"Il pourrait séduire une chaise" : Emmanuel Macron par Emmanuel Carrère

"Il pourrait séduire une chaise" : Emmanuel Macron par Emmanuel Carrère
Emmanuel Macron et sa dernière conquête. (ALLARD-POOL/SIPA)

Dans un long portrait écrit pour le "Guardian", l'auteur du "Royaume" semble sous le charme du président.

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En avril 2017, Anne Fulda écrivait dans «Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait», que le chef de l'Etat «envoûterait une chaise». Quelques mois plus tard, le romancier Emmanuel Carrère reprend la même image mobilière dans un portrait rédigé pour le «Guardian»: «Il pourrait séduire une chaise». 

Emmanuel Macron est, comme l'a déjà décrit Philippe Besson, «Un personnage de roman», avec son statut de plus jeune président français, la façon dont il a ringardisé les partis politiques et sa relation avec Brigitte Macron, à l'origine sa professeur de théâtre et de vingt-cinq ans son aînée. Tous ces éléments, l'auteur du «Royaume» les détaille. Plus largement, il raconte admirablement comment il est lui-même tombé «aux trois quarts» sous le charme de ce président autoproclamé «jupitérien» qu'il a suivi pendant une semaine.

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La tête et les jambes

Comme tout bon coup de foudre, cela commence par le physique. Selon Carrère, Emmanuel Macron est un homme qui ne transpire pas, même dans la chaleur moite de Saint-Martin.

Bien qu'il n'ait pas eu une seconde pour se changer ou se rafraîchir, sa chemise blanche aux manches élégamment roulées est impeccable.»

Là-bas, le romancier a eu l'occasion d'observer la technique de séduction du président. Elle tient dans sa poignée de main élaborée, durant laquelle son visage semble se séparer en deux: «la moitié droite, front plissé, est déterminée, grave, presque sévère, vous donnant le sentiment que quoi qu'il fasse, il le fait devant l'Histoire. La moitié gauche, quant à elle, est cordiale, optimiste, presque espiègle, vous donnant le sentiment que maintenant qu'il est là, tout ira bien.» Emmanuel Macron a des yeux bleus «pénétrants» et il fait souvent des clins d'œil. Parfois directement à Carrère. Qui a bien reçu la flèche de Cupidon: il parle de «l'hypnose du président, sa force de persuasion digne du joueur de flûte de Hamelin, sa séduction presque effrayante».

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C'est évidemment avec la littérature qu'Emmanuel Macron va achever de prendre l'écrivain dans ses filets. A Athènes, le surdoué de la politique sert un préambule en grec «appris phonétiquement» («ayant quelques notions de grec moderne, je peux vous dire que ce n'est pas un mince exploit»), puis un discours citant la métaphore de la chouette de Minerve de Hegel («il surestime sans doute le niveau de sophistication philosophique de son auditoire»). Au dîner d'intellectuels qui suit, le président français finit les phrases de ses hôtes:

Pour chaque poème, Macron était capable de continuer là où l'autre personne avait arrêté, récitant les vers suivants sans se tromper. Baudelaire, Rimbaud, tout par cœur: c'est difficile de ne pas croire que cet homme aime vraiment la poésie.»

Emmanuel Carrère est soufflé: «Depuis Mitterrand, nous avons oublié ce que c'est d'avoir un président cultivé.» 

Macron vs Mabanckou

Nous sommes au milieu du texte, et l'auteur revient à lui: «vous commencez à chercher la faille, la fente dans son armure.» Cette faille est évidemment à trouver dans une joute toute littéraire.

A la Foire du livre de Francfort, Alain Mabanckou reproche au président de ne pas avoir évoqué la francophonie dans son discours, ni, à tout le moins, le nom de Léopold Sédar Senghor. Emmanuel Macron n'est pas du genre à se laisser prendre en faute. Certes, il n'a pas prononcé le mot, mais entre les lignes, il n'a parlé de rien d'autre. S'en suit une scène savoureuse:

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Vous n'avez pas écouté assez attentivement ce que j'ai dit", répond Macron, "j'ai parlé de lui!" La situation devient embarrassante. Des centaines de personnes sont là et aucune d'entre elles n'a entendu le nom du grand poète et homme d'Etat sénégalais, pas plus que Mabanckou ou moi. À ce moment-là, il devient clair que l'incident pourrait exploser et devenir viral, Macron comprend qu'il doit reculer, et sa façon de reculer est de dire que bien sûr, il n'a pas prononcé le nom de Senghor, mais que son nom est compris à chaque fois que vous parlez de francophonie - de sorte que dès que vous dites "francophonie", il est clair pour tout le monde que vous parlez aussi de Senghor.»

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Une grande histoire d'amour

Il est toujours temps de trouver des défauts au président. «Mais avec Macron, ils ne sautent pas exac­te­ment aux yeux.» Alors l'auteur de «Limonov» pose directement la question à l'intéressé. Qui se prête au jeu. Mais au lieu de se dévoiler, il lance une pique destinée à François Hollande:

Je crois que mon défaut est d’être claus­tro­phobe. Pas physique­ment, car je n’ai pas de véri­table phobie. Mais claus­tro­phobe au sujet de la vie en géné­ral. Je ne supporte pas d’être enfermé, contenu. Je dois toujours m’échap­per, et c’est pour cela que je ne peux pas avoir une vie normale. Au fond de moi, mon défaut est sans doute que je n’aime pas la vie normale.»

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En permanente opération séduction, Emmanuel Macron sort sa carte maîtresse: son épouse. 

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Il est tentant de voir Macron comme une sorte de cyborg, une machine séduisante totalement dépourvue d'émotion. C'est tentant, mais à peine cela vous est-il venu à l'esprit que vous êtes obligé de penser le contraire. Parce que le jeune technocrate ambitieux, l'homme qui dit à tout le monde ce qu'il veut entendre, est aussi le héros d'une grande histoire d'amour.»

Carrère trouve la relation du couple Macron «remarquable, émouvante même»:

ils se touchent non-stop. S'il se lève pour aller aux toilettes, il serre son épaule en passant. Il lui sourit, elle lève la tête et sourit en retour. Leurs yeux se cherchent, se retrouvent, souvent ils se tiennent par la main.» 

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C'est encore avec une anecdote littéraire que le couple finit d'embraser le cœur du romancier. Cela remonte à l'époque où Brigitte Macron était encore professeur de théâtre.

Elle et le jeune Macron sont à la recherche d'une pièce à jouer ensemble. Il y en a une qu'ils aiment, par le dramaturge napolitain Eduardo De Filippo - déjà un choix assez exigeant. Le problème est que la pièce n'a que cinq personnages et qu'il y a 25 élèves dans la classe. Pas de problème: le jeune Macron le réécrit, inventant les 20 rôles manquants.»

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Brigitte Macron explique qu'elle a conservé une vidéo de la représentation. Quand Emmanuel Macron sera disponible, ils la visionneront ensemble. Le couple présidentiel pourrait peut-être réserver une place à Emmanuel Carrère sur le canapé.

Amandine Schmitt 

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