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En Russie, une jeunesse fêtée… et muselée

Manifestation en faveur de l'opposant Alexandre Navalny, à Moscou, le 7 octobre 2017. Vasily Maximov/AFP

Après l’organisation controversée des Jeux olympiques à l’hiver 2014, Sotchi a accueilli, le 15 octobre dernier, le Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, événement tout aussi controversé. Cette manifestation, lancée par l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale et organisée par la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, aurait attiré plus de 50 000 participants, d’après les agences d’information russes Tass et Interfax (les chiffres annoncés par les médias occidentaux sont tout de même plus modestes).

Ce festival est ainsi, pour un Vladimir Poutine en pleine période préélectorale, une splendide vitrine dont se vantent tous les médias officiels ; il suffit de lancer la recherche via Google sur « Всемирный фестиваль молодежи и студентов-2017 » pour trouver d’abondantes sources russes telles que TASS, Pervii Kanal, NTV et bien d’autres ! Bien que le Président russe n’ait toujours pas annoncé sa candidature aux élections présidentielles de 2018, nul ne doute, aujourd’hui, qu’il s’y présentera et peu de gens se risquent à douter de sa victoire.

Une jeunesse hors système

Pourtant, quand « la jeunesse du monde entier » défile dans les rues de Sotchi, une autre jeunesse se bat pour trouver sa place dans la Russie de Poutine. Il s’agit de cette jeune génération des Russes, dite « génération Poutine », qui ne se reconnaît pas dans la forme du pouvoir instaurée par l’actuel Président. Cette même jeunesse essaye de faire entendre sa voix dans un système de plus en plus verrouillé, notamment lors des manifestations faisant suite à la détention de l’opposant Alexeï Navalny en mars et juillet derniers et, plus récemment, lors des rassemblements du 7 octobre qui ont eu lieu dans 80 villes de l’Extrême-Orient à la Baltique.

Bien que la démographie russe et le vieillissement de la population posent le problème sur un terme plus long, l’inéluctable renouvellement des générations conduit les jeunes Russes d’aujourd’hui à moins partager l’enthousiasme de leurs parents quant au modèle du président patriarcal et autoritaire qu’incarne Poutine.

Frapper au portefeuille

Cette « autre » jeunesse, parfois oubliée, parfois étouffée, se voit refuser le droit de s’informer et de s’exprimer librement. En juin 2012, une nouvelle loi a été promulguée en Russie, instaurant des amendes considérables pour punir les organisateurs d’actions de protestation ou leurs participants en cas de troubles. Les amendes prévues en cas de rassemblement non autorisé ou en cas de trouble à l’ordre public lors de manifestations ayant reçu l’aval des autorités peuvent aller jusqu’à 300 000 roubles (7 300 euros) pour les personnes physiques, contre 5 000 roubles (125 euros) auparavant. Pour les personnes morales – les organisations politiques par exemple – l’amende peut atteindre 1 million de roubles (plus de 25 000 euros).

L’ampleur de ces amendes vise clairement à décourager une population jeune vivant dans un pays où le revenu moyen disponible ajusté net des ménages par habitant est de 17 006 dollars par an, selon l’OCDE. A titre de comparaison, en France, où le salaire annuel moyen est de 42992 euros en 2016, l’article 431-9 du code pénal prévoit une sanction de « six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende » et les citoyens qui se rendent à un rassemblement interdit encourent une amende d’un maximum de 38 euros.

Verrouillage médiatique

Le droit de s’informer, quant à lui, semble tout aussi difficile à exercer. Bien qu’on ne puisse parler d’une emprise totale du pouvoir politique en Russie sur les médias, nous assistons à un verrouillage spectaculaire du système. La Russie se situe à la 148ᵉ place sur 180 pays, au classement mondial 2017, selon Reporters sans frontières. L’agence russe de surveillance des télécommunications Roskomnadzor et le Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l’information et des médias de masse sont devenus de puissants outils de contrôle de la sphère d’information en Russie.

