Interview

Olivier Faure : «Au Parti socialiste, il y a plus de courants que d’idées»

Chaque lundi d’octobre, un socialiste s’allonge sur le divan de «Libé». Cette semaine, le président du groupe parlementaire appelle à une refonte en profondeur et refuse l’opposition systématique.
par Rachid Laïreche et Laure Bretton
publié le 15 octobre 2017 à 17h36

Les socialistes en consultation Défait et ruiné, le Parti socialiste est à l'agonie. Tout le mois d'octobre, Libération allonge les socialistes sur un divan pour tenter d'imaginer les pistes de la reconstruction. Après Jean-Christophe Cambadélis et Anne Hidalgo, et avant la maire de Rennes, Nathalie Appéré, lundi prochain, c'est au tour du patron des députés PS, Olivier Faure, de s'épancher.

Il y a moins de six mois, Olivier Faure était à la barre d'un navire parlementaire pléthorique et en perdition. Balayés par la vague LREM, les députés socialistes sont à présent dix fois moins nombreux (27 au lieu de  295). Un groupe «plus souple» et surtout «plus cohérent», veut croire son patron : une toute petite base arrière d'où il entend piloter une «opposition intelligente» face à Emmanuel Macron, et une rénovation du sol au plafond du Parti socialiste.

Comment jugez-vous les premiers mois de la présidence Macron ?

La promesse, c’était le dépassement de la gauche et de la droite. Je vois bien le dépassement de la gauche… Mais sa politique est l’application stricte de cette fumeuse théorie libérale dite du «ruissellement», qui voudrait que quand on arrose les plus grandes fortunes, les «riens» finissent par recueillir quelques gouttes. Je préfère les jardiniers qui arrosent les racines à ceux qui aspergent le feuillage. Les premiers font pousser des arbres, les seconds cultivent des bonsaïs…

La politique fiscale actuelle annonce-t-elle un quinquennat libéral ?

En faisant de 5 à 7 milliards de cadeaux fiscaux, c’est-à-dire 25 à 30 milliards sur cinq ans, la majorité se lie les pieds et les poings pour tout le quinquennat. Afin de compenser cette «armure fiscale» pour les plus riches sans augmenter la dette, le gouvernement coupe dans la politique de santé via l’augmentation du forfait hospitalier, du logement via la baisse des APL, de l’emploi via la suppression des contrats aidés ; il taxe les PEL, baisse l’allocation jeunes enfants… Et la baisse de la fiscalité pour les classes moyennes est en trompe-l’œil. Elle sera, hélas, intégralement mangée par la fiscalité sur le gazole ou le fuel…

Dans ce nouveau décor, comment le PS peut-il peser ?

En nous opposant intelligemment, c’est-à-dire en proposant une alternative. Nous l’avons fait pour le budget et nous le referons sur tous les grands textes. Ce que je constate, c’est que nous n’avons pas été remplacés. Ni par Emmanuel Macron, qui fait ses courses à droite, ni par Jean-Luc Mélenchon, qui est resté dans le registre de la protestation, cantonné à un rôle de résistant séduisant mais perdant. Personne n’occupe notre espace. Donc notre problème, ce n’est pas eux, c’est nous. Nous qui avons déçu, nous qui n’avons pas été compris. Il n’y a aucune fatalité mais il n’y aura pas non plus de facilité. Le mouvement de balancier mécanique entre la droite et la gauche est mort avec le bipartisme. Si on ne se réinvente pas très vite, les électeurs n’auront aucune raison de voter pour nous. Nous devons donner de nouvelles raisons de voter à gauche.

Vous êtes dans l’opposition mais à l’Assemblée, vous choisissez souvent le «oui critique». C’est audible ?

C’est arrivé deux fois : pour le projet de loi sur la moralisation de la vie politique et pour celui contre le terrorisme. Je défends l’idée que nous ne devons pas tomber dans une forme de régression, une contestation pavlovienne qui nierait tout esprit de responsabilité. L’opposition a plus de force quand elle n’est pas un réflexe ou un automatisme. C’est parce que je sais dire «oui» que mon «non» a du poids.

En Allemagne, le SPD se trouve dans le même état que le PS, pensez-vous à vous reconstruire ensemble ?

