François Bougon. “Xi Jinping, un conservateur qui mêle les héritages communiste et impérial”
Le journaliste François Bougon, auteur du livre “Dans la tête de Xi Jinping”, décrypte le logiciel idéologique du président chinois.
Le 19e Congrès du Parti communiste chinois s’ouvrira le 18 octobre. Xi Jinping en profitera-t-il pour asseoir son pouvoir ?
François Bougon : Pour Xi Jinping, c’est l’occasion de conforter son pouvoir au sein du parti. À la différence de son prédécesseur, Hu Jintao, un apparatchik terne, c’est une forte personnalité qui a beaucoup réinvesti le champ idéologique. Il va se présenter comme un « penseur » du socialisme chinois. Non qu’il en ait une pensée propre, mais il redonne force et légitimité à l’héritage du parti communiste. Chaque secrétaire général tente de laisser sa marque quand il part. Alors qu’il s’apprête à être investi pour un second et a priori dernier mandat de cinq ans, il va donc décider de son « slogan ». Il tournerait autour de la « gouvernance Xi Jinping », un concept ésotérique destiné à résumer son intention, celle de gouverner la Chine pour qu’elle devienne la première nation mondiale. On fait parfois de lui le nouveau Mao. Il opère plutôt une revisitation mythifiée du maoïsme des années 1940-1950, considéré comme un âge d’or du Parti, celui des premières années du pouvoir. Il convoque souvent la Longue Marche effectuée par les aînés. Qu’il appartienne à la noblesse révolutionnaire, fils d’un « prince rouge » – son père Xi Zhongxun était un guérillero de la première heure –, est un élément important de ce storytelling. C’est un conservateur qui mêle les héritages communiste et impérial. L’une de ses expressions favorites, plus grand public, est le « Rêve chinois », qui convoque à la fois le nationalisme et un discours anti-occidental dans l’espoir de retrouver la splendeur d’antan. Xi Jinping a dans la tête qu’au XVIIIe siècle, l’empire du Milieu était une puissance mondiale, à l’origine de grandes découvertes comme la poudre ou le papier, et que les Occidentaux l’ont fait chuter. Dans sa vision, le Parti a pour mission de guider la nation sur cette voie du « renouveau ».
Comment a-t-il constitué son socle idéologique ?
Il fait flèche de tout bois. Outre Marx et Mao, il convoque des auteurs classiques très différents, de courants parfois opposés. L’un de ses préférés, Han Fei Zi (mort en 233 av. J.-C.), qu’on présente souvent comme le « Hobbes chinois », est l’une des figures de proue du légisme. Ce courant de pensée repose sur l’idée que la loi est au-dessus de l’homme. Il prône un État « par le droit » et non « de droit ». Selon lui, une loi forte et des châtiments sont nécessaires pour que la société fonctionne. Xi Jinping ravive aussi le confucianisme, dont il retient une interprétation très conservatrice, prônant la piété filiale et le respect de l’ordre, qui a longtemps servi l’idéologie impériale. Sous bien des aspects, il est un anti-Gorbatchev. Il veut tenir le champ idéologique sans offrir aucune ouverture aux idées démocratiques.
L’ouverture économique du pays n’a-t-elle pas signé, de fait, la fin du Parti ?
La période de forte croissance, qui s’est réalisée au détriment de l’environnement, avec un modèle fondé sur un capitalisme pur et dur accompagné de bas salaires, a fait son temps. Xi Jinping doit réfléchir à l’avenir du Parti qui fait face à la montée des inégalités. C’est pourquoi il mène une offensive idéologique. Le double traumatisme de la répression de Tiananmen, en 1989, et de la chute du régime soviétique, deux ans plus tard, l’a profondément marqué. Aujourd’hui, le Parti communiste chinois se prévaut d’avoir non seulement survécu, mais d’être en mesure d’apparaître comme une alternative au modèle occidental. Il profite de la faiblesse des démocraties occidentales. Il est éloquent que Xi Jinping ne parle plus de « modèle » mais de « solution chinoise ».
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