand Prix du jury, raconte le combat mené dans l’urgence par Act Up dans les années 1990, au plus fort de l’épidémie. En quelques semaines, le nombre de personnes venant aux réunions hebdomadaires est passé d’une poignée d’irréductibles à une soixantaine d’intéressés. « La plupart d’entre eux sont très jeunes, mais on trouve aussi d’anciens militants qui reviennent », précise Rémy Hamai. Face à l’afflux de nouvelles recrues, il a même fallu relocaliser la réunion dans l’amphithéâtre de l’Ecole des beaux-arts.
Pour l’association, la vague médiatique qui a accompagné la sortie du film a été compliquée à gérer. Elle a notamment replongé certains activistes dans un passé douloureux, à une époque où les malades du sida mouraient les uns après les autres. Beaucoup craignaient aussi de voir se fermer le livre de l’histoire d’Act Up. « Avec 120 battements par minute, on a reparlé du sida… mais au passé, comme si c’était derrière nous », regrette Rémy Hamai :
« L’épidémie bouffe encore nos vies, même si elle est moins foudroyante qu’avant. Aujourd’hui, on oublie que le but ultime, c’est de guérir du sida, pas de vivre toute sa vie sous antirétroviraux. »
« On vit et on crève dans la précarité »
Pour le nouveau président d’Act Up, tout l’enjeu est donc de parvenir à mobiliser autour de la nécessité de continuer le combat. Dans la pratique, les fameux « zap » (actions coup de poing) et les « die-in » (pour mettre en scène la mort dans la rue), qui cherchent à interpeller l’opinion et à se faire entendre des laboratoires et des pouvoirs publics, se font plus rares. « La lutte contre le sida est devenue quelque chose de très technique : il faut se plonger dans les rapports médicaux, étudier les dossiers sur les nouveaux traitements, l’accès aux droits… On ne sort plus les sifflets et les poches de faux sang à tout bout de champ », justifie Rémy Hamai.
A ceux qui disent « c’était mieux avant » ou qui pensent que la colère fondatrice d’Act Up s’est transformée en un activisme mou, Rémy Hamai répond que les militants des dernières années n’ont rien changé à l’ADN de l’association :
« Je suis le porte-parole d’une mémoire collective. Je m’inscris dans la lignée des anciens présidents, mais je ne suis pas prisonnier de leur héritage. La nouvelle génération fait les choses à sa manière pour affronter de nouvelles problématiques. »
Et les chantiers sont nombreux.
« Aujourd’hui, on dispose de toute une palette de solutions pour que les gens restent séronégatifs », souligne Rémy Hamai, qui cite les préservatifs, mais aussi le traitement postexposition (TPE) et la prophylaxie pré-exposition (PrEP). « La prévention c’est très bien. Encore faut-il avoir le courage politique et les moyens financiers pour la mettre en place. En attendant, on vit et on crève dans la précarité quand on est touché. » A la fin de 2016, une étude de l’Agence nationale de recherche sur le sida montrait que les personnes infectées par le VIH ont de plus en plus de mal à s’insérer dans le marché du travail, malgré l’amélioration des traitements et de leur prise en charge. C’est notamment là qu’Act Up entre en jeu pour aider les séropositifs à conserver leur allocation adulte handicapé (AAH) ou leur logement. Une autre thématique, plus récente, est le vieillissement des personnes vivant avec le VIH. Qu’en est-il de leurs droits à la retraite ? De leur accueil en maison de repos ?
Redire que le sida tue encore
Autre gros sujet : l’amélioration de la qualité et de la coordination des soins pour des malades qui souffrent souvent de multipathologies (ils sont par exemple plus exposés aux cancers et aux maladies cardio-vasculaires). « Même si les antirétroviraux ont un impact indéniable sur la santé des séropositifs, ils provoquent toujours énormément d’effets secondaires : ostéoporose, problèmes digestifs, troubles du sommeil,… détaille le militant. Les laboratoires veulent faire croire que nos relations ont changé, c’est faux ! Ils sont juste là pour faire de l’argent, comme toujours. » Pour Rémy Hamai, un autre enjeu actuel consiste à remettre le patient au cœur des discussions :
« On assiste à un retour en force du médical, on efface le malade et on parle à sa place. Mais c’est lui qui vit avec le VIH, c’est lui qui connaît le mieux les problèmes qu’il rencontre au quotidien ! »
« Etre président d’Act Up, c’est beaucoup de responsabilités, beaucoup de travail, dit-il dans un soupir en tortillant ses boucles brunes. Ce n’est pas évident de trouver un équilibre entre vie professionnelle, personnelle et militante. Mais il y a encore trop de problèmes, on ne peut pas s’arrêter là. »
Pour l’heure, l’association commence à préparer le 1er décembre, Journée mondiale de lutte contre le sida. Comme chaque année, ce jour permettra d’alerter sur les enjeux de la pandémie. « Et de redire que le sida tue encore », insiste-t-il. L’association occupera aussi l’espace des Blancs-Manteaux, dans le Marais, à Paris, pendant plusieurs jours pour tenter de capter l’attention des médias et inciter les pouvoirs publics à prendre des engagements concrets.
« Je ne suis pas d’une nature rentre-dedans, mais il n’y a que comme ça qu’on avancera : en les forçant à nous écouter. Act Up m’a donné les moyens de me défendre. Aujourd’hui, j’ai repris le pouvoir. »
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