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ReportageAgriculture

Le vin lui aussi devient végane

Si surprenant que cela puisse paraître, des produits d’origine animale sont parfois utilisés en vinification. Et les certifications véganes se multiplient. Ethique ou marketing ? Reporterre enquête.

  • Beaumes-de-Venise (Vaucluse), reportage

« Le vin végane, c’est une corde de plus à notre arc », dit Gabriel Valverde, responsable en œnotourisme chez Rhonéa. Cette coopérative viticole rassemble, autour des Dentelles de Montmirail, 236 viticulteurs du Vaucluse sur 2.000 hectares en cru de Beaumes-de-Venise, de Vaqueyras et de Gigondas (Côte-du-Rhône) et en AOP Ventoux pour une production de 8 millions de bouteilles par an. « À partir du millésime 2017, l’ensemble de nos vins seront certifiés véganes, explique Rickman Haevermans, directeur des ventes, marketing et développement. Ce qui signifie que nous n’utilisons que des produits de vinification d’origine végétale. » Qu’elles contiennent du rouge, rosé, blanc ou muscat de Beaumes-de-Venise, les bouteilles se verront appliquer le logo V-label, attestant qu’elles ne contiennent pas de produits d’origine animale. Ce label est porté par l’European Vegetarian Union (Union végétarienne européenne), une organisation européenne à but non lucratif qui promeut végétarisme et véganisme.

Des produits d’origine animale dans le vin ? Le béotien qui pensait que le dyonisiaque nectar n’est fait que de raisin a de quoi être sidéré. Pendant la vinification, c’est à l’étape du collage qu’interviennent des produits le plus souvent d’origine animale mais qui peuvent aussi être de synthèse, végétaux ou minéraux. Le collage consiste à éliminer les particules en suspension dans le vin pour le rendre plus stable au niveau des arômes et esthétiquement. Un vin collé sera moins trouble et plus brillant. Les produits de collage agglomèrent les résidus pour les concentrer au fond de la cuve ou de la barrique. Autrement appelé clarification, le processus se termine par une filtration ou un soutirage. Il était déjà connu des Romains qui utilisaient du blanc d’œuf. Traditionnellement, dans le Bordelais, on ajoutait 5 à 8 blancs d’œufs par barrique de 225 litres. Les jaunes non utilisés ont donné naissance au cannelé, une pâtisserie réputée de la gastronomie bordelaise.

Aujourd’hui, les produits employés sont multiples selon les effets recherchés : colle de poisson, gélatine, caséine issue du lait, albumine provenant des œufs. Mais aussi, produit de synthèse comme la PVPP (pour polyvinylpyrrolidone). Ou, produit plus sain, la bentonite, qui est un argile. À Rhonéa, le produit utilisé est désormais à base de petit pois. « Les rouges du millésime 2016 étaient déjà certifiés. En 2017, nous étendons la certification aux blancs et aux rosés », précise Rickman Haevermans. D’autres coopératives ou châteaux réputés dans d’autres appellations s’y mettent aussi. Dans un marché international du vin de plus en plus porteur, cela peut permettre de se démarquer. « Notre appellation n’a pas la notoriété des bordeaux ou des côtes-du-rhône, la porte d’entrée pour accéder au marché international passe par la différenciation, par une logique de l’usage et non pas de l’appellation. Quand nous proposons des vins véganes par exemple, on répond à une population qui cherche un produit correspondant à un mode de consommation particulier », déclarait à l’AFP en avril Pierre Philippe, le directeur général de la coopérative des Vignerons de Buzet, dans le Lot-et-Garonne.

La sculpture « les Mains du vigneron », à Beaumes-de-Venise.

« Il y a une bulle végane. Le marché se développe surtout en Allemagne, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Scandinavie. Même des enseignes de la grande distribution commencent à en demander », raconte Rickman Haevermans, qui reçoit Reporterre en compagnie d’Olivier Brès, l’un des coopérateurs. « Le végane n’est pas pour autant l’élément constitutif de nos vins. Cela ne modifie pas le goût et on ne le vend pas plus cher », indique le responsable des ventes. La certification végane représente pour lui un plus. « Cela ne veut pas dire que nos vins doivent se boire non accompagnés de produits carnés. Ils sont pour tout le monde, donc y compris accessibles aux personnes qui souhaitent une consommation végane », explique-t-il.

Rickman Haevermans (à gauche), directeur des ventes de Rhonéa et Olivier Brès, coopérateur.