Absolument ! Les socialistes européens ont continué à penser des politiques nationales alors que les conquêtes les plus importantes se jouent désormais à d’autres niveaux. Ne pas penser ensemble conduit inévitablement à se penser les uns contre les autres. C’est l’impasse souverainiste. Penser la politique à l’échelle de l’Union européenne, c’est développer un modèle commun pour le rendre irréversible et contagieux pour le reste du monde. Le débat de demain opposera les internationalistes, qui veulent réguler la globalisation, aux mondialistes comme Emmanuel Macron, qui limitent leur ambition à l’accompagner, en essayant d’en tirer le meilleur parti.

Pendant le quinquennat de François Hollande, quelle a été la goutte d’eau pour vous ?

Il y a eu trois grosses gouttes… D’abord, l’abandon de la remise à plat fiscale. Pour éteindre l’incendie du «ras-le-bol fiscal», on a pris un arrosoir, alors que je plaidais pour la méthode Red Adair, c’est-à-dire la dynamite, pour que l’effet de souffle éteigne le feu. Sans remise à plat qui rende notre fiscalité lisible et juste, l’adhésion à l’impôt décline. Après, il y a eu la déchéance de nationalité, qui était à rebours de l’idée d’égalité consubstantielle à la gauche. C’était la trahison de la gauche morale et intellectuelle. Et puis il y a eu la loi travail, qui a été vécue comme une trahison par la gauche sociale.

Trouvez-vous que ce qui arrive aux socialistes est injuste ?

Dans une démocratie, ce sont les électeurs qui tranchent…

Beaucoup de députés éliminés parlent d’un bilan illisible et invendable…

Je ne suis pas là pour agonir le quinquennat. Nous avons mis en place beaucoup de choses, mais sans jamais expliquer de quel chemin elles étaient les étapes. Alors c’est le vide de sens qui est apparu. Mais les causes de notre défaite sont aussi plus profondes : plusieurs cycles se referment en même temps. Les grands contentieux qui séparaient la gauche de la droite depuis la Révolution française - sur le plan institutionnel, religieux ou encore sur l’organisation sociale - se sont estompés, affaiblissant le clivage. C’est aussi la fin du cycle d’Epinay, entamé avec François Mitterrand en 1971. L’idée de progrès est en crise, percutée par les dérèglements écologiques. La classe ouvrière consciente d’elle-même n’est plus qu’un souvenir. On est passé d’un vote militant à un vote consumériste, où les électeurs fluctuent d’une offre à l’autre.

Pour le PS, cela veut-il dire qu’il faut changer le logiciel ou les instruments pour militer ?

Tout ! Le monde change. Nous devons évoluer avec lui, repenser le progrès tout en demeurant fidèles à l'idée de justice et à la volonté de porter «la République jusqu'au bout», pour reprendre les mots de Jean Jaurès. Nous devons reconnaître les nouvelles formes de travail, traiter ses mutations, sans accepter sa disparition ni sa précarisation. Nous devons intervenir sur les inégalités de patrimoine, qu'il s'agisse de logement, de culture ou d'éducation. Nous devons organiser la transition énergétique en veillant à la rendre acceptable socialement. Nous devons accorder notre confiance aux territoires avec une nouvelle étape de la décentralisation tout en veillant à ce que l'Etat se porte garant d'une péréquation des moyens. Au moment où Emmanuel Macron porte à incandescence les défauts de la Ve République, nous devons remettre le citoyen au cœur de notre réflexion sur l'évolution impérative de nos institutions, qui doivent devenir plus collaboratives… Au sein du PS, la piste de la démocratie participative, lancée par Ségolène Royal, n'a pas été suffisamment explorée… Les sujets et le boulot ne manquent pas !

Pouvez-vous continuer avec des courants, une opposition et une majorité au sein du PS ?

Non, il faut nous réformer en profondeur. Ces congrès où l’on passe trois mois à s’insulter publiquement pour terminer par une nuit des petits couteaux où l’on tente de recoller les morceaux, cela donne quoi, à la fin ? L’impression que l’on a soit surjoué les différences, soit opéré une synthèse de façade…

Les départs de Manuel Valls et de Benoît Hamon facilitent-ils les débats ?

