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« Pour la première fois, le Mozambique est confronté au danger islamiste »

Le chercheur Eric Morier-Genoud revient sur l’attaque menée par une secte locale contre des postes de police, le 5 octobre, à Mocimboa da Praia.

Publié le 23 octobre 2017 à 14h27, modifié le 23 octobre 2017 à 14h27 Temps de Lecture 4 min.

Une patrouille de police dans les rues de Maputo, au Mozambique, en septembre 2010.

Aux premières heures du jeudi 5 octobre, un groupe de 30 hommes armés a attaqué trois postes de police de Mocimboa da Praia, une petite ville de 30 000 habitants dans le nord du Mozambique. Ils ont tué deux policiers, volé des armes et des munitions, et occupé la ville.

Les assaillants ont informé la population locale qu’ils ne feraient de mal à personne, car leur lutte était contre l’Etat et la police. Ils ont expliqué qu’ils refusaient de payer des impôts ainsi que le système d’éducation et de santé étatique.

La réaction de l’Etat mozambicain a été rapide. La police a contre-attaqué, avec l’aide des forces spéciales de la capitale provinciale. Les combats ont duré plusieurs heures. Bilan : seize morts, dont deux policiers et un chef traditionnel.

L’attaque constitue un choc pour un pays aux prises avec de sérieux problèmes économiques (dettes et défaut de paiement) et politiques (guerre de basse intensité et négociations avec l’opposition). L’incident, suivi quelques jours plus tard d’une attaque contre un convoi de police, est en effet la première attaque armée islamiste au Mozambique.

Bonne entente interreligieuse

Les informations sur les islamistes de Mocimba da Praia sont peu nombreuses et confuses. On peut dire néanmoins que l’attaque du 5 octobre n’est pas l’œuvre des chabab de Somalie, ni une attaque de djihadistes venus de l’étranger. Ce n’est très probablement pas non plus une conspiration de l’Etat, contrairement à ce que certains avancent.

L’attaque a été menée par un groupe de jeunes musulmans qui ont, vers 2014, formé une secte, connue sous le nom d’Al-Chabab, dans la province de Cabo Delgado. A Mocimba da Praia, la secte contrôlait deux mosquées et demandait à ses adeptes de ne pas envoyer leurs enfants dans des institutions séculières telles qu’écoles et cliniques. Le groupe veut en effet que la charia soit appliquée.

Que l’attaque ait été menée par des Mozambicains ne diminue en rien l’aspect choquant de l’affaire, particulièrement dans un pays fier de sa bonne entente interreligieuse. En attendant d’en savoir plus sur ce qui a poussé ce groupe à attaquer l’Etat, il vaut la peine de revenir sur le contexte historique.

L’islam a une très vieille présence au Mozambique, particulièrement sur la côte et dans le nord du pays. Plusieurs sultanats et cheikats existaient avant que le Portugal n’occupe effectivement le territoire à la fin du XIXe siècle.

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L’administration coloniale portugaise favorisa ouvertement le catholicisme, réprimant à plusieurs occasions l’islam, le protestantisme et les religions traditionnelles. L’islam gagna cependant du terrain durant cette période. En 1975, les musulmans constituaient officiellement 13 % de la population. Selon le recensement, ils étaient 17,8 % en 1997, mais ce chiffre est contesté par les musulmans, qui l’estiment trop bas.

Des musulmans marginalisés

Après l’indépendance, le Front de libération du Mozambique (Frelimo) adopta officiellement le marxisme-léninisme et s’attaqua aux institutions religieuses. L’islam fut particulièrement affecté, car c’est une religion que la majorité des leaders postcoloniaux ne comprenait pas. Le président Samora Machel entra avec ses chaussures dans la principale mosquée du pays. Et le gouvernement imposa des porcheries dans des zones et quartiers musulmans au nom du développement. Ces affaires ont laissé des traces et ces épisodes ont refait surface lors des discussions autour des attaques de Mocimboa da Praia.

Après l’abandon du marxisme-léninisme et l’adoption de la démocratie multipartite, le Frelimo se mit à courtiser toutes les religions pour gagner des voix. Les problèmes autour de l’islam perdurèrent cependant, comme en 1996 avec le débat au Parlement sur l’officialisation de jours fériés musulmans. Cette proposition de loi divisa profondément le parti au pouvoir, qui finalement recula. L’incident rappela aux musulmans qu’ils continuaient d’être marginalisés.

L’islam au Mozambique est principalement soufi, avec une majorité de musulmans appartenant à différentes confréries. Dans les années 1970, le retour d’Arabie saoudite de diplômés donna une nouvelle impulsion au courant réformiste scripturaliste au Mozambique. Ils réussirent à gagner le contrôle de plusieurs mosquées et, en collaboration avec les Portugais, ils réussirent à étendre leur présence dans le pays.

Aujourd’hui, la principale organisation nationale musulmane est le Conseil islamique du Mozambique (Cislamo), qui fut créé après l’indépendance par des éléments wahhabites. Son influence a crû durant les années 1980 et 1990 avec l’appui des autorités postcoloniales.

De nouvelles organisations apparurent par la suite, particulièrement dans le nord du Mozambique. Alors que le réformisme gagnait du terrain, les tensions et conflits augmentèrent. Des controverses émergèrent autour des questions de l’alcool, de l’éducation, des codes vestimentaires. Il n’y avait toutefois aucune violence contre l’Etat.

Du gaz mais peu de retombées

Si aucun groupe terroriste international ne semble avoir de liens avec Mocimba da Praia, l’incident n’en reste pas moins très sérieux. Cabo Delgado est une province à majorité musulmane, avec des tensions ethniques qui se superposent aux différences religieuses. C’est une province où d’énormes réserves de gaz et de pétrole ont attiré des conglomérats internationaux et leur sécurité privée, transformant la zone en une vraie poudrière.

La zone est pauvre et n’a guère profité du boom économique des années 2000. L’exemple de Mocimboa da Praia est éloquent : le district s’est peu développé alors que les attentes de la population ont explosé après la découverte de ces énormes réserves d’hydrocarbures. Des milliards d’euros ont été investis dans des forages offshore, avec peu de gains concrets pour les communautés locales.

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Le gouvernement va devoir développer une réponse sage et sophistiquée face à ce nouveau danger islamiste. Minimiser l’affaire comme étant du seul « banditisme » et ne s’occuper que de la secte Al-Chabab, alors qu’il est clair que des dynamiques sociales et religieuses sont en jeu, risquerait de voir le conflit réapparaître ailleurs. Au contraire, adopter une stratégie du tout-répressif pour éradiquer le « danger islamiste » risquerait de radicaliser d’autres musulmans et d’enraciner le problème plus profondément.

Pour le moment, les déclarations publiques des autorités civiles au Mozambique ont été très modérées et raisonnables. Mais la pratique sur le terrain, notamment par la police, doit suivre la même ligne, et des changements de politiques devront suivre rapidement.

Eric Morier-Genoud est professeur d’histoire africaine à la Queen’s University de Belfast.

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