Agroalimentaire : au secours, on nous empoisonne !

Dans un ouvrage percutant, le journaliste Fabrice Nicolino montre comment les industriels ont mis en coupe réglée nos campagnes et nos assiettes. Salutaire.

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(Photo d'illustration) 
(Photo d'illustration)  © THOMAS SAMSON / AFP

Temps de lecture : 4 min

Pas un jour sans qu'un nouveau scandale nous fasse regarder de travers ce qu'on nous sert dans l'assiette. Additifs cancérigènes, colorants suspects, conservateurs toxiques, pesticides partout... y compris dans des carottes pourtant dûment étiquetées «  bio  » ! Qu'allons-nous donc bien pouvoir manger dans les années qui viennent ? Et comment, surtout, avons-nous pu en arriver là ?

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Dans un petit livre, en forme d'uppercut, le journaliste Fabrice Nicolino tente de répondre à ces questions simples en ébauchant, car il faut garder espoir, des pistes de réflexion pour revenir à une alimentation plus saine. Cet essai (1), en forme de lettre adressée à sa fille, fait écho au pamphlet qu'il avait écrit, il y a deux ans, intitulé «  Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu'est devenue l'agriculture  » (éditions Les Échappés). Il y prenait à partie les agriculteurs qui recourent trop généreusement aux engrais chimiques et autres produits phytosanitaires, sans toujours mesurer leur impact sur la santé publique.

Mise en garde

Ne nous y trompons pas... Sous couvert d'une missive à une enfant, c'est bien aux acteurs de cette agro-industrie que Fabrice Nicolino s'adresse ici. L'auteur revient sur une histoire collective vieille de plus de 10 000 ans, des débuts de l'agriculture à aujourd'hui, en passant par l'invention de la boîte de conserve par le Français Nicolas Appert, en 1802. Car les scandales alimentaires ne datent pas d'hier. Fabrice Nicolino fait ainsi remonter à la fin du XIXe siècle l'émergence de puissants groupes de pression dans le secteur agroalimentaire. Parmi ceux-ci ? Le trust américain de producteurs de viande, le «  Beef Trust  », créé en 1903, qui, malgré de nombreuses violations des règles d'hygiène dans ses abattoirs industriels (tel celui de Chicago), continue de sévir dans la plus parfaite impunité, sous le nom de «  North American Meat Institute  », un puissant lobby pro-viande.

Des mécanismes de concentration dangereux

À en croire Nicolino, de nombreux groupes multinationaux se moquent comme d'une guigne de la qualité des produits qu'ils mettent sur le marché. Spéculant sur le cours des matières premières alimentaires, rognant sur les mesures de sécurité et de contrôle les plus élémentaires, ces entreprises-monde qui n'envisagent le consommateur que sous le prisme d'une fraction de chiffre d'affaires sont devenues trop grosses pour que les pouvoirs publics puissent leur tenir tête.

Face à ces mastodontes dont le seul objectif est d'améliorer leur marge financière, les États se montrent incapables de leur imposer des règles strictes. Qu'il s'agisse de contrôler le volume de nitrites et autres sels destinés à la fois à conserver les produits et à les alourdir (ils sont vendus au poids), l'omniprésence des sucres ou encore d'huiles et de graisses d'origine parfois douteuse... Fabrice Nicolino démontre, de manière implacable, qu'une limitation de certains de ces ingrédients permettrait pourtant de lutter contre les maladies, cardio-vasculaires surtout, mais aussi contre le développement de l'obésité dans de nombreuses populations.

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Parmi les entreprises transnationales qu'il épingle, figure en première ligne le groupe Bayer, inventeur du premier insecticide de synthèse dans le monde (l'Antinonnin) et du sinistre gaz moutarde pendant la Première Guerre. Un groupe qui a entamé, en septembre 2016, un rapprochement avec le géant américain des semences Monsanto. Le groupe Bayer a déboursé 59 milliards d'euros pour racheter le second, constituant ainsi un quasi-monopole dans son domaine. La Commission européenne a d'ailleurs annoncé, le 22 août dernier, l'ouverture d'une enquête approfondie pour s'assurer que «  [cette] concentration ne rédui[t] [pas] la concurrence dans des domaines tels que les pesticides, les semences et les caractères agronomiques  ».

Comment s'en sortir ?

Il y a dix ans, Fabrice Nicolino s'alarmait déjà, avec François Veillerette (aux éditions Fayard), de ce «  scandale français  » qui voit les professionnels de l'agro-industrie continuer de recourir à haute dose à des produits chimiques dont la nocivité est avérée de longue date. Pointant des centaines d'études relevant la présence de résidus toxiques dans les cheveux des enfants et jusqu'au cordon ombilical des fœtus, le journaliste poursuit son travail de sensibilisation sans faiblir.

On pourra reprocher à l'auteur un ton parfois virulent contre certains entrepreneurs, déjà lourdement étrillés par le passé (tel Jacques Borel, créateur en 1961 de la première chaîne de fast-food en France). Fabrice Nicolino n'y va pas avec le dos de la cuiller, certes mais c'est, chez lui, une stratégie délibérée. En dénonçant les bouleversements intervenus dans nos campagnes, le remembrement des terres, mais aussi et surtout l'influence grandissante d'ingénieurs agronomes et leurs prétendues molécules miracles, le journaliste fait œuvre de salubrité publique. À l'heure où se tiennent les États généraux de l'alimentation sera-t-il entendu ?

