Article proposé par Exponaute

À l’Orangerie, Dada est Tatou, Tout est Africa !

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Publié le , mis à jour le
Depuis ce mercredi, le musée de l’Orangerie a des airs de galerie moderne. Ce serait la maison joyeuse, ironique et bordélique des dadaïstes. S’y croiseraient les Arp, Picabia, Duchamp, Aragon, Höch, Apollinaire, Janco et Man Ray… entre les masques de bois, les perles et les sculptures d’ivoire. Leurs dialogues fusent de fait entre les murs du musée au rythme des danses et des tambours qui inspiraient et que détournaient les artistes.

Man Ray, Noire et blanche, 1926, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne © Man Ray Trust © Adagp, Paris 2017. Cliché : Adagpo Image Blank

D’autres éclats que la guerre

Déjà, il y a l’éclat d’une peau nue sur un fond rouge par Picasso, 1906. Devant, une tête d’homme sculptée par Karl Schmidt-Rottluff, 1917. Les formes pleines, les renflements tombant et le doux rayonnement du corps font un écran sensible aux ombres mélancoliques du visage en bois, la forme affaissée de ses sourcils et ses volumes en facettes.

Voilà pour l’introduction. Les artistes font alors la découverte solaire des formes considérées comme « barbares » et « archaïques » par l’Occident. Une voie radieuse et radicale sur laquelle ils commencent seulement à s’aventurer.

Tristan Tzara, Chanson du Cacadou de la tribu Ananda, 1917 © Chancellerie des Universités de Paris – Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Photo : Suzanne Nagy / Christophe Tzara

Elle prend bientôt un nom et s’étend à une géographie internationale. C’est en février 1916 qu’est inauguré le Cabaret Voltaire à Zurich. Il est imaginé par le poète Hugo Ball, bientôt rejoint par Jean Arp, Sophie Taeuber, Tristan Tzara, Marcel Janco, Hans Richter… Zurich, New York, Paris, Berlin, deviennent leurs foyers, la nébuleuse Dada naît !

Naît hors de la guerre. « Du coton dans les oreilles », déconcertants d’humour, les artistes aux beaux-arts s’abandonnent, projettent images et vers de toutes matières contre les canons qui tonnent. Il faut rire malgré tout. Dans l’alcôve de la première salle est exhibé Le Petit bourgeois Heartfield redevenu sauvage de George Grosz, sculpture électro-mécanique de 1920. C’est un mannequin de tailleur habillé d’un couteau, une fourchette, un revolver. Prothèses absurdes et tête d’ampoule. Il n’a qu’une jambe et sur le poitrail une médaille.

Les pages les plus enthousiastes

Cette manière d’imbriquer les objets est inhérente à l’art Dada. Les formes de l’Afrique et de l’art moderne se combinent bientôt aussi librement.

Artiste inconnu, Statuette masculine, Baoulé, Côte d’Ivoire, fin XIXe siècle © Collection particulière

À partir de 1915 les amateurs des formes dites « nègres » cassent les chaînes de la hiérarchie des arts et puisent à leur source à loisir. Parmi eux, Carl Einstein, l’auteur de La Sculpture Nègre, est un des premiers à reconnaître la valeur esthétique de l’art africain, qu’il élève au rang de l’art européen. Devant les exemplaires de son ouvrage, une petite figure pensante au corps rebondi en trois plis. C’est l’amulette d’ivoire ou dent d’hippopotame que l’intellectuel dispose sur sa table de travail…

Tristan Tzara et Paul Guillaume s’échangent au même moment des missives. Les lettres et les coupures de journaux en vitrine soulèvent l’enthousiasme d’une époque, une inspiration en essor dans laquelle s’élancent sans frein artistes et esthètes. Il y a les souvenirs de la « Fête Nègre » organisée par Paul Guillaume à la Comédie des Champs-Élysées, un soir de juin 1919, « mardi à 21h50 ». Et André Warnog qui titre dans L’Avenir « Sous les cocotiers, une fête nègre aux Champs-Élysées ».

