Catalogne : de Madrid à Barcelone, aux sources d’une panique hispanique

Ils sont artistes. Citoyens espagnols, catalans ou castillans. Européens. Tous sonnés par l’accélération soudaine d’un divorce sans consentement mutuel. Sommés de choisir leur camp dans une séparation qui se joue des frontières politiques. Avec cette interrogation commune : comment trente ans de démocratie ont-ils pu conduire à une telle tension ?

Par Romain Jeanticou

Publié le 20 octobre 2017 à 19h20

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h40

Rosa Montero a tranché. Ce n’est pas un drapeau espagnol qu’elle va accrocher, comme ses voisins, au balcon de son appartement situé dans le quartier résidentiel huppé de Madrid. Non, l’écrivaine préfère sortir des chiffons blancs. Le blanc, c’est la couleur choisie par les partisans du dialogue entre gouvernements espagnol et catalan lorsqu’ils ont défilé dans les rues de la capitale, une semaine après le référendum controversé sur l’indépendance. Une concertation populaire organisée le 1er octobre de façon unilatérale et donc illégale par la Généralité, l’autorité régionale catalane, et son président, Carles Puigdemont. Motif : le refus de Madrid de négocier un élargissement de l’autonomie de la province, réclamé depuis plusieurs années par ses administrés. Les artistes sont d’abord citoyens – comment regardent-ils, des deux côtés, ce gouffre qui est en train de se creuser au centre du territoire espagnol ?

« Je déteste les drapeaux et le nationalisme », se justifie Rosa Montero dans son salon rempli d’animaux – en bronze, en bois ou, bien réels, en chair et en poil –, par les fenêtres duquel on observe les premiers hectares du vaste parc du Retiro. « Depuis le franquisme, je pensais que nous étions vaccinés contre ça. » La romancière de 66 ans, née à Madrid, se sent espagnole comme elle se sent européenne, méditerranéenne ou même citadine. Ni plus ni moins. « J’ai certainement plus de points communs avec un Parisien qu’avec un Andalou. Le nationalisme est rétrograde, à l’heure de la supranationalité. » Elle se défend néanmoins de toute équidistance dans le conflit catalan : ses chiffons blancs sont davantage la représentation de « la rationalité » que de la neutralité. « Le monstre localiste est primitif et féroce. Il s’inscrit dans le caïnisme (1) et l’individualisme caractéristiques de l’Espagne, un pays dont l’histoire est remplie de guerres fratricides : carlistes (2), civile ou d’indépendance… »

Le 7 octobre 2017 à Madrid, des manifestants du mouvement « Parlons » appellent au dialogue entre le gouvernement central et la Catalogne. Le 1er octobre, le référendum organisé par les indépendantistes catalans avait été marqué par des violences policières. 

Le 7 octobre 2017 à Madrid, des manifestants du mouvement « Parlons » appellent au dialogue entre le gouvernement central et la Catalogne. Le 1er octobre, le référendum organisé par les indépendantistes catalans avait été marqué par des violences policières.  © GABRIEL BOUYS/AFP

La liste des rivalités internes est longue. Rosa Montero cite l’écrivain britannique Gerald Brenan, célébré pour son travail sur la péninsule Ibérique : « En 1942, il décrivait notre pays comme un ensemble de tribus se battant constamment, sans capacité à penser le bien commun. » Avant lui, au XVIe siècle, l’historien et diplomate florentin Francesco Guicciardini, ambassadeur auprès du roi Ferdinand II d’Aragon, parlait d’un peuple déchiré par « ses discordes intestines » et le voyageur français Bartolomé Joly rapportait en 1603 à Henri IV que « les Espagnols se dévorent entre eux, préférant chacun sa province à celle de son voisin ». Dans son Voyage en Espagne (1843), Théophile Gautier s’étonnait que « pour un habitant de la Nouvelle-Castille, ce qui se passe dans la Vieille-Castille est aussi indifférent que ce qui se fait dans la lune. L’Espagne n’existe pas encore au point de vue unitaire : ce sont toujours les Espagnes, Castille et León, Aragon et Navarre, Grenade et Murcie, etc. » L’écrivain anglais Richard Ford, dans ses livres sur l’Espagne au XIXe siècle, fut plus sévère encore : « Le patriotisme espagnol est un patriotisme de paroisse, tout Espagnol a pour centre de gravité sa propre personne. […] Dans les moments de nécessité, il a toujours préféré se séparer en groupes divers, chacun desquels ne pensant qu’à travers son propre regard, complètement indifférent aux dommages occasionnés, qui devraient être la cause de tous. »

