Quand Rushdie fait de Trump un héros de roman

Rushdie ©AFP - MICHAEL LOCCISANO
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Pour mieux viser sa cible, le célèbre romancier anglo-indien démultiplie Trump en plusieurs personnages.

Quand Salman Rushdie publie un nouveau livre, c’est toujours un événement. Mais The Golden House, qui vient de paraître en anglais fait spécialement parler - et écrire. Parce que Rushdie aura été le premier romancier à s’emparer du sujet « Trump ». Avec ce roman, The Golden House donc, Salman Rushdie décroche, selon la New York review of Books, la médaille de l’écrivain le plus rapide de l’Ouest. Pensez donc : Donald Trump n’avait pas encore achevé son neuvième mois à la Maison blanche que l’auteur, mondialement célèbre des Versets sataniques faisait du président américain le sujet d’une fiction.

Comment rendre compte d'un personnage aussi retors ?

Nathaniel Rich, qui signe cette étude dans la New York Review of Books observe d’emblée qu’il a fallu bien du talent à Rushdie pour cerner les contours d’un personnage aussi extravagant et versatile. Surprendre fait partie de la stratégie de communication de celui que la presse du monde entier a surnommé Mr Unpredictable. Il arrive, en effet, au président américain de démentir d’un twitt, le soir, ses propos du matin. Trump n’est jamais là où on croyait le trouver. Il est terriblement ambigu, retors : comment le comprendre et en rendre compte ? La solution retenue par Salman Rushdie consiste à le démultiplier. Dans The Golden House, aucun des personnages ne porte le nom de Donald Trump. Mais celui-ci est comme diffracté en plusieurs personnages. Manière habile de suggérer la multiplicité des facettes du sujet Trump. On relèvera que Rushdie a placé en exergue de son livre une citation en français. « La vie a beaucoup plus d’imagination que nous. » Elle est attribuée à notre François Truffaut national. Manière d’insinuer que, nos jours, l’extravagance est bien davantage dans la réalité que dans la fiction.

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Depuis Truman Capote au moins, la fiction est utilisée par les romanciers américains, pour décrypter l’histoire contemporaine. L’imagination du romancier est censée faire la lumière sur les zones d’ombre, révéler les angles morts, avoir l’intuition de ce que ni le journaliste ni l’historien ne sont en mesure de démontrer. C’est ce qu’Ivan Jablonka a nommé « littérature du réel ».

Des fictions qui éclairent les zones d'ombre de l'histoire

Autour d’événements majeurs de leur histoire, comme l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, la guerre du Vietnam, ou l’attentat des Twin Towers, de grands écrivains comme William Styron, Don DeLillo, Phillip Roth ou même l’auteur de polars James Ellroy se sont servis des outils de la fiction pour donner à comprendre. En mettant en perspective ces moments-clés de l’histoire de leur pays, ils offrent des plongées surprenantes dans des domaines beaucoup plus vastes : les mentalités, la société américaine, ses névroses et les échecs à répétition du fameux « rêve américain ». Certains de ces romans parviennent à restituer l’ambiance d’un moment.

Cela donne parfois des résultats spectaculaires, comme Le bûcher des vanités de Tom Wolfe. Paru en 1987, ce roman construit autour d’un personnage « larger than life », comme on dit en anglais, passe à juste titre pour l’un constats les plus exacts que l’on puisse dresser de la société américaine des années 1980. Ce fut le grand roman des années Reagan. D’après les critiques, Salman Rushdie nous livre-t-il un équivalent du fameux roman de Tom Wolfe à propos des années Trump ?

L'Amérique des identités et ses bulles

Bien sûr, il est bien trop tôt pour vouloir dresser un tel tableau. On ne sait pas encore dans quel état Trump va laisser les Etats-Unis. Mais ce que Rushdie a cherché à faire, par le biais de la fiction, c’est rendre compte de ce qui a rendu possible l’élection de Donald Trump. Pour y parvenir cet auteur, qui vit aujourd’hui à New York, se sert de son statut d’étranger, d’Anglo-indien. Il aborde les Etats-Unis en ethnologue. Et ce qu’il décrit c’est une Amérique où sont juxtaposées des « bulles ». Les habitants des Etats-Unis, relève-t-il, sont littéralement obsédés par leurs identités. Autour de chacune d’entre ces dernières, se construit une bulle. Rushdie invente un Musée de l’Identité où travaille l’un de ses personnages, jeune femme dont le boy-friend a lui-même des problèmes d’identité sexuelle… Et bien sûr, ces produisent de l’isolement. On voit les autres, mais on ne les entend pas. Si l’on comprend bien, le succès de Trump tient à ce qu’il a su construire une telle « bulle », une bulle énorme, à l’intérieur de laquelle ses partisans jubilent de ses provocations.

Le héros central de cette fiction s’appelle Nero Golden et ce n’est pas son vrai nom. Il dissimule sa véritable identité. Mais enfin : c’est un milliardaire qui a posé les fondations de sa fortune dans l’immobilier, avant de se lancer dans l’industrie du divertissement et de devenir un « people ». Il fait partie de ces personnalités télévisuelles, « célèbres de leur célébrité », dont la notoriété est devenue telle qu’ils peuvent labelliser leur nom pour en tirer de substantielles royalties. Car leurs noms sont devenus des marques qui permettent de vendre n’importe quoi, depuis des immeubles ou des casinos jusqu’à l’humble hamburger.

Ce même Nero Golden a trois fils, de deux épouses différentes et il est remarié avec un ex-mannequin d’Europe centrale. Quand on vous aura dit en outre que c’est « un homme habitué à foncer vers les portes sans ralentir, sachant que, pour lui, elles s’ouvriront ». Qu’il est lié au crime organisé et ne respecte rien, sinon les qualités qu’on apprécie dans la maffia : la force et la loyauté. Que cet apolitique se passionne soudain pour la campagne présidentielle de 2012, celle de la réélection d’Obama, en s’engageant du côté républicain, vous n’aurez plus aucun doute : Nero Golden est Donald Trump.

Pas si vite ! Dans le nouveau roman de Rushdie, le candidat à la Maison Blanche n’est pas Nero Golden, mais un personnage à moitié fou et à cheveux verts, désigné par le surnom « The Joker ». Nous voici dans la Gotham City de Batman. N’oublions pas que c’est un romancier qui a donné ce surnom à la Grande Pomme, Washington Irving, au XIX° siècle. Décidément, la fiction ne cesse de se mêler à la réalité….

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