Sophie Taeuber-Arp, Motifs abstraits (masques), 1917 © Stiftung Arp e.V., Berlin / Rolandswerth. Wolfgang Morell

Il y a autour des masques en bois, comme un nyangbai aux yeux en forme de parenthèses et oreilles dressées sur la tête. Est-ce sa forme verticale répétée trois fois sur les Motifs abstraits de Sophie Taeuber-Arp ? Est-ce cette figure debout sur un couteau d’ivoire et de fer, que multiplie Hans Arp sur ses dessins à l’encre ? Les formes graphiques jouent avec le papier en réserve, en ronde se prennent par la main, et nous emmènent danser en domaine Dada…

Performances devant le rideau

Les dadaïstes se donnent en spectacle en compositions dynamiques et cacophoniques. À Zurich, leurs représentations ont des allures de cabarets vivants, de cirque et de music-hall.

En témoignage, le Portrait visionnaire de Hans Richter traduit la transe de ces soirs aux couleurs et formes mêlées sans contours. C’est une apparition, une impression. Un œil clair, un œil fondu dans la peinture jetée en flaques. Comme on déconstruit les visages, on déconstruit le langage. Les poésies sonores d’Hugo Ball et de Raoul Haussmann roulent les onomatopées et se nomment Caravane ou Bbbb. Ils déclament au bout du fil d’un petit téléphone métallique fixé à la cimaise.

Masque grotesque à l’expression malicieuse, Suisse, Lötschental, XXe siècle © Museum Rietberg, Zürich / Photo Rainer Wolfsberger

Pendant ce temps, Marcel Janco peint Jazz 333 dans une lumière jaune-orangé, un brouhaha coloré aux membres angulaires et dégingandés, près d’un tambour de République démocratique du Congo. Pour lui comme les autres, c’est le son d’une nouvelle musique… qui a la vertu magique de libérer leurs instincts.

Car comme l’auteur lui-même l’écrit, « Tzara en frac explique devant le rideau, sec et sobre pour les animaux ». Animaux et sorcières qui dansent de concert. On voit en effet en vidéo Mary Wigman danser en magicienne. Recroquevillée, elle déplie et replie ses bras, avance à terre et fait un visage de masque crispé.

Mur de masques © Musée de l’Orangerie – Sophie Boegly

Il faut voir en face le mur couvert de ces faces composées. Marcel Janco en fait plusieurs pour ces spectacles costumés. Il y a celui de Tzara au monocle brillant de malice et de défi ! Ses traits sont des éclairs, l’artiste fait fi des plans normés et plie même le nez.

Inspirations en fusions

L’art Dada est ouvert et survole les frontières. Il n’a pas de programme mais une « force explosive » qui le fait décoller vers tous les pôles et tous les médiums.

Sophie Taeuber-Arp, marionnettes pour Le Roi Cerf, 1918 © Musée de l’Orangerie – Sophie Boegly

Dada est aquarelle, assemblage, tapisserie, broderie… et même fabrique de théâtre ! Sophie Taeuber-Arp conçoit Le Roi Cerf en 1918. On rencontre sur sa scène treize marionnettes. Il y a Smeraldina, Truffaldino, Perroquet, bien sûr Cerf et Dr Komplex. Ils sont entourés des autres protagonistes du conte comique. Bois, peinture, huile sont bricolés. Comme les costumes qu’imagine l’artiste en copiant les poupées Katsina des Hopis d’Arizona.

Artiste inconnu, Poupée katsina, Pueblo, Arizona, XXe siècle © musée du quai Branly-Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais

Ces figures chargées des esprits ancestraux deviennent objets de collection et inspirations esthétiques. Dans l’atelier de l’artiste, ils côtoient les colliers, les sacs de perles et de verre… tout un decorum en couleurs !

Les figures hybrides sont aussi les collages signés Hannah Höch. On regarde le torse khmer de la déesse Uma au ventre sensible, aux renflements graphiques. On peut la contourner pour enlacer des yeux sa taille épanouie. Puis sur le mur à sa gauche, elle est un collage sans reliefs.

Artiste inconnu, Torse de la déesse Uma, Empire khmer, IXe-Xe siècle © Museum Rietberg, Zürich / Photo Rainer Wolfsberger

L’artiste a posé sur l’oeuvre le torse dénudé d’une femme blanche coiffée à la garçonne. Au sommet, un œil disproportionné signifie l’esprit critique. L’assemblage dada plaque aussi la dénonciation sur les formes des genres, et soudain le répertoire extra-occidental parle.

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