“Palmyre, patrimoine menacé” : quand Arte fait mentir l’Histoire

“Palmyre, patrimoine menacé”, documentaire diffusé ce samedi sur Arte, utilise des images filmées en 2013 pour illustrer les destructions opérées à Palmyre par Daech à partir de 2015. Elles avaient pourtant été tournées pour établir la preuve des exactions du régime de Bachar Al-Assad par un étudiant palmyrénien qui les a payées de sa vie, explique l’archéologue Mohamad Taha.

Par Aude Dassonville

Publié le 21 octobre 2017 à 18h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h40

Lorsqu’ils ont découvert le documentaire Palmyre, patrimoine menacé, diffusé le 16 septembre dernier sur Arte, Mohamad Taha et Cheikhmous Ali sont tombés à la renverse. Le directeur du centre des médias de Palmyre réfugié à Paris et l’archéologue qui préside l’Association pour la protection de l'archéologie syrienne, n’en ont pas cru leurs yeux. Dès ses premières minutes, le film que rediffuse Arte le samedi 21 octobre 2017 utilise des images qu’ils connaissent bien : celles d’un certain Ibrahim Moutlak, jeune « activiste pacifiste de la ville de Palmyre, arrêté et assassiné par les services de renseignement du régime de Bachar Al-Assad en 2013 ».

Dans un courrier qu’il a envoyé à Alain Le Diberder, directeur des programmes d’Arte, le comité Syrie-Europe (dont les deux homme sont proches) précise : « pour avoir filmé ces images, Ibrahim Moutlak est mort sous la torture ». Problème : alors que ce dernier souhaitait témoigner des dommages causés par l’armée d’Assad au patrimoine palmyrénien, ses images servent ici à les attribuer à Daech, entré dans la cité antique… en 2015. Certes, l’organisation terroriste a opéré – entre autres crimes – des destructions irréparables sur le site antique de Palmyre. De là à commettre ce que Mohamad Taha appelle une « faute morale », et s’adonner à une pratique « qui s’apparente à du négationnisme »…

L’homme sait de quoi il parle : c’est lui qui a archivé les images de son jeune ami quand elles lui sont parvenues – il le rappelle dans un communiqué envoyé à l’AFP. C’est aussi ce qu’il raconte dans un autre documentaire, Syrie, les derniers remparts du Patrimoine que, hasard de la programmation, France 5 diffuse ce dimanche à 9h25. Ce film-là, réalisé par Jean-Luc Raynaud, utilise aussi les images d’Ibrahim Moutlak. Mais à juste titre : elles sont là pour attribuer à Assad les exactions d’Assad, rendre hommage aux anonymes syriens qui ont tout fait pour protéger leurs richesses archéologiques, et interroger l’impuissance de l’Unesco à prévenir les destructions. « Les images que j’utilise et celles du documentaire allemand ne sont pas strictement identiques, reconnaît-il. Mais elles sont issues des mêmes rushs. La guerre en Syrie est la plus documentée de l’histoire. »

Alertée, la direction d’Arte plaide la bonne foi, pour elle-même et pour Martin Papirowski, l’auteur de Palmyre, patrimoine menacé. « Les images dont il disposait ne comportaient aucune datation, indique-t-on à la communication de la chaîne. Comment pouvait-il deviner ce problème ? » Un argument difficile à entendre sauf à en déduire que le réalisateur allemand a utilisé des images dont il ignorait la provenance, ce qui est pour le moins douteux, et que réfute d’ailleurs formellement Jean-Luc Raynaud. 

Se disant consciente de « l’émotion ressentie », la chaîne promet d’incruster une précision lors de la diffusion de ce samedi – sans s’avancer sur le contenu de celle-ci. Une option  minimaliste. On peut en effet se demander pourquoi elle ne propose pas simplement au réalisateur de couper la séquence incriminée. Au final, reste une relecture de l’histoire que dénonce également Annie Sartre-Fauriat dans un texte que cette spécialiste de la Syrie gréco-romaine nous a fait parvenir. Mohamad Taha, lui, ne demande qu’à « rendre justice à Ibrahim », arrêté par le régime syrien en juin 2013, et officiellement décédé le 16 septembre 2014.

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