Harcèlement sexuel : chez Viol Femmes Info, le standard explose

Depuis trente-et-un ans, le collectif Viol Femmes Info accueille la parole de femmes victimes de harcèlement et violences sexuelles.

    La voix, dans le combiné, est en miettes. «Je pardonne trop, je fais trop facilement confiance», lâche Camille* entre deux sanglots. Cette quadragénaire a été violée chez elle, par son compagnon, rencontré il y a deux ans. Elle a porté plainte, mais ses enfants étudiants ignorent encore tout. L'idée de devoir leur parler la plonge dans une terrible angoisse. Lucie, au bout du fil : «Non, vous n'êtes pas naïve ou trop gentille. Vous n'y êtes pour rien. Il y a des femmes très puissantes à qui cela arrive aussi. Vous êtes très courageuse de passer ce coup de téléphone.»

    Au Collectif féministe contre le viol, qui tient depuis trente-et-un ans une permanence téléphonique pour accueillir la parole des femmes sur les violences sexuelles, on n'hésite pas à qualifier d'«héroïnes» celles qui sortent du silence. Elles sont de plus en plus nombreuses : depuis que déferle l'affaire Weinstein, le standard explose. En 2011, les appels avaient doublé après l'arrestation de DSK. Aujourd'hui, une nouvelle étape est franchie : «La parole se libère comme jamais, ce qui se passe est prodigieux, estime Lucie Sabau, chargée de mission au collectif. Des femmes, connues de tous, racontent précisément la stratégie des agresseurs sexuels, qui est toujours la même. Et cela fait écho pour d'autres.»

    «C'est important de nommer ce dont on parle»

    Mais passer le mur de la honte reste extrêmement difficile. Françoise* s'est confiée à sa famille mais n'a jamais ébruité au travail ce cauchemar vécu le jour où un de ses collègues de bureau, croisé aux toilettes, a tenté de l'attirer par la force dans une cabine. C'était il y a des années, mais c'est lundi qu'elle a choisi de décrocher son téléphone. «Bonjour, je ne sais pas trop pourquoi je vous appelle», commencent souvent les femmes, quand une voix les accueille par la formule : «Viol Femmes Info, bonjour.»

    Les écoutantes, un gros classeur de coordonnées toujours à portée de main, ne raccrochent jamais sans avoir orienté leurs interlocutrices vers une association près de chez elles, pour trouver l'aide psychologique adéquate ou entamer des démarches juridiques. Elles indiquent aussi des sites spécialisés où s'informer, comme Memoiretraumatique.org. Mais, surtout, elles écoutent et reformulent. «C'est important de nommer ce dont on parle : viol, agression, harcèlement, remarque Lucie. On a tellement dit aux femmes à propos de ce collègue ou de cet oncle qu'il est un peu lourd mais pas méchant, ou d'un tempérament tactile... Quand elles nous arrivent, les mots sont à l'envers.»

    Au bout du fil, Camille a séché ses larmes. «Qu'est-ce que vous pourriez faire, là, pour vous récompenser de votre courage ?» demande Lucie. L'intéressée ne sait pas. Aucune envie. Même le soleil, dehors, lui semble de trop.

    * Les prénoms ont été changés.