En effet, selon lui, les solutions existent. Citant l'exemple du Russe Nikolai Petrovsky qui prit conscience dès 1916 qu'il y avait urgence à sauvegarder les semences millénaires des hauts plateaux d'Asie centrale, mettant également en avant l'Indienne Vandana Shiva qui mène un combat sans relâche contre les OGM, mais aussi l'Italien Carlo Petrini qui tente de fédérer les petits producteurs pour faire face aux géants du secteur... Fabrice Nicolino démontre qu'un autre chemin est possible.

(1) «  Lettre à une petiote sur l'abominable histoire de la bouffe industrielle  », de Fabrice Nicolino, éditions les Échappés, 140 pages, 13,9 €

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Commentaires (31)

  • Statler&Waldorf

    ... Tout a fait d'accord avec vous et continuez dans cette voie. Beaucoup ont votre démarche. Tous les agriculteurs n'ont pas votre honnêteté et les détracteurs des grands groupes productivistes sont aussi ceux qui nous produisent de belles saloperies alimentaires (je parle de d'agriculteurs). Pas vu pas pris et surtout l'argent n'a pas d'odeur. Il est certain qu'avant nous pouvions avoir une nourriture plus saine et variée en 50 ans (on ne savait pas aussi si c'était bio et on mourrait du "mauvais mal" la malbouffe s'est développée et les premiers responsables sont les consommateurs, j'en veux pour exemple que dans le Sud-Ouest, l'agneau de lait (excellent et certainement très bio) est moins prisé par certains que l'agneau surgelé de Nouvelle-Zélande (pourtant plus cher). Manger moins et varié, sain et le plus naturel possible ne coûte pas plus cher que les saloperies trafiquées proposées dans les super-marchés. Le problème est que notre société déresponsabilise chaque individu, qui voudrait être nourri par la Sécurité Sociale et surtout gratuitement. Ils se plantent mais en redemandent. Pour finir la crise des GJ éclaire bien ce phénomène. Ou les gens se plaignent de ne plus pouvoir se nourrir et nourrir leur famille. Justement quand vous vivez au rythme d'aujourd'hui et que vous n'avez pas beaucoup, le superflu l'emporte sur le bien manger sain. Ce qui me rassure c'est que le naturel fait bien les choses et que les humains sont en bonne voie de régression (le mal est fait). Allez comprendre.

  • NikonD

    L'espérance de vie stagne oui, mais des études (et non pas mon, ou votre, simple avis) montrent qu'elle commence à reculer aussi. J'imagine que notre "limite biologique" doit évoluer depuis ces dernières décennies de façon tout à fait coïncidentielle avec les produits phytosanitaires et autres perturbateurs endocriniens qui ont explosé en utilisation depuis ces 20-30 dernières années. L'exposition à ces molécules néfastes dès le plus jeune âge et déterminant pour le capital santé des années adultes. Toutes les études portées sur ce sujet le démontrent et il n'est pas bien difficile de comprendre la logique cartésienne de ces résultats.
    Il n'y a point de plaidoyer pour un retour à l'ère de caverne, comme souvent avancé par les militants du tout chimique/ tout productivisme comme vous, juste une demande de net recul sur l'utilisation des molécules qui nous empoisonnent le plus la vie (pas sur un vaccin contre la tuberculose p. E. ).
    Enfin, que dire de votre exemple très pertinent du Bouton et de son espérance de vie : pourquoi ne pas citer la Somalie tant qu'on y est ? Ce qui serait intéressant serait de mesurer l'évolution de la qualité de vie après passage à une agriculture Bio à taux d'au moins 50-60 % dans un pays développé comme l'est le notre où la médecine a fait des progrès incontestables depuis le début du XXe s. Avant de tomber dans certaines dérives (comme le mediator ou le récent cas du scandale du Cytotec) qui éclatent de temps en temps suite au travail des journalistes ou au courage des lanceurs d'alerte (que vous devez abhorrer).
    Une autre voix que ce productivisme fou et stérile est possible, sans pour autant revenir à l'âge de pierre (encore un argument aujourd'hui totalement désuet et risible). De plus en plus de français/ européens/ citoyens du monde ouvrent les yeux, et la" minorité d'illuminés" est en train de basculer en "majorité éclairée"... Ils sont les vrais progressistes d'aujourd'hui. Il n'est jamais trop tard pour les rejoindre...

  • yakaencore

    Lorsqu’il s’agit de risque alimentaire nuisible à la santé, l’espérance de vie est un indicateur quantitatif pertinent. Votre argument qui considère que les personnes âgées aujourd’hui atteignent des records de longévité car non exposés aux polluants actuels lorsqu’ils étaient jeunes ne repose sur rien de factuel. Également la progression de la courbe de l’espérance de vie finira forcément par s’aplatir, il y a une limite biologique à notre existence. Puisque l’industrie alimentaire nous «empoisonne », que penser d’un pays où 100% de l’agriculture est biologique, aucun produit chimique autorisé, aucun pesticide, ce pays est le seul du monde à avoir un bilan carbone nul - même fumer y est interdit, pas de polluants atmosphériques comme ceux de nos villes, bref, que penser de ce pays qui est votre rêve environnemental oú l’espérance de vie est de 66 ans pour un homme ? Ce pays existe, il s’appelle le Bhoutan. 66 ans d’espérance de vie et une nourriture 100% saine. Dois-je faire un parallélisme ?