L'intelligence artificelle envahit peu à peu notre vie quotidienne. Finance, santé, loisirs... une révolution est en cours. Aux Etats-Unis et en Asie, les géants du web sont en pointe dans cette technologie. Laurent Alexandre, chirurgien et fondateur de Doctisimmo.fr, s'inquiète du retard pris par la France et l'Europe dans ce secteur. Business, emplois, dangers... il nous éclaire sur les enjeux de l'intelligence artificielle.

Capital : A quoi sert l’intelligence artificielle ?
Laurent Alexandre :
L’intelligence artificielle rassemble tous les programmes qui permettent de faire mieux que ce que l’on pensait réservé à l’esprit humain.

A partir de quand la machine deviendra-t-elle plus intelligente que l’homme ?
L’intelligence artificielle est un sujet majeur pour l’avenir de l’humanité et pourtant, lorsqu’on interroge les cent meilleurs spécialistes, il n’y en a pas deux qui ont la même opinion. Dans l’histoire des idées et de la technologie, il n’y a jamais eu une telle absence de consensus parmi les experts. L’Américain Elon Musk, le créateur de Tesla, a une vision pessimiste et inquiète, de même que le Chinois Ma, le fondateur du site de commerce en ligne Alibaba. A l’opposé, Tim Cook, le patron d’Apple, ou Mark Zuckerberg, de Facebook, n’évoquent jamais les risques de l’intelligence artificielle. Les dirigeants d’IBM aussi se montrent rassurants et démentent qu’elle puisse acquérir des capacités surhumaines.

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Laurent Alexandre. - ©Bruno Coutier / GNQ / Picturetank.
  • Laurent Alexandre : Né en 1960, ce chirurgien et urologue est diplômé d'HEC et de l'ENA. Il prophétise l'immortalité grâce aux progrès de l'informatique, de la médecine et des nanotechnologies. En 1999, Il fonde Doctissimo.fr, le site Web consacré aux questions de santé, qui cède à Lagardère en 2008 pour 139 millions d'euros. En 2010 : après un engagement aux côtés de libéral Alain Madelin, il rachète DNAVision, la société belge de séquençage d'ADN qu'il dirige aujourd'hui.

Faut-il néanmoins y voir un danger potentiel ?
La concurrence entre entreprises et entre Etats exclut qu’on arrête les recherches sur l’intelligence artificielle. Cela rend toute régulation extrêmement ardue. Elon Musk a lancé un cri d’alarme cet été et a réclamé une régulation américaine forte, mais plusieurs dirigeants de la Silicon Valley ont immédiatement rétorqué que les Etats-Unis allaient ainsi laisser le champ libre à la Chine pour devenir la première puissance mondiale.

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>> En vidéo - 2 minutes pour mieux comprendre l'intelligence artificielle :

L’intelligence artificielle est-elle aussi une immense source de business ?
Ce sera comme l’électricité en 1900. L’électricité elle-même est un petit business mais elle conditionne tout le reste. De même que l’intelligence artificielle : l’essentiel est ce qu’elle va permettre de faire. Elle va induire une vraie révolution des processus de production, y compris dans des domaines comme la santé.

Nos sociétés ne semblent pas prêtes à vivre cette révolution…
Il y a un début de débat autour du chômage et de l’emploi, sur le thème : l’intelligence artificielle et les robots vont voler notre travail. Cette crainte n’est pas rationnelle, pour deux raisons. D’une part, elle suppose qu’on va tout de suite avoir des robots polyvalents, ce qui n’est pas le cas. Les emplois industriels répétitifs sont menacés mais les robots polyvalents capables de remplacer une femme de ménage ne seront pas là avant 2030. D’autre part, on se leurre, comme d’habitude, en supposant que l’automatisation va entraîner la fin du travail : il y a une myriade de nouveaux métiers à inventer. En 1930, le maire de Palo Alto, en Californie, a écrit au président de l’époque, Herbert Hoover, une lettre l’implorant de prendre des mesures contre la technologie qui allait détruire la société américaine et les emplois. On connaît la suite : Palo Alto est devenu le cœur même de la Silicon Valley et donc de l’économie mondiale !

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>> À lire aussi - L’intelligence artificielle, moteur de la croissance mondiale

Comme les précédentes révolutions industrielles, l’intelligence artificielle créera-t-elle plus d’emplois qu’elle n’en détruira ?
Nous connaissons les métiers qui vont disparaître, chauffeurs de taxi ou de poids lourds par exemple. Mais nous ne connaissons pas les métiers de 2030. Il y a maints exemples de professions d’aujourd’hui qui n’étaient pas envisagées une seconde il y a vingt ans : les gens qui fabriquent des smartphones, qui créent des applis, qui sont webmasters, qui font du marketing digital… Par définition, nous ne connaissons pas les métiers du futur; si nous les connaissions, des entrepreneurs auraient déjà créé des emplois correspondants. En outre, nous raisonnons à mission constante de l’humanité. Nous ne voyons pas que, avec l’intelligence artificielle, nous allons pouvoir faire de nouvelles choses dans les décennies et les siècles qui viennent : conquérir le cosmos, retarder la mort, augmenter notre cerveau…

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L’intelligence artificielle risque d’accentuer les inégalités…
Comme l’intelligence artificielle va être bon marché, alors que l’intelligence humaine est très chère, les gens les moins doués et les moins innovants risquent d’être laissés de côté. Or le but de toute économie libératrice – et non prédatrice – est de réduire les inégalités. Cela passe donc par la réduction des inégalités intellectuelles, d’abord par les méthodes traditionnelles que sont l’éducation et la formation. Mais la société ne s’en contentera pas. Je suis persuadé qu’on va utiliser la technologie, une fois qu’elle le permettra, pour augmenter les capacités intellectuelles des gens.

