Les impasses de la com’ jupitérienne

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Les impasses de la com’ jupitérienne

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Emmanuel Macron parle aux journalistes lors de son arrivée à Bruxelles, le 19 octobre 2017, lors du premier jour du sommet de l'Union Européenne
Emmanuel Macron parle aux journalistes lors de son arrivée à Bruxelles, le 19 octobre 2017, lors du premier jour du sommet de l'Union Européenne
© AFP - EMMANUEL DUNAND

Maîtriser sa parole, soigner son image, prendre de la hauteur, c’est bien. Mais est-ce une stratégie si nouvelle ? Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande, et Denis Pingaud, tous deux experts en la matière, analysent la communication d’Emmanuel Macron.

Ce texte inédit est tiré de Papiers, la revue de France Culture, n°22, disponible en kiosque, en librairie et sur abonnement. C'est l'un des nombreux éléments du dossier "Pourquoi voulons-nous du nouveau ?", qui fait la une de la revue.

Est-il si différent des autres ? Maîtrise-t-il tellement mieux la communication ? Emmanuel Macron, à peine élu, a reçu les félicitations du jury pour son professionnalisme dans la gestion de sa parole et de son image. Sa revendication d’une forme de distance à l’égard des médias et la manifestation d’une posture présidentielle au-dessus des contingences politiques semblaient encore récemment reléguer dans un certain amateurisme la frénésie interventionniste et le commentaire incessant de ses deux prédécesseurs. À la lumière des cent premiers jours de mandat, et d’un dévissage inquiétant de popularité, force est de s’interroger sur l’efficacité de cette rupture communicationnelle qualifiée de « jupitérienne ».

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La prise de parole : à chacun son style

Il est vrai que, dans la dynamique d’une campagne victorieuse, chaque président élu essaie d’imprimer un style de communication radicalement distinct de celui du quinquennat précédent. Nicolas Sarkozy s’était positionné dans la suractivité après la fin de mandat de Jacques Chirac, considérée comme quelque peu assoupie. Du coup, par opposition à ce qui était ressenti parfois comme de l’agitation excessive, François Hollande avait choisi l’image du « président normal ». Cette volonté de différenciation, efficace en communication électorale, devient cependant vite encombrante en communication d’exercice du pouvoir. Le chef de l’État peut vite se trouver enfermé dans un genre qu’il lui faut justifier et dont il n’arrive pas à sortir dans la durée. Pour prendre le contre-pied d’un mandat jugé par certains bavard et inefficace, Emmanuel Macron a choisi – et même « surjoué » – un rôle de composition construit autour de trois idées principales : d’abord, la fonction interdit la banalisation de la parole présidentielle et impose une sorte de surplomb, voire de diète, médiatique. Ensuite, la communication s’appuie sur des images soigneusement agencées pour constituer, en quelque sorte, l’album du quinquennat. Enfin, le verrouillage et le contrôle des prises de parole de ministres empêche les couacs et les désordres dans la mise en perspective des effets d’annonce ou des décisions gouvernementales. Ces trois idées, malheureusement, ont péché par excès d’euphorie après la remarquable victoire électorale et le chamboulement politique qui s’est ensuivi. Bien qu’inspirées par l’exemple de Barack Obama – dont la communication a cependant été plus performante dans les phases de conquête du pouvoir que dans celles de son exercice – elles sous-estiment le niveau d’incrédulité des Français face aux hommes politiques, fussent-ils nouveaux et charismatiques. Surtout, elles contournent la question majeure de la communication présidentielle : comment produire une histoire intelligible justifiant, sinon l’enthousiasme, du moins le respect de l’opinion par-delà les vicissitudes de la conduite des affaires ?

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La fabrique du récit médiatique

