Liberia : plus que jamais, le combat des femmes se poursuit

REPORTAGE. Première présidente élue d'Afrique, Ellen Johnson Sirleaf a été en tête du combat en faveur de la reconnaissance du droit des femmes. Qu'en est-il de la situation à la veille de son départ ?

Par Cécile Brajeul, à Monrovia

Des petites filles marchant en file, à Monrovia, en 2011. 
Des petites filles marchant en file, à Monrovia, en 2011.  © Reuters/Luc Gnago

Temps de lecture : 4 min

« D'une peine de prison à vie, les auteurs de crimes sexuels ne risqueraient plus que 10 ans d'emprisonnement maximum, avec le nouveau projet de loi », affirme l'avocate Tonieh Talery-Wiles de la Commission nationale indépendante des droits de l'homme.

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« Les agressions sexuelles à l'encontre des femmes stagnent... mais »

Entre les nombreux rassemblements et défilés de la campagne électorale et le premier tour des élections générales au Liberia le 10 octobre, elles n'ont donc trouvé qu'un petit créneau la veille du scrutin pour manifester leur indignation face au portail du ministère de la Justice. Des dizaines de femmes se sont assises à l'ombre des arbustes de l'autre côté de la route ou se sont massées près de la grille d'entrée du bâtiment à la façade gris et jaune.

Elles arborent des tee-shirts blancs maculés d'épais traits rouges, symbole du sang des violences dont elles font l'objet. Des pancartes à la main aux slogans très expressifs – « Laisse mon vagin tranquille » – circulent parmi les groupes, où seuls quelques hommes sont présents.

« À la différence des abus perpétrés contre les enfants, souvent très jeunes, de 5 ou 6 ans, qui sont en forte augmentation, les agressions sexuelles à l'encontre des femmes stagnent », affirme encore l'avocate. Mais pour la défenseur des droits de l'homme, réviser la loi est une incitation au crime, alors que le viol était, en 2016, le second crime en termes de nombre de plaintes au Liberia, selon un rapport des Nations unies.

« Il n'y a pas lieu de se précipiter, les modifications du texte doivent se faire dans le calme en soupesant tous les retentissements qu'elles peuvent avoir, insiste-telle. Nous sommes en pleine période électorale, le moment n'est pas judicieux. » Pourtant, pour la justice libérienne, il y a urgence, car la peine est jugée anticonstitutionnelle. Le Sénat a d'ailleurs ratifié en début de mois les deux amendements accordant aux personnes suspectées de viol l'accès à la liberté sous caution qui leur était jusqu'alors refusé. Les députés de la chambre basse doivent encore se prononcer pour que les clauses entrent en vigueur.

Droits des femmes : l'affaire de tous

La question des violences perpétrées contre les femmes va cependant bien au-delà du viol et mérite d'être considérée dans sa globalité pour Tonieh Talery-Wiles. « Les violences conjugales – dont le viol au sein du couple qui n'est pas reconnu par la loi libérienne – ou les grossesses précoces font également partie des atteintes au droit que nous dénonçons », ajoute-t-elle.

Et pour la quadragénaire moulée dans un slim et cheveux courts tressés de blond, seule une représentation plus importante des femmes dans les institutions et dans la vie politique peut faire évoluer les mentalités et endiguer le nombre de crimes sexuels et violences à l'encontre de la population féminine.

La commissaire déplore que les droits des femmes n'aient pas été assez évoqués dans les programmes et lors de la campagne électorale. Mais elle se réjouit que la Coalition pour le changement démocratique (CDC), emmenée par l'ancien international de football, George Weah, ait désigné une femme comme vice-présidente et ajoute qu'« avec plus de sénatrices et députées, nous pouvons faire évoluer les dispositifs légaux ».

Des avancées sous le mandat de Johnson Sirleaf

Sous la présidence d'Ellen Johnson Sirleaf, pourtant, des avancées significatives ont déjà eu lieu. Des programmes et instances ont été créés pour améliorer la prise en charge des victimes, et un département de police dédié – l'unité des crimes sexuels et de genre – a été mis en place. Mais obtenir justice est encore un défi tant la police et le système judiciaire manquent de moyens. Beaucoup de victimes – comme dans le reste du monde – ne porteraient pas plainte. Et le suivi psychologique, légal et social des personnes ayant subi un viol est toujours défaillant. Un programme de référencement des victimes a été établi en partenariat avec des organisations non gouvernementales (ONG) internationales et trois refuges ont été créés selon un rapport des Nations unies. Mais « les ONG ont bien souvent dû prendre le relais en la matière », regrette Tonieh Talery-Wiles.

Les deux guerres civiles, qui ont ravagé le pays entre 1989 et 2003, ont particulièrement ciblé les femmes. Plus de 80 % d'entre elles ont subi des violences sexuelles, viols et mutilations pendant cette période. Même si les conflits paraissent bien loin, les stigmates et comportements, eux, perdurent. Et l'avocate de conclure « les droits des femmes sont désormais une affaire de tous, hommes, femmes, citoyens, représentants. C'est ça la réelle égalité. »