>> La question Polémik - Les robots, une chance pour l'homme ?

Pourquoi est-ce nécessaire ?
La démocratie ne survivra pas si les écarts actuels de quotient intellectuel (QI) et de capacité intellectuelle se maintiennent. Dans une société où l’intelligence artificielle est quasi gratuite, il y a de la place pour des gens polyvalents, malins, entreprenants, créateurs, artistes, etc. Or, même si ce n’est pas politiquement correct de le dire, il existe aussi des gens moins malins, moins innovants, pas transversaux. Ces gens-là vont être dans une extrême difficulté. Il va falloir les aider.

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Comment augmenter le cerveau ?
D’abord en se nourrissant sainement, en ne fumant pas, en ne picolant pas trop, en ne prenant pas de haschisch, en faisant du sport, en lisant, en faisant des études. Tout cela est une façon d’augmenter naturellement son cerveau. Ensuite, il faut améliorer l’école. Le QI moyen en France est de 98, alors qu’il est de 108 à Singapour. La différence n’est pas génétique. Avant, le niveau des Singapouriens était inférieur au nôtre. Mais eux ont modernisé l’école et paient très bien leurs professeurs… Nous faisons le contraire™ ! Le QI moyen baisse en France alors qu’il explose en Asie. Avant de parler de "neuro-enhancement", d’augmentation du cerveau, il faut arrêter le naufrage de nos propres capacités intellectuelles. A l’ère de l’intelligence artificielle, le QI ne peut pas être un tabou.

>> À lire aussi - Elon Musk : comment il veut implanter des puces dans notre cerveau avec Neuralink

Seuls les Américains et les Chinois sont dans la course à l’intelligence artificielle. C’est inquiétant pour les Européens…
Nous sommes devenus une colonie numérique et ne progresserons pas si nous continuons à être mauvais, à geindre et à avoir une législation ultraprotectrice pour le consommateur mais hostile aux industriels. Il faut regarder les choses en face™ : si nous sommes des crapauds numériques, ce n’est pas à cause d’un complot mondial, ni à cause des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui tricheraient. C’est parce que les Gafa sont excellents et que nous sommes nuls.

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Cela fait vingt ans que les Européens ne voient pas arriver Internet et l’intelligence artificielle. Vingt ans qu’on a des gouvernements et des autorités administratives indépendantes de type Cnil qui ne comprennent pas la partie en train de se jouer. En face, on a des acteurs américains et chinois qui sont d’une intelligence et d’une détermination extrêmes. Nous, nous avons 28 législations particulières en Europe, 28 Cnil, nous avons toujours réfléchi à la protection du consommateur, mais jamais à la constitution de bases de données industrielles. Si on empêche les firmes du Vieux Continent de constituer de telles bases, on ne pourra jamais avoir d’intelligence artificielle à nous, puisque ce sont les données qui permettent aux machines d’apprendre.

>> En vidéo - Le point sur le marché de l'intelligence artificielle :

Retrouvez toutes les vidéos de Xerfi sur XerfiCanal TV. Le groupe Xerfi est le leader des études économiques sectorielles. Retrouvez toutes ces études sur le portail de www.xerfi.com. Et notamment l'étude sur le marché de l'intelligence artificielle.

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Comment rattraper le retard ?
Il faut arrêter d’avoir des responsables politiques qui ne comprennent pas l’économie des données. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, s’est vanté récemment de ne pas avoir de smartphone. Avec ça, comment voulez-vous qu’on progresse™ ? Tant qu’on n’aura pas un geek à la tête de l’Europe, on ne risque pas d’avoir une législation adaptée à l’intelligence artificielle. Il faut sortir du déni de réalité, faire un bon diagnostic stratégique et se mettre à bosser. Sinon, on va couler.

Est-ce la faute d’une législation trop restrictive ?
L’Union européenne a toujours raisonné comme si l’intelligence artificielle allait être produite par les sociétés de services et d’ingénierie en informatique (SSII) et que c’était du code. Elle n’a jamais compris qu’il ne s’agissait pas de codes, mais qu’il fallait des plates-formes récoltant des données. Les données, ce ne sont pas des champignons qu’on va cueillir en forêt. Il faut que des consommateurs vous les donnent et pour cela, il faut des plates-formes Web. On n’en a pas. Nous avons de bonnes SSII, comme le français Atos, mais celui-ci n’a pas de contact avec le consommateur final et ne récolte donc pas de données. Quand on veut de l’intelligence artificielle, il faut des milliards de données. L’Europe ne s’est occupée que de la défense du consommateur et du droit de la concurrence, elle n’a jamais cherché à créer un grand marché européen de la data.

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Votre recette, ce serait d’une part de libéraliser le marché des données, et de l’autre de tout miser sur l’éducation et la formation ?
Oui, à l’échelle de l’Europe. Celle-ci est en déclin relatif alors qu’il y a dix ans à peine, en matière de télécoms, elle était le centre du monde. Elle ne comprend pas que le pouvoir lui échappe. En France, quand on débat de Google, on se demande où il paie ses impôts. Or ce n’est pas le seul problème™ ! Le vrai défi, c’est d’avoir des Gafa en Europe. Les réponses protectionnistes ne peuvent pas nous faire avancer.

>> À lire aussi - Non, les robots ne vont pas tuer l’emploi

Propos recueillis par Luc de Barochez