Pendant près d'un an, Cyprien a travaillé sur le développement de systèmes biologiques qui permettront de produire les ressources nécessaires aux équipiers des premières missions habitées sur Mars.

Pendant près d'un an, Cyprien a travaillé sur le développement de systèmes biologiques qui permettront de produire les ressources nécessaires aux équipiers des premières missions habitées sur Mars.

Christiane Heinicke

Coloniser un nouveau monde, chercher et peut-être découvrir la première forme de vie extraterrestre, vivre une expérience unique de pionnier spatial... Ça fait rêver (presque) tout le monde. Et quand la Nasa annonce vouloir y envoyer des astronautes vers 2030, ou quand SpaceX promet un premier vol dans les années 2020 et l'installation d'une colonie dans les décennies suivantes, le rêve semble pouvoir se réaliser.

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Dans cette optique, les expériences pour simuler "la vie martienne" se sont multipliées ces dernières années. L'une des plus longues à ce jour est la mission HI-SEAS IV. Encadrée par la Nasa, elle consistait à "comprendre les effets psychologiques de l'isolement prolongé" en enfermant six scientifiques pendant 366 jours -d'août 2015 à août 2016-, sous un dôme de 140m² planté sur les flancs du volcan Mauna Loa, à Hawaï.

Deux douches de 30 secondes par semaine

Cyprien Verseux, un Français de 27 ans, doctorant en astrobiologie, en faisait partie. Lors d'une conférence donnée à Sup'Biotech -son ancienne école- mardi 10 octobre, il a présenté son livre Vivre sur Mars (ed. Michel Lafon), dans lequel il revient sur sa mission: les joies et l'excitation, mais aussi les difficultés très terre-à-terre qu'il a dû surmonter. Car la planète rouge n'est pas seulement un rêve, c'est aussi une terre inhospitalière qui impose des contraintes fortes pour y survivre.

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Leurs communications étaient par exemple limitées -et retardées de 20 minutes, pour simuler la distance Terre-Mars-, le port de la combinaison spatiale était obligatoire lors des rares "sorties extravéhiculaires", et les ressources étaient bien sûr rationnées. Parmi elles, "l'eau était l'une des plus précieuses", souligne Cyprien Verseux. "On avait le droit à deux douches de 30 secondes par semaine maximum".

Cyprien Verseux Mars

Comparée aux éventuelles premières douches martiennes, celle-là est luxueuse.

© / Cyprien Verseux

Un compromis sur l'hygiène -et l'odeur- d'autant plus compliqué que l'équipage devait faire du sport quotidiennement pour entretenir ses muscles.

Toujours dans le but d'économiser l'eau et de recycler, les toilettes étaient sèches, c'est-à-dire sans chasse d'eau mais avec de la sciure de bois, ce qui permettait de récupérer les excréments pour le compost. Pas terrible non plus pour les odeurs.

"Chambres-placards"

Quant au confort, les adeptes du lit king size et ceux qui ne supportent ni ronflements ni "bruits de la vie", peuvent passer leur chemin. Parmi les photos souvenirs du dôme que Cyprien Verseux a conservées, l'une des plus marquantes est peut-être celle des six chambres en étoiles, "des sortes de placards [d'environ 2, 3m²], avec un lit une place et un petit espace pour les affaires personnelles, décrit-il. Mais on aimait s'y réfugier, car c'était le seul endroit où on était véritablement seul."

Cyprien Verseux Vivre sur Mars

Les "chambres-couloir"

© / HI-SEAS/Sian

Mais même-là, il fallait faire avec une isolation phonique très sommaire. "Je pouvais entendre chacun de mes coéquipiers et savoir où ils se trouvaient dans l'habitat", se rappelle-t-il.

Badges "espions" et caméra

Comme le but de la mission était de comprendre les effets psychologiques de l'isolement prolongé, "nous étions suivis quotidiennement par des scientifiques, confie-t-il aussi. Nous devions par exemple remplir des questionnaires, au moins huit par jour".

Cyprien Verseux Mars

"Que cette salle de bain brille à nouveau!". Cyprien Verseux, dans sa tenue de "combat" pour aller nettoyer la salle de bain.

© / Cyprien Verseux/Christiane Heinicke 2015

Mais ces questionnaires n'étaient pas la seule manière de suivre l'équipage. Les six scientifiques étaient aussi équipés de "badges espions", qui enregistraient leur rythme cardiaque, savaient quand ils parlaient, à qui et sur quel ton, etc. "Il y avait aussi des caméras dans l'habitat, mais pour nous, le vrai espion c'était surtout le badge", raconte l'exobiologiste.

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Finalement, "le plus difficile, c'était la monotonie: être toujours au même endroit, toujours avec les mêmes personnes, à répéter les mêmes tâches. Ce qui m'a aidé à surmonter ça, c'est la lecture et la musique, confie-t-il à L'Express. La lecture, parce que cela me permettait de me plonger dans des scènes survenues ailleurs, avec d'autres. La musique, parce que cela me demandait une telle concentration que j'oubliais où j'étais: je me concentrais pleinement sur les notes qui sortaient de mon ukulélé".

Prochaine mission: 10 mois en antarctique

Sans surprise la nourriture n'était pas luxueuse. Tout ou presque était lyophilisé, comme pour les astronautes de la Station spatiale internationale. "On avait des cubes de poulet déshydratée, du lait en poudre, de la crème en poudre, des soupes, des nouilles asiatiques et du riz à cuisson rapide", mais rien qui ne devrait surprendre "ceux qui ont été, comme moi, un étudiant surmené", note-t-il avec humour.

Malgré toutes ces difficultés, si c'était à refaire, Cyprien Verseux n'hésiterait pas. D'abord, il y a les nombreux très bons souvenirs de ses anciens coéquipiers, "les soirées cinéma ou jeux de société, l'apprentissage du ukulélé", mais aussi et surtout les sorties extravéhiculaire, pendant lesquelles il allait explorer les tunnels de lave du volcan Mauna Loa.

"Il devrait en avoir de bien plus grands sur Mars, ils seront de très bons abris naturels en cas de problème dans le cas d'une mission", explique le scientifique.Et puis il y a aussi, bien sûr, la fierté d'avoir participé à une aventure, à une mission qui sera utile aux futures explorations martienne. Au pire, "je suis devenu un meilleur colocataire", s'amuse-t-il.

Il aura l'occasion de le montrer lors de sa prochaine mission, qui débute en janvier 2018. Cette fois, il sera chef de station et glaciologue dans la très isolée base franco-italienne Concordia, en Antarctique, où il restera 10 mois pour "étudier le climat et l'atmosphère".

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