Il y a d’abord une simplification abusive à se réclamer d’une stratégie définie par le communicant Jacques Pilhan dans les années 1980. Pour lui, le concept de la « parole rare » dans les médias, qui a fait florès chez les commentateurs après l’élection présidentielle et qui a même été revendiquée dans l’entourage du président, n’a jamais été une fin en soi. Celui qui fut le conseiller de François Mitterrand et de Jacques Chirac a théorisé ex post son action en forgeant la notion de « récit médiatique » qui suppose à la fois un scénario historique identifié par le public et des répliques, pas nécessairement rares, mais suffisamment surprenantes pour entretenir l’attention autour dudit scénario. Autrement dit, le but n’est pas de ne pas parler mais de parler à bon escient et au bon moment. Parfois, d’ailleurs, les images parlent mieux que les mots. C’est la leçon américaine récitée par l’Élysée depuis le premier jour du quinquennat qui a conduit à superposer les clichés du président, au sens propre comme au figuré, mêlant l’autorité diplomatique – Trump, Poutine, Nétanyahou – et la proximité relationnelle – les cuisines de l’Élysée, le handisport, les sous-mariniers, etc. Le problème, en la circonstance, n’est pas tant le protocole de production de ce qui est donné à voir, mettant à l’écart les journalistes photographes et suscitant leur légitime protestation. Ce qui cloche, en vérité, c’est que l’album à peine constitué soit déjà considéré, par les médias et dans l’opinion, comme une brillante technique de com’ dont il est aisé de décrypter les attendus et les objectifs. Quant à la volonté de contrôler la communication de tous les ministres, c’est une vieille lubie politique qui a toujours été affichée, sans succès, par les prédécesseurs d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe. Elle se heurte d’abord à un obstacle technique qui est le produit d’un écosystème médiatique puissant et instantané. Celui-ci a horreur du vide et ne peut fidéliser l’écoute de ses fidèles qu’à la condition expresse de générer, de manière continue, de la tension politique. Les membres du gouvernement, comme tous les acteurs politiques de ce système, y trouvent argument pour pousser leur dossier et soigner leur image. Surtout, le verrouillage d’en haut est voué à l’impasse quand la marque de fabrique du quinquennat est le rassemblement de personnalités aux parcours et aux idées disparates. Au mieux, il ne peut produire temporairement que de l’atonie politique.

De la communication à la com'

En vérité, ces idées « jupitériennes » esquivent la question de fond, celle de la raison d’être du « macronisme ». Le nouveau président peut revendiquer fièrement de transformer la culture politique française en réhabilitant la promesse de nouveau face au discrédit de l’ancien. D’une certaine façon, pour reprendre la thèse de Christian Salmon, écrivain et chercheur (Mediapart, 13 mai 2017), il agirait avec la fonction de chef de l’État comme le fait le marketing avec les marques vieillissantes : en fondant le récit d’origine de la marque et les signes du passé, à savoir la monarchie républicaine, dans une nouvelle représentation symbolique : la présidence managériale. C’est ce que les publicitaires qualifient de rebranding, refonte d’une image pour la rendre plus attractive. Mais au-delà ? Le contrat électoral passé avec les Français ne peut s’en tenir à l’imaginaire d’une transformation magique de la société à coups de réformes de structure dont il est parfois difficile de mesurer l’impact. D’autant que l’efficacité, maître-mot des premières semaines du quinquennat, est une notion relative si elle ne s’incarne pas dans un point de vue sur la conflictualité sociale. Efficace au profit de qui ? La synthèse des contraires, portée par Emmanuel Macron, ressemble fort au discours managérial moderne des grands chefs d’entreprise. On y retrouve toujours deux ingrédients : la bienveillance indispensable à la mobilisation des salariés ; l’exigence nécessaire à la performance pour les actionnaires. Mais l’État n’est pas une entreprise et les citoyens ne sont pas des collaborateurs. La demande sociale attend plus que la simple promesse de renouveau ou d’efficacité. Elle exige de ses gouvernants une histoire durable dont les citoyens puissent être les acteurs et les critiques de terrain. Un argument très court peut suffire. L’Obamacare a été un fil conducteur de la communication de Barack Obama, en termes de positionnement dans le champ politique américain comme de mobilisation de ses supporters. De la même façon, la protection des Allemands contre les menaces du monde est le credo des mandats d’Angela Merkel, quand bien même elle a été controversée lors de l’ouverture des frontières aux migrants venus du Moyen-Orient. Dans les deux cas, cependant, un récit au long cours se construit autour de points de vue : l’accès aux soins pour tous aux États-Unis ; le primat de l’intérêt du pays en Allemagne. Faute de tels récits, la communication se réduit vite à de la com’ envisagée comme une simple technique de persuasion et de contrôle des opinions. À suivre Arnaud Benedetti, professeur associé à Paris-Sorbonne et directeur de la communication de l’Inserm (The Huffington Post, 8 août 2017), « la conception de la communication du nouveau président est, hélas, trivialement conformiste ; le disciple de Ricœur, loin de “penser l’autre”, en fait prioritairement une cible, une part de marché, un objet de marketing. Mais la communication n’est pas la com’. Elle suppose d’abord de reconnaître la capacité de l’autre à discriminer, discerner et éventuellement… résister à un message. » La charge est excessive mais ne sonne pas faux à l’aune d’une pratique trop théorique et trop contrôlée. Car la verticalité abondamment revendiquée par le nouveau pouvoir n’a pas empêché les incompréhensions, les sarcasmes et les couacs. La pathétique défense et illustration de la baisse de 5 € par mois de l’aide publique au logement a démontré l’absurdité d’une communication privée de sens. La troublante ressemblance entre la photo officielle du président, pris de face, les mains appuyées sur son bureau, et celle de Frank Underwood, héros de la série télévisée House of Cards caricature la présidence managériale. Quant au couac de la démission du chef d’état-major des Armées, il a pris de court celui que les observateurs ont trop vite surnommé le « maître des horloges » et l’a contraint à quelques images précipitées auprès des troupes pour éteindre l’incendie.

