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Le calvaire de Bérénice, harcelée et agressée sexuellement par son supérieur

Victime de harcèlement et d’agression sexuelle par son supérieur, une fonctionnaire du Ministère de l’Education Nationale raconte six années de procédure et dénonce l’impunité.

Christel de Taddeo , Mis à jour le
Une fonctionnaire du Ministère de l’Education Nationale raconte six années de procédure et dénonce l’impunité. (image d'illustration)
Une fonctionnaire du Ministère de l’Education Nationale raconte six années de procédure et dénonce l’impunité. (image d'illustration) © Reuters

"Elle aussi." Mais elle ne mentionnera pas sur internet qu’elle a été victime de harcèlement sexuel. Elle ne donnera pas non plus le nom de son agresseur. Les années passent. Reste la peur. Surtout, demeurer anonyme ; surtout ne pas nommer "son porc" même s’il est parti à la retraite. "Ma carrière est détruite", murmure, la voix tremblante, Bérénice*, 59 ans, fonctionnaire au Ministère de l’Education nationale. Le phénomène qui, depuis une semaine, bouleverse les réseaux sociaux et affole les médias rouvre ses plaies et ravive sa douleur, même si "cela fait du bien de se sentir moins seule » et de voir des noms tomber. La fin de l’impunité? Bérénice pose un regard désabusé sur le phénomène #balancetonporc et #metoo - #moiaussi dans sa version francophone. Elle ne croit pas que le scandale Harvey Weinstein puisse véritablement libérer la parole en France. "C’est toujours pareil : de grandes idées, de beaux discours, mais concrètement? Rien."

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Bérénice a déposé plainte en 2008 contre son supérieur

Pourtant, elle était déterminée au moment de déposer plainte en février 2008, il y a près de dix ans. Elle voulait "sauver (son) honneur", "faire avancer la cause des femmes" aussi. Après cinq ans de procédures éprouvantes au cours desquelles elle a été salie après avoir été souillée, elle ressent une révolte sourde, une amertume certaine. "Notre parole ne vaut rien devant la justice, assène Bérénice. Les magistrats ne font pas leur travail même quand on a des preuves irréfutables."Des éléments matériels, elle en avait. Comme ces 83 SMS à caractère érotique et sexuel adressés par son supérieur. Et pourtant, alors qu’elle ne lui a jamais répondu, qu’il a menti à plusieurs reprises aux enquêteurs sur les faits qui lui étaient reprochés, c’est sa parole qui a été mise en doute : bien que victime, elle a été accusée de mentir, de séduire, de chercher à obtenir une promotion, de fournir un travail de qualité médiocre "alors que j’avais toujours eu des notations élogieuses", s’indigne Bérénice que sa hiérarchie a changée de service "du jour au lendemain en m’interdisant de dire au revoir, je suis partie comme une malpropre."

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Bérénice fait aussi partie des centaines de femmes victimes aussi de la décision du Conseil constitutionnel qui a abrogé le délit de harcèlement sexuel en mai 2012. Si certaines des 2000 procédures alors en cours ont pu obtenir une requalification des faits, en agression sexuelle ou en harcèlement moral, la plupart du temps, les tribunaux n’ont pu que constater l’extinction de l’action pénale. Bérénice, elle, s’est vue proposer, plus de trois ans après son dépôt de plainte, de requalifier les faits en "appels malveillants". Elle a préféré poursuivre au civil où elle a demandé 50.000 euros de dommages et intérêts même si "une carrière et une vie brisée n’ont pas de prix". Elle a obtenu dix fois moins. "Au moins, il a été reconnu qu’il a commis une faute", soupire Bérénice qui aura déboursé 18.000 euros en frais d’avocat ; un conseil hors de prix qu’elle avait connu via une association d’aide aux victimes.

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Elle est encore sous antidépresseurs

Aujourd’hui, elle travaille encore au Ministère de l’Education Nationale, où son supérieur hiérarchique l’a harcelée sexuellement durant 18 mois en toute impunité ; elle est encore sous antidépresseurs pour trouver la force de continuer en dépit des suées et des nausées. Le temps passe, reste l’écœurement. Son harceleur a même été proposé au grade de commandeur des palmes académiques. "Un comble" s’étrangle Bérénice qui avait aussitôt écrit à Luc Chatel, alors Ministre de l’Education Nationale, pour s’en indigner. Il a fallu qu’elle apporte la preuve de sa mise en examen pour qu’il ne soit pas décoré. Pour autant, il n’a pas été sanctionné en interne tandis qu’elle continue de "payer" son audace. A cinq ans de la retraite, elle a un niveau de rémunération très inférieur (de 25%) à la moyenne de son grade.

A la rentrée 2014, quand Najat Valaud Belkacem, ancienne Ministre aux Droits des Femmes, est devenue son ministre de tutelle, Bérénice a eu l’espoir que son sort s’améliore. Elle lui a adressé son dossier en demandant à ce que la responsabilité de l’administration soit reconnue de manière à percevoir une indemnisation. "Au bout de deux ans, on a fini par me dire que mon dossier avait disparu. Je n’avais que l’accusé de réception du directeur de cabinet m’assurant que la Ministre allait apporter 'un soin tout particulier' à mon dossier", s’étrangle Bérénice. Elle a finalement fait appel au médiateur de la République qui lui a expliqué que son dossier avait certainement été "mis au panier" faute d’indemnisation chiffrée. Nouvelle constitution de dossier. Et une fin de non-recevoir.

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Elle paie encore le fait d’avoir osé dénoncer, reste marquée par ce qu’elle a pu entendre au cours de ses années de combat larvé : "les femmes préfèrent coucher", "tu n’aurais pas dû faire autant d’histoires", "tu aurais dû plus couvrir ta poitrine". Elle s’est rendue compte que "chez énormément d’hommes, entre séduction et harcèlement, la confusion est totale". Son harceleur a été marié trois fois, à chaque fois il a épousé une de ses collègues, et "une cheffe de bureau, qui a été une de ses maîtresses, a eu de très belles promotions", note Bérénice. Pour cette femme aussi brillante que brisée, "même si on a l’impression que la société bouge par moments, les mentalités ont du mal à évoluer. Tant qu’on n’appliquera pas les lois et qu’on ne sanctionnera pas les auteurs, on n’en sortira pas."

*Le prénom a été modifié  

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