En Russie, on manifeste à ses risques et périls. Maxim Zmeyev/AFP

Ils peuvent d’ailleurs se féliciter d’une relative réussite de leur action. Un récent sondage réalisé par le Centre Levada entre le 31 mars et le 3 avril 2017 montrent que 54 % des jeunes de 18-24 ans regardent les actualités de la principale chaîne de télévision « Первого канала » (sans même évoquer les générations de plus de 40 ans dont le score est à plus de 78 %). Et seuls 26 % de ces mêmes jeunes ont déclaré de ne pas regarder d’actualités à la télévision.

Les réseaux sociaux dans le viseur

Pour l’heure, le système n’est cependant pas encore complètement cadenassé. Il existe, en effet, une poignée de médias indépendants mais dont la situation se dégrade progressivement. La liste des attaques à leur encontre ces dernières années ne cesse de s’allonger.

Rappelons-en quelques-unes : prise de contrôle de VKontakte, l’équivalent russe de Facebook, et l’exil de son fondateur Pavel Dourov à Londres ; perquisitions chez le propriétaire du groupe RBK Mikhaïl Prokhorov en 2016 ; menaces de blocage Facebook si le réseau social ne se conforme pas à la loi qui impose de stocker les données des utilisateurs sur des serveurs russes. LinkedIn et Dailymotion ont également été bloqués, et la messagerie Telegram a été accusée, en juin 2017, par les services de sécurité russes d’avoir été utilisée par les responsables de l’attentat terroriste commis à Saint-Pétersbourg. La décision de la justice est tombée le 17 octobre dernier, sanctionnant Telegram d’une amende administrative de 800 000 roubles (près de 12 000 euros).

Enfin, la demande en 2016 des autorités russes faite à Twitter de stocker les données personnelles de ses utilisateurs russes sur le territoire national, sous la menace de blocage du réseau social, complète cette liste non exhaustive. L’étau se resserre encore un peu plus avec le projet de loi contraignant les utilisateurs à s’identifier par un numéro de téléphone pour utiliser leurs messageries – projet de loi visant les VPN, des connexions privées utilisées pour sécuriser l’accès à Internet, au motif qu’elles permettent de consulter des sites bloqués.

Le web, dernier bastion

Dans cet espace digital aux libertés progressivement restreintes, le rôle des activistes et des blogueurs est fondamental, même si leurs activités ont souvent de fâcheuses conséquences pour leur personne. D’après le centre d’analyse Sova, 233 personnes ont été condamnées pour « extrémisme » en 2015, dont 54 à de la prison. Et 90 % des personnes condamnées l’ont été à cause d’articles postés sur Internet.

Arrestation musclée dans une rue de Saint-Pétersbourg, le 7 octobre 2017. Olga Maltseva/AFP

Les autorités russes semblent, finalement, avoir compris que le web est un espace vital pour l’opposition russe, et notamment sa population jeune. Or, malgré une mainmise s’intensifiant, cet espace d’information reste encore relativement libre en comparaison d’autres médias, tels que les journaux ou les chaînes de télévision.

Le tour des hebdomadaires indépendants est vite fait : Vedomosti, Nezavisimaïa Gazeta, Novaïa Gazeta. Celui des chaînes des télévisions indépendantes l’est encore plus : Dojd’ et le groupe RBK comprenant une chaîne de télé, un site Internet et un quotidien. Cette situation est telle que le storytelling de Vladimir Poutine se déploie sereinement par les vecteurs d’une presse écrite et télévisuelle contrôlée par l’État quand des dispositions toujours plus nombreuses sont prises pour museler les sources d’information porteuses de récits alternatifs.

En Russie, pays où le monde entier fête la jeunesse en 2017, la jeune génération voit ainsi sa liberté d’expression disparaître progressivement en toute impunité. La Russie n’en est pas à un paradoxe de plus.

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