Une communication directe avec les Français

Emmanuel Macron, en manager pragmatique, n’est pas dupe de ses ratés des cent premiers jours. C’est la raison pour laquelle l’inflexion de sa stratégie de communication est manifeste depuis la fin de l’été. Elle vise, selon ses propres experts, à mieux expliquer et partager ce que le nouveau pouvoir fait. L’ambition est louable dans la mesure où l’exercice du pouvoir, à l’heure de la revendication démocratique participative et de l’usage massif des réseaux sociaux, résiste mal à la posture électorale prise en réaction au quinquennat de François Hollande. D’ailleurs, le président, s’il a négligé un temps les médias, verrouillé son image et tenté, en vain, de maîtriser toute la parole gouvernementale, n’en a pas moins vite compris, dès son installation à l’Élysée, qu’il lui fallait privilégier une communication directe avec les Français. C’est la logique institutionnelle de la Ve République, depuis 1962, avec l’introduction de l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Tous les cinq ans, le président reçoit son mandat directement des Français, dans un rare moment de communion démocratique. Pour ne revenir que sur les seconds tours des dernières élections présidentielles, en 2007, 18,9 millions de personnes ont voté pour Nicolas Sarkozy ; en 2012, 18 millions ont voté pour François Hollande ; en 2017, 20,7 millions ont voté pour Emmanuel Macron. Ces immenses cohortes placent leurs espoirs dans celui qu’elles ont choisi pour cinq ans. Ne pouvant remettre en cause son mandat durant cette période, elles attendent de lui, non seulement qu’il mette en œuvre son programme et prenne les bonnes décisions face aux crises et situations nouvelles, mais aussi qu’il explique son action et réponde à leurs interrogations. Elles veulent avoir le sentiment de conserver une relation personnelle, intime et presque complice, celle-là même qui les a séduites pendant la campagne. Cette exigence est renforcée par la défiance croissante des citoyens vis-à-vis des médias traditionnels. Selon la dernière enquête annuelle réalisée par l’institut Kantar pour le quotidien La Croix, la crédibilité de tous les supports d’information a tendance à baisser : 52 % des personnes interrogées ont confiance dans ce qu’elles entendent à la radio (– 3 points en un an), 44 % dans ce qu’elles lisent dans les journaux (– 7 points) et 41 % dans ce qu’elles voient à la télévision (– 9 points). Il est dès lors compréhensible que les responsables politiques – et notamment le premier d’entre eux – puissent chercher à contourner les médias traditionnels pour s’adresser directement aux Français.