Certification végane ne rime pas nécessairement avec bonnes pratiques dans les vignes comme à la cave. « Le label végane n’est pas forcément bio et pas forcément durable, il indique juste qu’il n’y a pas de produit animal dans le vin », explique Rickman Haevermans. Il n’empêche donc en rien un viticulteur de recourir à des pesticides, des insecticides ou à toute autre pratique qui nuirait à la biodiversité. Charte paysagère, installation de ruchers, programme pour la préservation du foncier agricole, cuvées bio ou nature, ateliers internes pour la diffusion des pratiques en bio et en biodynamie… Chez Rhonéa, on s’efforce d’être vertueux dans une démarche de développement durable. « Selon les années, 15 à 20% des raisins qui entrent en cave sont bio », affirme Olivier Brès. Depuis 2010, le viticulteur est passé d’une culture conventionnelle au bio puis à la biodynamie certifiée Demeter. Aujourd’hui, il infuse ses pratiques auprès des coopérateurs, « y compris en conventionnel », et diffuse les plantes qu’il utilise pour le traitement de ses vignes. « On aide à utiliser le moins possible d’intrants », ajoute Gabriel Valverde.

Gabriel Valverde, responsable de l’œnotourisme et Olivier Brès, coopérateur chez Rhonéa.

De fait, d’autres vignerons pratiquent une vinification qui pourrait être qualifiée de végane. C’est le cas du Collectif anonyme qui applique autogestion collective, permaculture et biodynamie dans les Pyrénées-Orientales. « Vin naturel. Seulement un peu de sulfite ajouté — rien de plus. Non collé. Non filtré », affiche leur étiquette.

« Je ne comprends pas pourquoi il existe des vins non véganes » 

Pour ses rouges, Philippe Gimel, à la tête du domaine Saint-Jean-du-Barroux en appellation Ventoux et en bio depuis 2003, ne passe pas par l’étape du collage. Il fait une « filtration tangentielle, qui est un processus physique et non pas chimique », donc sans ajout « d’artifices œnologiques ». Pour les blancs, il utilise de la bentonite avant de soutirer. « Il y a 3 ans, une importatrice du Canada m’a demandé si je faisais du vin végane. Est-ce que, d’un point de vue marketing, c’est intéressant de l’indiquer sur l’étiquette ? Il faut que je demande l’avis à mes importateurs », s’interroge le vigneron qui exporte 80 % de ses 50.000 bouteilles annuelles. « Le collage permet d’enlever des tanins trop verts, astringents, amers, qui proviennent de fruits qui manquent de maturité. Moi, j’attends la maturité, qui donne une qualité au meilleur des tanins », explique Philippe Gimel, attaché à « tenir naturellement cette élégance ».

Philippe Gimel au domaine Saint-Jean-du-Barroux.

Pour ses vins, « c’est logique et ça a peut-être un intérêt de mettre végane sur l’étiquette », commente Thomas Jullien, qui incarne la troisième génération du domaine de la Ferme Saint-Martin, à Suzette, l’un des quatre villages de l’appellation Beaumes-de-Venise. « Je ne comprends pas pourquoi il existe des vins non véganes », dit-il. Puis, il préconise « de ne pas coller du tout les vins. Le collage, c’est pour un aspect visuel et pour que les arômes soient plus nets. Au contraire, le dépôt nourrit le vin et l’aide à évoluer en bouteille, ce qui offre des arômes complexes. Lorsque l’on ouvre une bouteille, ils évoluent du premier au dernier verre. C’est le but du vin vivant. Mais, s’il y a trop de dépôt, cela peut faire des mauvais goûts ». Alors, pour trouver l’équilibre, Thomas Jullien laisse le temps à ses rouges de décanter en cuve avant d’appliquer « un filtrage sur 5 % du fond ». Il filtre légèrement ses blancs, « parce tout le monde n’est pas prêt à consommer un vin blanc complètement trouble ». De la vigne jusqu’à la cave, Thomas Jullien revendique de faire « des vrais vins, des vins normaux ». S’il n’indique ni « vin nature » ni « vin végane » sur l’étiquette, c’est que son but est de « faire des vins qui plaisent à l’ayatollah du vin nature, comme au sommelier ou au consommateur qui achète sa bouteille au supermarché ».

Vue sur le village de Suzette et les Dentelles de Montmirail.

« Le vin bio et le vin nature, ce n’est que du marketing », considère Catherine Vergé, qui en pense tout autant d’une certification végane. Elle est à l’origine de l’association des vins S.A.I.N.S : « sans aucun intrant ni sulfite », « sur toutes les cuvées, tous les ans ». Les adhérents à l’association, « une quinzaine en Europe », font des vins « 100% raisins », selon la vigneronne de Viré-en-Mâconnais (Saône-et-Loire). « Le collage est fait pour aller plus vite », juge Catherine Vergé, qui oppose une clarification « naturelle, par le poids ». Soit laisser le vin dans la cuve le temps que le dépôt rejoigne le fond. Elle est « sortie du bio » en 2012, constatant une « régression de l’agriculture biologique » dans l’évolution des normes européennes. Ses principaux ennemis sont « le souffre à la vigne et le sulfite dans le vin. Trop de gens ne savent pas qu’il y a d’autres choses que du raisin dans le vin », lance-t-elle en guise d’invitation à en savoir plus sur la conception de ce produit.

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