L’Europe est-elle plus simple à réformer que la France ? Sûrement pas. Et Emmanuel Macron a pu éprouver la difficulté de la tâche lors de son deuxième sommet bruxellois des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, jeudi 19 et vendredi 20 octobre.
Lors de son discours de la Sorbonne, à la fin septembre, le président français avait montré une ambition et un volontarisme inédits pour l’Europe, déroulant une longue liste de réformes et une vision à au moins dix ans. Il est désormais confronté aux lourdeurs d’une machinerie européenne très complexe. Et dépendant du bon vouloir et des priorités politiques de ses pairs, moins pressés, pour la plupart, de « refonder l’Union ».
Certains, comme le dirigeant italien Paolo Gentiloni, sont trop occupés par des élections à venir. L’Espagne, elle, est plongée dans la crise catalane. Et à Berlin, partenaire indispensable et privilégié, Angela Merkel se concentre sur la formation, délicate, de sa coalition. Il n’est pas certain que son pays sera doté d’un gouvernement avant la fin de l’année. Dès lors, les espoirs de M. Macron de commencer au plus tôt des discussions avec elle sur une réforme majeure de la zone euro sont compromis.
Certes, Donald Tusk, le président du Conseil européen – composé des Etats membres – a tenu compte des ambitions françaises. Son « agenda des leaders », discuté vendredi, est un programme de travail pour les dix-huit prochains mois.
Simple proposition de remise en ordre pour certains dirigeants, ébauche d’une nouvelle méthode de travail pour d’autres, ce projet n’aurait manifestement pas existé sans le discours de la Sorbonne, ni sans celui de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, à la mi-septembre.
Volonté de remettre un cadre européen
Paris réclamait davantage de réunions au sommet sur des thèmes précis, pour avancer concrètement vers une Europe proche des préoccupations des citoyens et (enfin) conquérante. Le président français invite l’UE à aller vite pour « sortir de [ses] ambiguïtés », quitte à avancer si nécessaire par cercles de pays.
M. Tusk a entendu le message, en partie du moins, et ne propose pas moins de treize sommets sur les grands enjeux, comme la taxation des entreprises du numérique ou l’avenir de l’eurozone. Aux yeux de beaucoup, ce document est surtout comme une tentative du Conseil pour reprendre la main. « Il consiste à dire : “C’est nous les pilotes” », commente un diplomate. « L’ambition et l’énergie d’Emmanuel Macron ont inquiété certaines capitales. Il fallait les canaliser, les remettre dans un cadre européen », décrypte un autre.
M. Tusk a aussi tenu à calmer les pays du « groupe de Visegrad » – Hongrie, République tchèque, Pologne, Slovaquie –, inquiets de la perspective d’une Europe à deux vitesses. Ils veulent éviter qu’un groupe de pays laisse les moins volontaires derrière lui. « Tant que je serai en poste, je serai le gardien de l’unité », indiquait jeudi l’ex-premier ministre polonais.
« Le risque, c’est de réduire l’ambition des réformes pour que tous les pays restent à bord. La France va devoir injecter ses idées en continu pour maintenir la dynamique », commente un diplomate.
La feuille de route de la Commission inquiète Paris
Maintenir l’Europe sous tension ? M. Macron s’y est employé en réclamant un débat sur la stratégie commerciale de l’Union. Il souhaite une approche plus transparente et protectrice. « L’Europe qui protège, c’est une Europe qui sait trouver les bons accords de libre-échange, les bonnes négociations pour protéger ses travailleurs et ses consommateurs », a-t-il déclaré.
Paris s’inquiète donc de la feuille de route de la Commission, qui prévoit de conclure dans les prochains mois des négociations avec le Mercosur (qui regroupe une dizaine de pays d’Amérique latine) et de discuter avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La France veut éviter que ces accords heurtent des opinions dressées contre une Europe trop libérale à leurs yeux.
La réplique de M. Juncker a indiqué que la partie serait serrée : « Je suis attaché à l’idée que (…) notre intérêt est de répondre aux demandes de tous ceux qui, sur la planète, veulent conclure des accords avec nous », a déclaré le Luxembourgeois. Un signe que la position française est loin de faire l’unanimité, certains pays la jugeant trop protectionniste.
Compromis possible sur le travail détaché
La révision de la directive sur le travail détaché sera un test déterminant de la capacité du président à peser sur le cours de l’Union. Lundi 23 octobre, lors d’une réunion des ministres des affaires sociales, Paris espère décrocher un accord, contesté par plusieurs pays (l’Espagne, le Portugal, la Grèce, L’Irlande, Malte, le « groupe de Visegrad »).
Un compromis est possible lundi, assure Marianne Thyssen, commissaire européenne aux affaires sociales. Les Français ont placé la barre très haut en réclamant une durée du détachement d’un an au maximum, ce que les pays de l’Est considèrent comme une entrave à la libre circulation. Les Espagnols bloquent, eux, en réclamant que les conditions du détachement (même salaire pour le même poste) ne s’appliquent pas pour leurs transporteurs routiers. C’est inacceptable pour Paris. « J’espère un accord dans les jours ou les semaines à venir », a toutefois précisé, vendredi, le président français.
Il doit faire aussi face à des résistances sur sa proposition d’une taxation des géants du numérique. S’il a réussi à imposer l’inscription du sujet dans les conclusions du Conseil, l’Irlande ou le Luxembourg ont obtenu que soit mentionnée la nécessité pour les Européens de régler leurs avancées sur celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un bon moyen de ralentir leurs travaux communs.
« Nous avons des accords et des désaccords, mais nous en avons parlé franchement et à un moment, il faudra prendre une décision », a expliqué M. Macron, ajoutant, avec humour, à propos du niveau de sa détermination : « J’ai toujours autant d’énergie (…) et il est normal qu’une énergie rencontre des résistances. C’est le propre du mouvement, dans la réalité, en physique, sinon vous n’êtes qu’un mobile sur coussin d’air qui ne va nulle part à la fin. »
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