Les présidents et les réseaux sociaux

La révolution numérique en cours ne fait que renforcer ce besoin de relation directe. En vingt ans, le paysage médiatique a été totalement bouleversé. L’apparition, puis la généralisation d’Internet, du téléphone mobile et des réseaux sociaux a fait perdre aux médias traditionnels leur monopole. L’information est devenue un produit balkanisé, dispersé entre une multitude de supports qui diffusent des nouvelles en continu et dans le monde entier, en ignorant tant les frontières géographiques que l’ancienne chronologie médiatique. Dès lors, choisir de s’exprimer sur un média plutôt que sur un autre fait courir le risque d’être à contretemps et de ne s’adresser qu’à une cible particulière, alors que le président doit veiller à s’adresser à l’ensemble des Français. Et puis, à l’heure où la grande majorité des citoyens ont pris l’habitude de s’informer et de communiquer avec leurs proches et leurs collègues par le biais de SMS, mails et messages sur les réseaux sociaux, il serait dommageable de ne pas mettre à profit la multitude de possibilités de désintermédiation offertes par le numérique. Depuis mai dernier, Emmanuel Macron a utilisé une large palette de protocoles de communication directe avec les Français. Comme ses prédécesseurs, il a d’abord eu recours à la technique la plus simple qui est celle du discours. Ce fut le cas quelques heures après son élection, dans le cadre grandiose de la Cour carrée du Louvre, et le jour de son investiture, dans la salle des fêtes de l’Élysée. Il a multiplié les prises de parole, hors médias, pourrait-on dire, à l’occasion de ses déplacements sur le territoire français, des commémorations ou des cérémonies officielles, saisissant parfois l’occasion pour affirmer son autorité de chef des Armées, comme ce fut le cas au ministère de la Défense, à l’occasion de la fête nationale. Dans le même registre, il a voulu affirmer une vision de son quinquennat lors d’un discours devant le Parlement réuni en congrès à Versailles. Ce jour-là, comme Nicolas Sarkozy et François Hollande l’avaient fait avant lui dans d’autres circonstances, il s’adressait aux parlementaires, mais, à travers eux, à tous les Français. Enfin, face à une actualité exceptionnelle – la dénonciation de l’accord de Paris sur le climat par Donald Trump – le président a décidé de s’adresser solennellement aux Français, et même aux Américains. Ce mode de communication, d’une rare intensité dramatique, permet une forte concentration de l’attention des médias et de l’opinion publique. Il a été régulièrement utilisé par ses prédécesseurs au nom de la légitimité d’un chef de l’État élu au suffrage universel. Ce fut notamment le cas pour François Hollande, pendant les attentats de 2015 et 2016, mais aussi après le Brexit et lors de l’élection de Trump. Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a également eu recours aux réseaux sociaux. C’est Nicolas Sarkozy qui, le premier, a utilisé Facebook comme mode de communication. Dès le début de son mandat, trois ans après la naissance du réseau social, il a régulièrement publié des messages sur sa page personnelle, qui fut pendant longtemps la plus suivie du pays. François Hollande a peu utilisé les réseaux sociaux pendant les deux premières années de son mandat. En revanche, à partir de 2014, il a posté une dizaine de messages par mois sur Facebook et Twitter, réseau où il compte aujourd’hui plus de deux millions de followers. Il a été le premier à investir d’autres plateformes, notamment Instagram et Snapchat, particulièrement prisées des jeunes générations. Il a enfin expérimenté les vidéos en direct, sur Facebook et Twitter, ce qui ne fut pas toujours sans risques, notamment au moment de la contestation de la loi Travail.

Sous le neuf, l'ancien

Avec Emmanuel Macron, le recours aux réseaux sociaux est devenu encore plus fréquent. Il publie plusieurs messages, photos et vidéos par jour sur ses comptes Facebook, Twitter et Instagram, dont l’audience a augmenté de façon exponentielle en quelques mois. Ainsi, sur Twitter et Facebook, il a quasiment doublé le nombre de ses fidèles, approchant, dès le mois d’août, le cap des deux millions. Les posts sont souvent des reprises de propos tenus dans d’autres interventions publiques mais, via les réseaux sociaux, ils peuvent toucher un public plus jeune qui a déserté les médias traditionnels. Il arrive également au président de diffuser des contenus exclusifs, pour mettre en valeur les coulisses de son action ou sa personnalité. C’est ainsi que, début juin, le service de communication de la Présidence a diffusé en direct une vidéo du président rendant visite aux standardistes de l’Élysée et répondant lui-même aux questions des citoyens, dans une mise en scène assez inattendue mais très contrôlée. Manquait encore, à la fin de l’été, sa propre chaîne YouTube, canal vidéo massivement utilisé par la France insoumise, mais aussi par la République en marche et le Front national, partis politiques aspirant tous à devenir des médias à part entière. La communication du président via les réseaux sociaux s’inspire largement de celle de Barack Obama qui, comme son successeur Donald Trump, a fait de Twitter l’un de ses principaux canaux d’expression. Emmanuel Macron cherche à imprimer son style propre, parfois de façon décalée, et à entretenir un rapport direct avec les Français. La manière de faire reste cependant encore très verticale et unilatérale et, durant les cent premiers jours, l’immense potentiel du numérique n’a pas encore été appréhendé pour réinventer le dialogue avec les citoyens. Les possibilités sont pourtant infinies, de l’organisation d’une consultation en ligne sur une question précise au recueil de contributions sur un thème, en passant par la possibilité de poser des questions en temps réel au chef de l’État même si, l’expérience aidant, ce protocole suppose un minimum de modération. L’aisance du chef de l’État à s’emparer des nouveaux usages numériques ne doit pas masquer, cependant, la relative impasse dans laquelle sa posture « jupitérienne » l’a finalement conduit. Le changement de pied dans sa stratégie de communication à la rentrée, avec la nomination d’un porte-parole de l’Élysée et le retour à une présence médiatique plus classique, témoigne d’une prise de conscience. Le silence, les images et quelques couacs ne font pas une histoire perceptible par les Français qui ont été encore plus prompts à retirer leur confiance au président nouvellement élu qu’à Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Sous le neuf resurgit progressivement l’ancien qui commande de construire une parole durable avec le peuple. Autrement dit de lui expliquer où le quinquennat prétend l’emmener, pour quel bénéfice et pour quel espoir.

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