Ils sont tous les deux partis, mais seuls : leurs amis sont encore là (sourire). Le prochain congrès doit être celui du dépassement des courants et des egos. Il y a une opportunité. Les enfants de Mitterrand sont en train de passer la main. Il faut que les petits-enfants prennent la suite sans maintenir des divisions qui sont souvent devenues, avec le temps, des postures. Il y a toute une génération qui réussit dans nos communes, départements ou régions. C'est à elle qu'il faut donner les clés.

Il faut des gens dépassant les clivages ?

Oui, il faut arrêter de vivre sur des affrontements dont on finit par ignorer l’origine et les raisons… Au PS, il y a plus de courants que d’idées!

Pour certains, les petits-enfants de Mitterrand sont des enfants gâtés, ex-ministres qui se planquent à l’heure où il faut tout reconstruire…

Avant, avec le cumul des mandats, il y avait le parachute pour amortir une défaite… La génération gâtée, comme vous dites, elle s’est pris une défaite historique en pleine tête et sans filet. Il faut que chacun prenne le temps de se reconstruire. Je n’ai aucun doute que nous les retrouverons, plus vite que vous ne le pensez.

Aujourd’hui, il y a une direction collégiale. Peut-elle se prolonger ?

Une direction collégiale à 28 ne peut être que provisoire…

Mais ça peut être à trois ou quatre personnes…

C’est une possibilité… Aujourd’hui, il n’y a pas de figure tutélaire et charismatique qui domine notre parti et la gauche. Mais le système médiatique est ainsi fait qu’il faut une incarnation principale.

Quelle doit être la priorité du congrès de 2018 ?

Il faut rattacher la gauche à un imaginaire. Dans les années 70, même s’ils n’avaient pas lu le programme commun ou les 110 propositions, les Français savaient la vie qui allait avec la gauche.

Qu’est-ce que c’est, la vie qui va avec la gauche ?

C’est replacer l’humain au cœur de toutes les priorités…

«L’humain d’abord», c’était le nom du programme de Jean-Luc Mélenchon en 2012 !

Et alors ? Je me retrouve complètement dans la formule ! L'Humanité, ça a d'abord été le journal de Jaurès avant d'être celui du PCF. Nous avons heureusement beaucoup de points communs… Alors oui, le progrès humain d'abord ! Nous devons repenser le rapport au travail. Vous trouvez logique de passer votre vie à la gagner pour payer des gens qui s'occupent de vos enfants, ce que vous avez de plus cher, pendant que vous êtes au boulot ou dans les transports ? Nous devons aussi réfléchir à la révolution technologique, qui comporte de nombreux risques. Le numérique, c'est le meilleur et le pire : nous connecter avec ceux qu'on aime, mais aussi nous empêcher de compartimenter vie professionnelle et personnelle, au détriment de ceux qu'on aime…

Ce sont des projets pour les CSP +…

Pas seulement, parce qu’il faut qu’on s’attaque enfin aux temps de transport. Pour beaucoup de Français, les 35 heures effectives n’existent plus : il faut leur ajouter 20 heures de transport hebdomadaires…

Où trouver les idées pour vous renouveler ?

Les idées existent ! Les partis politiques n’en inventent pas souvent. Elles naissent dans le monde intellectuel, syndical, associatif, mutualiste… Notre rôle, c’est de les entendre et leur donner un débouché politique. Les grandes conquêtes des années 70 ont d’abord été inspirées par des groupes hors des partis. Le féminisme, Mai 68, ou les mouvements d’émancipation des minorités… Il faut rétablir ce lien avec la société civile organisée, ces groupes qui continuent à penser en dehors de nous, qui nous contestent et auxquels nous devons accepter de nous confronter. Nous devons accepter d’être dépassés. Les partis politiques ne sont ni prescients ni omniscients. Il faut travailler en réseau.

Vous êtes un ancien rocardien comme Edouard Philippe, Manuel Valls et Benoît Hamon. Qu’est-ce qui vous lie ?

Ce qui nous lie… (très long silence). Les rocardiens, c'est comme les trotskistes autrefois : il y en a partout ! Ce qui nous lie, c'est qu'on a quand même un rapport commun au réel et la volonté de ne pas prospérer sur l'illusion. Mais bon, vous pourrez mettre «long silence» (rires).

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