Le fâcheux précédent du «Weinstein québécois»

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Agressions sexuellesLe fâcheux précédent du «Weinstein québécois»

Le producteur canadien et juré de «La France a un incroyable talent» Gilbert Rozon était éclaboussé jeudi par des accusations d'agression sexuelle. Il y a 20 ans, il avait plaidé coupable dans une affaire similaire.

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Célébrité québécoise et connu en France pour être membre du jury de l'émission de M6, Gilbert Rozon, président du Groupe Juste pour rire, a démissionné mercredi soir de plusieurs postes juste avant que le quotidien Le Devoir et la radio 98,5 FM ne révèlent les témoignages à visage découvert de neuf femmes lui reprochant des abus sexuels.

«Ebranlé par les allégations me concernant, je souhaite consacrer tout mon temps à faire le point. A toutes celles et ceux que j'ai pu offenser au cours de ma vie, j'en suis sincèrement désolé», a écrit sur Facebook le magnat du show-business québécois.

Agressions physiques, verbales, voire viol: les témoignages des neuf femmes détaillant leurs rencontres avec Gilbert Rozon dressent au fil de leurs révélations un portrait accablant du producteur âgé de 62 ans.

«Il m'a harcelée pendant plusieurs mois», confie Anne-Marie Charette au Devoir, racontant une fois où elle s'est enfuie d'une chambre d'hôtel où elle se trouvait avec M. Rozon. «Je me sentais vraiment petite, sachant l'homme puissant qu'il était. J'avais eu la force de le repousser, mais je n'avais pas la force d'aller voir la police.»

Dans le sillage de l’affaire Weinstein, les victimes d’agresseurs racontent leurs expériences.

«Je n'ai jamais pensé à dénoncer ou à porter plainte. Dans ma tête, je savais que c'était un viol, mais je me demandais si j'avais fait quelque chose de pas correct», raconte la réalisatrice Lyne Charlebois, qui soutient avoir été violée il y a plus de 30 ans en parlant d'un «Weinstein québécois».

Après les célèbres actrices Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie, Judith Godrèche et Katherine Kendall, Cara Delevingne et Léa Seydoux accusent aussi le nouveau paria d'Hollywood.

Treize femmes accusent Harvey Weinstein d'agression sexuelle, rapporte mardi le New Yorker. Deux d'entre elles disent avoir été violées.

Au moins une des victimes présumées, la femme d'affaires Geneviève Allard, a porté plainte à la police en décembre pour des faits remontant à l'été dernier, alors qu'elle avait rencontré Gilbert Rozon dans le cadre l'émission télévisée «Les dragons», selon les mêmes sources. Certaines étaient mineures au moment des faits.

«Consternation»

Ces accusations ont fait l'effet d'une bombe dans le milieu culturel québécois, où Gilbert Rozon était une figure incontournable.

Le producteur était également commissaire aux célébrations du 375e anniversaire de la fondation de Montréal en 1642 et vice-président de la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain, postes desquels il a aussi démissionné.

L'affaire a éclaté après la publication mercredi par le quotidien La Presse d'accusations similaires accablant une autre vedette de la télévision québécoise, Eric Salvail, animateur de l'émission «Recettes pompettes», adaptée en France.

L'une des victimes présumées d'Eric Salvail, l'humoriste Guillaume Wagner, a réagi dans la journée, accusant publiquement Gilbert Rozon d'être un «agresseur», bien que ce dernier ne lui ait jamais rien fait. «Donner du pouvoir et de l'admiration à (n'en) plus finir à des hommes avides de pouvoir et d'admiration, ça donne souvent des monstres. Qui l'eut cru?!», a écrit l'humoriste.

Après les révélations concernant M. Rozon, M6 a choisi de suspendre la douzième saison de l'émission «La France a un incroyable talent», dont Gilbert Rozon est un pilier. Ce dernier avait déjà plaidé coupable pour des faits d'agression sexuelle en novembre 1998 lors d'une soirée pour le 15e anniversaire du Festival Juste pour rire. L'année suivante il avait reçu l'«absolution inconditionnelle» de la Cour supérieure du Québec, rappelle Radio Canada. Cela signifie que «l'accusé est reconnu coupable mais pas condamné». La radio publique note également que la ministre de la Justice de l'époque n'avait pas contesté la décision.

Mercredi soir, le maire de Montréal, Denis Coderre, avait fait part sur Twitter de sa «consternation» et de sa «déception» face aux «graves allégations d'inconduite sexuelle qui pèsent contre Gilbert Rozon». Dans la foulée de cette affaire ébranlant le monde médiatique québécois, le directeur de la police de Montréal, Philippe Pichet, s'est dit sur Twitter «très sensible à la situation actuelle». «La section agressions sexuelles traitera toutes les plaintes avec le plus grand professionnalisme», a-t-il assuré suivi du mot-dièse #MoiAussi.

Ce mot-dièse et son équivalent #MeToo, en anglais, est devenu sur les réseaux sociaux le cri de ralliement de centaines de femmes victimes d'abus sexuels et décidées à rompre le silence dans la foulée des dizaines d'accusations de harcèlement sexuel et de viols visant le tout-puissant producteur déchu d'Hollywood Harvey Weinstein.

Un confrère suisse tombe des nues

Grégoire Furrer, fondateur du Montreux Comedy, est consterné par cette affaire. «Je suis sans voix en lisant la presse québécoise. La semaine dernière, j'étais déjà choqué par les actions d'un producteur de cinéma américain, que je ne connais pas. Cette fois-ci, l'agresseur, c'est mon voisin. Les victimes, c'est mon entourage», a-t-il déclaré à «20 minutes». Et le Montreusien d'ajouter: «J'applaudis le courage de celles qui ont parlé pour changer le destin d'autres.»

(lja)

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