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DÉSINTOX

Expulsions des étrangers : 4 intox en 10 secondes pour Dupont-Aignan

Lundi, le président de Debout la France a raconté n'importe quoi sur l'expulsion des clandestins, la double peine, la suppression du délit de séjour…
par Pauline Moullot
publié le 17 octobre 2017 à 18h33

INTOX. Au grand bingo des intox sur les expulsions d'étrangers en situation irrégulière, Nicolas Dupont-Aignan a fait carton plein. Presque aussi bien qu'Eric Ciotti la semaine dernière sur le même sujet. Voici ce qu'il a déclaré chez David Pujadas, lundi soir : «Vous savez très bien qu'on n'expulse pas en France. Un clandestin devrait être expulsé sans avoir commis de délit. Il ne l'est plus [expulsé, ndlr] depuis 2013 parce qu'on a enlevé la qualification de délit, ce qui était une folie. J'ajoute même que je suis pour revenir sur la suppression de la double peine qu'avait faite Nicolas Sarkozy. J'estime qu'un étranger qui commet des délits doit être expulsé, comme dans tous les pays du monde.»

DÉSINTOX. Nous avons donc une intox toutes les trois secondes.

1) Des étrangers sont encore expulsés, et pas moins qu’avant 2013

Première contre-vérité : affirmer qu'on n'expulse pas en France un étranger qui n'a pas commis de délit. En 2016, 12 961 étrangers en situation irrégulière ont été expulsés. Ce n'est peut-être pas assez de l'avis de Dupont-Aignan, mais ce n'est pas rien. Et ce n'est absolument pas moins qu'avant 2013.

2) La suppression de la qualification de délit n’a pas eu l’incidence que suggère Dupont-Aignan sur le nombre d’expulsions

Si le délit de séjour a bien été supprimé par la loi du 31 décembre 2012, cela signifie simplement qu'un étranger sans-papiers ne peut plus être considéré comme un délinquant et être placé en garde à vue uniquement car il est en situation irrégulière sur le territoire. Cela ne veut pas dire qu'un étranger ne peut être éloigné du territoire. Avec la suppression du délit de séjour, une «retenue» de seize heures pour vérification d'identité a été créée pour remplacer la fin de la garde à vue. Il s'agit du «temps strictement exigé par l'examen de son droit de circulation ou de séjour et, le cas échéant, le prononcé et la notification des décisions administratives applicables», c'est-à-dire des décisions d'éloignement du territoire. Un étranger qui ne peut se justifier d'être entré de manière régulière sur le territoire ou de s'être maintenu au-delà de la validité de son visa peut ainsi faire l'objet d'une reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français.

3) Ce n’était pas une folie de supprimer la qualification de délit, c’était inévitable

Nicolas Dupont-Aignan affirme que «c'était une folie» de supprimer le délit de séjour. Désintox avait déjà épinglé Ciotti (encore lui) qui accusait le gouvernement socialiste d'être responsable de cette mesure. Procédons donc à un petit résumé pour le député de l'Essonne. Si le délit de séjour a été supprimé depuis une loi du 31 décembre 2012, c'est surtout parce que la France était obligée de se mettre en conformité avec une directive européenne. En 2011, deux arrêts de la Cour de justice européenne (CJUE) ont jugé que «l'emprisonnement d'une personne en séjour irrégulier est contraire à l'objectif d'éloignement», les juges s'appuyant sur l'article 8 de la directive européenne dite «retour» pour prendre cette décision, confirmée par la Cour de cassation. Celle-ci a confirmé les arrêts de la CJUE et interdit en juillet 2012 le placement en garde à vue des sans-papiers pour le seul motif de séjour irrégulier.

Le gouvernement a alors été obligé de trouver un nouveau dispositif. C'est chose faite avec la loi «relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées» qui supprime donc la garde à vue (et porte à seize heures maximum la durée de «retenue» en commissariat) et le délit de séjour. Plutôt qu'une folie, la France s'est donc mise en conformité avec la décision de la Cour de cassation. C'est d'ailleurs ce qu'expliquent les motifs du projet de loi, et ce que rappelle une circulaire de 2013 relative aux dispositions de cette loi.

4) La double peine n’a jamais été supprimée

Dernière intox, faire croire que la double peine a été supprimée. Contrairement à cette idée reçue répétée régulièrement par l'extrême droite, Nicolas Sarkozy n'a pas supprimé la double peine, qui permet de reconduire un étranger condamné à la frontière une fois sa peine purgée. En fait, celle-ci a seulement été aménagée. Aujourd'hui, près de 300 délits et crimes peuvent entraîner une interdiction du territoire français (ITF), du trafic de stupéfiants au viol, le crime contre l'humanité ou le travail illégal. En 2003, Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, n'a fait que créer de nouvelles catégories de personnes «sous protection» qui ne peuvent pas être soumises à l'ITF. Il s'agit des étrangers arrivés en France avant leurs 13 ans, ceux qui résident en France depuis plus de vingt ans ou des conjoints ou parents de ressortissants français sous certaines conditions. L'ITF a donc été réformée, mais pas supprimée. En 2015, selon les derniers chiffres de la justice, un peu plus de 1 900 ITF ont été prononcées (1 813 pour des délits – quasiment pour moitié liés aux stupéfiants – et 104 pour des crimes). Que ce soit sur l'expulsion des sans-papiers, la suppression du délit de séjour ou de la double peine, Nicolas Dupont-Aignan a donc réussi à raconter n'importe quoi.

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