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Start-up

Israël : les effets pervers d'une économie vouée aux start-up

Alors que la "Start-up Nation" profite de la mondialisation, 90 % de la population travaillant dans les secteurs traditionnels peine à joindre les deux bouts. Une économie duale aux effets pervers.

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Salon du numérique à Tel Aviv, le 27 septembre. Le pays compte une start-up pour 1 200 habitants.

Salon du numérique à Tel Aviv, le 27 septembre. Le pays compte une start-up pour 1.200 habitants.

Miriam Alster/Flash-90/Rea

Et si la "Start-up Nation" n’était pas le modèle économique idéal ? Depuis plusieurs mois, le débat se fait de plus en plus vif en Israël. Désigné comme l’alpha et l’oméga pour réussir le virage du numérique, l’Etat hébreu - une start-up pour 1.200 habitants, contre seulement une pour 6.600 personnes en France -, ne serait pas l’eldorado rêvé par certains.

Bien sûr, personne ne remet en cause le « leadership digital » de ce pays de 21.000 kilomètres carrés (moins de deux fois l’Ile-de-France), connu pour être le berceau d’une bonne dizaine de licornes, sociétés dont la capitalisation atteint le milliard d’euros. Certes, Israël affiche de bons indicateurs économiques, avec 4 % de croissance en moyenne sur la dernière décennie et un taux de chômage de 4,3 %. Mais gare à l’effet d’optique. Derrière ces chiffres se cache une économie de plus en plus duale avec ses effets pervers. D’un côté, la planète numérique peuplée de salariés ultra-qualifiés bénéficiant de rémunérations très au-dessus de la moyenne nationale. De l’autre, l’économie traditionnelle ultra-dépendante de la conjoncture locale, qui emploie 90 % de la population active et dont une partie ne profite absolument pas du miracle technologique.

Inégalités creusées

« Ce fossé s’est creusé dans d’autres pays, mais ici il est plus profond. Ces deux univers évoluent de manière autonome ou presque. Disons même qu’ils ne se parlent pas, ce qui est encore plus préoccupant », s’inquiète Eugène Kandel, directeur de la société Start-up Nation Central, une ONG spécialisée dans la mise en relation entre les jeunes entreprises israéliennes et les sociétés étrangères. « Cette situation est particulièrement malsaine pour la société israélienne. Il ne faudrait pas que les salariés favorisés des hautes technologies deviennent les boucs émissaires des Israéliens les moins bien lotis », surenchérit Emmanuel Navron, analyste politique du think tank Kohelet Policy Forum. Depuis quelque temps déjà, les riches start-uppers se voient accusés de contribuer à la flambée des prix de l’immobilier à Tel Aviv. »

Autrement dit, si la pression populaire se faisait encore plus forte, certains experts craignent de voir ces jeunes créateurs d’entreprise quitter le pays. Surtout si, dans un élan démagogique, le gouvernement israélien se décidait à revenir sur leurs avantages fiscaux. Rien de plus simple pour eux que de prendre la poudre d’escampette. Financées pour l’essentiel par les majors du capital-risque américain, les sociétés de la tech israélienne ont une clientèle essentiellement située à l’étranger. Tandis que leurs salariés dépendent, eux, du marché mondial de l’emploi.

Cette crainte de l’exil technologique paraît d’autant plus justifiée que le pays voit déjà tomber chaque année nombre de ces fleurons de la nouvelle économie dans le giron d’entreprises étrangères. Alors que la plupart d’entre elles auraient pu continuer en solo. Deux deals ont récemment fait polémique : la cession du système de navigation Waze à Google en 2013, et la vente de Mobileye, spécialiste israélien des systèmes anticollision pour automobile, à Intel, au printemps dernier. Bien sûr, cette dernière opération a rapporté pas moins de 1 milliard de dollars au fisc. Déjà omniprésent avec son imposant site de production de Kiryat Gat, le géant de la puce électronique s’appuie sur le savoir-faire de sa proie pour asseoir son développement dans les véhicules sans conducteur.

Certes, la plupart des acquéreurs laissent le centre de recherche et développement des sociétés qu’ils achètent sur place. Pourtant, selon Eugène Kandel, « lorsqu’une entreprise reste indépendante, elle crée quatre fois plus d’emplois locaux que si elle est rachetée trop rapidement par un groupe étranger ». Hélas, les sociétés israéliennes de hautes technologies doivent faire face à une pénurie de talents. Curieusement, ce pays réputé pour son élite bien formée affiche des scores inférieurs à la moyenne de l’OCDE dans les tests PISA - le programme d’évaluation des systèmes d’éducation du monde entier.

Diffusion encouragée

Afin de doper l’économie traditionnelle et d’en améliorer l’efficacité, le gouvernement israélien met en place des programmes destinés à favoriser l’adoption des technologies numériques par les chefs d’entreprise des secteurs traditionnels, comme par leurs salariés. « Et cela porte ses fruits, en particulier dans la distribution ou encore le commerce, affirme Aharon Aharon, directeur de l’Autorité de l’innovation israélienne et ancien patron de la filiale locale d’Apple. Notre leadership technologique doit profiter à toute la société. »

Mais cette diffusion des technologies récentes dans l’ensemble du tissu économique israélien fait également sauter des verrous anciens dans des secteurs ultra-protégés et insuffisamment concurrentiels comme la banque, le bâtiment, voire l’agroalimentaire, ce qui pourrait permettre de faire baisser les prix.

Aujourd’hui, l’Etat hébreu affiche un coût de la vie 20 % supérieur à celui de l’Espagne et 30 % au-dessus de la Corée du sud. Pour une majorité des Israéliens, cette réalité pèse plus lourd que le fait d’être devenu la « Start-up Nation ».

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