A la barre

Contre Bachelot, Nadal sert un dossier médical à double tranchant

Le numéro 1 mondial attaquait en diffamation l'ex-ministre des Sports, qui l'avait accusé d'être dopé. En guise d'argument, l'Espagnol a rendu public des documents qui soulignent l'ambiguïté de la frontière entre se soigner et se doper.
par Pierre Carrey
publié le 13 octobre 2017 à 20h21

Rafael Nadal, un champion très bien soigné. Pour la première fois, un pan du dossier médical du tennisman espagnol a été rendu public. C'était vendredi, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, dans le cadre du procès en diffamation que le numéro 1 mondial intente à Roselyne Bachelot. L'ancienne ministre avait déclaré le 8 mars 2016 dans un talk-show sur la chaîne D8 (actuel C8) : «On sait à peu près que la fameuse blessure de Rafael Nadal qui a entraîné sept mois d'arrêt de compétition [en 2012] est très certainement due à un contrôle positif […] Quand tu vois un joueur de tennis qui s'arrête pendant des mois, c'est qu'il a été contrôlé positif.»

Pour faire valoir sa probité, Nadal a dégainé une botte secrète, à la fois un détail dans la procédure et ce qu'il considérait sans doute comme la preuve ultime : trois attestations médicales datées du 12 avril 2016 (après les propos tenus par Roselyne Bachelot) revenant sur la période incriminée (Nadal avait interrompu sa saison 2012 en juillet, après Wimbledon, à cause de cette «fameuse blessure» au genou). Sept pages de textes au total que Libération s'est procurées et qui, loin de lever tous les doutes, confirment l'état de surmédicalisation du sport et rappellent l'ambiguïté de la frontière entre le médicament destiné à guérir et celui qui dope.

Cellule-souche dans la colonne vertébrale

Il apparaît que Nadal a suivi pendant l’année 2012 un traitement de choc pour soigner cette tendinite au genou gauche : une «infiltration de plasma riche en facteur de croissance», qui consiste à prélever du plasma dans son sang pour en extraire les facteurs de croissance qui sont ensuite injectés dans les tissus blessés. Cette technique, réputée pour accélérer la guérison, n’est pas interdite par l’Agence mondiale antidopage (AMA) mais celle-ci recommande toutefois de limiter son usage aux cas de blessure : l’infiltration de plasma ne doit pas servir à améliorer les performances.

Nadal avait déjà révélé avoir employé cette méthode controversée, ainsi que l’injection toute aussi discutée de cellules souches dans sa colonne vertébrale pour apaiser des douleurs au dos. Ce qui frappe à la lecture des attestations médicales fournies vendredi au tribunal parisien, c’est la longueur du protocole de soin, alors même que le joueur est en activité. Les médecins de Vitoria, au Pays basque, qui citent une dizaine de dates d’injections, font remonter la première séance au 14 décembre 2011 et la dernière au 27 mars 2013. Ce qui n’a pas empêché Nadal (ou ce qui lui a permis) de remporter 42 des 48 matchs qu’il a disputés en 2012.

«Culture de l’omerta et de la dissimulation»

Ces nouveaux documents médicaux apportent par ailleurs un début de justification à la fuite sur Internet des autorisations à usage thérapeutiques (AUT) de Nadal en septembre 2016 après le piratage des données de l’AMA, faisant apparaître une utilisation, en 2009, de bétaméthasone, un glucocorticoïde considéré comme un anti-inflammatoire mais également, en 2012, à de la corticotrophine, une hormone sécrétée par l’hypophyse (située dans le cerveau). Les médecins espagnols rappellent qu’ils ont sollicité une AUT à partir de juillet 2012, sans mentionner la substance ou méthode utilisée, afin de soigner la blessure au genou qui tardait à se résorber.

Dans son jugement, attendu le 16 novembre, le tribunal correctionnel de Paris ne devrait pas tenir compte de ce dossier médical. Le procureur a requis la condamnation de Roselyne Bachelot, absente à l'audience. Son avocat, Me Olivier Chappuis, a longuement détaillé la «culture de l'omerta et de la dissimulation» qui a cours dans les instances dirigeantes du tennis, en particulier le très faible nombre de contrôles antidopage menés et donc «l'inévitable suspicion» qui entoure les performances. «Rafael Nadal n'a jamais été contrôlé positif dans sa carrière», rétorque son avocat, Me Patrick Maisonneuve. Le tennisman de 31 ans, qui réclame à l'ancienne ministre de la Santé et des Sports 100 000 euros de dommages et intérêts et 35 000 euros de frais de justice, était en Chine ce vendredi, où il s'est qualifié pour les demi-finales du tournoi de Shanghai.

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