“Nous possédons un talent incroyable pour nous inventer des différences.” Antonio Muñoz Molina

L’écrivain Antonio Muñoz Molina, membre de l’Académie royale espagnole, a lui aussi procédé à une autocritique, certes moins impitoyable, de la société espagnole. Originaire d’Andalousie, il est l’un des auteurs contemporains les plus prisés en Espagne et partage aujourd’hui sa vie entre Madrid et New York. En Andalousie comme en Catalogne, il voit dans les régionalismes « une forme de sentiment romantique d’appartenance irrationnelle à un peuple ». « S’expatrier, c’est presque un acte de trahison, explique-t-il autour d’un café dans un hôtel madrilène. Les cultures régionales ont fait naître un fort sentiment d’intolérance. Pourtant, nous nous ressemblons. Nous possédons en réalité un talent incroyable pour nous inventer des différences. »

Madrid, le 7 octobre 2017, manifestation du mouvement « Parlons ». « Il ne faut pas regarder en arrière avec peine et il ne faut pas regarder en avant avec peur. Mais comment, aujourd’hui, ne pas regarder l’avenir avec peur ? » s’inquiète la romancière Rosa Montero.

Madrid, le 7 octobre 2017, manifestation du mouvement « Parlons ». « Il ne faut pas regarder en arrière avec peine et il ne faut pas regarder en avant avec peur. Mais comment, aujourd’hui, ne pas regarder l’avenir avec peur ? » s’inquiète la romancière Rosa Montero. © GABRIEL BOUYS/AFP

Rosa Montero et Antonio Muñoz Molina n’ont pas manqué de critiquer la corruption des politiques et ont chacun rendu compte de la crise de la crédibilité démocratique, elle dans son roman de science-fiction Des larmes sous la pluie et lui dans son essai Tout ce que l’on croyait solide. Mais ils appartiennent tous deux à la génération qui a connu la dictature franquiste et en tirent un certain pragmatisme. « Il faut tout de même expliquer au reste du monde que nous avons beaucoup avancé ces quarante dernières années, rappelle Antonio Muñoz Molina. Nous avons conquis de nombreuses libertés et je me souviens de l’époque où nous ne les avions pas. Les femmes sont présentes dans toutes les sphères sociales, le mariage pour tous a été accepté avec une facilité incroyable et nous avons intégré plusieurs millions d’immigrants en quelques années sans que cela déclenche de la xénophobie. Mon pays est une démocratie, et bien qu’elle ait des défauts, l’Espagne n’en a pas beaucoup plus que les autres. »

“Notre vie entière peut basculer en quelques heures.”

On retrouve dans le regard du romancier andalou sur la crise catalane l’attention inquiète sur la fragilité du présent qui traverse son œuvre. « Depuis notre jeunesse, nous n’avons jamais connu autant d’incertitude face au futur proche. Nos enfants connaissent les mêmes jours imprévisibles, où notre vie entière peut basculer en quelques heures. » Rosa Montero partage cette appréhension. Elle montre sa nuque et ses cheveux sont assez courts pour ne pas masquer le vers du poète chilien Raúl Zurita qu’elle y a fait tatouer : « Ni pena ni miedo », « ni peine ni peur ». « Il ne faut pas regarder en arrière avec peine et il ne faut pas regarder en avant avec peur. Mais comment, aujourd’hui, ne pas regarder l’avenir avec peur ? »

Brandis par une centaine de manifestants d’extrême droite, les drapeaux franquistes ont fait leur réapparition dans les rues de Barcelone le 12 octobre dernier, jour de la fête nationale espagnole.

Brandis par une centaine de manifestants d’extrême droite, les drapeaux franquistes ont fait leur réapparition dans les rues de Barcelone le 12 octobre dernier, jour de la fête nationale espagnole. © AP Photo/Emilio Morenatti

A six cents kilomètres de là. A la terrasse d’un autre café, dans le calme district barcelonais de Sarrià-Sant Gervasi, c’est sur un groupe de manifestants défilant dans son dos que se focalise l’inquiétude de l’écrivain Sergi Pàmies. Sur l’avinguda Diagonal, l’aiguille de 11 kilomètres qui transperce Barcelone de part en part, quelques dizaines de manifestants brandissent des drapeaux espagnols en criant « Puigdemont en prison ! » et « Vive la police ! » Nous sommes le 12 octobre, jour de fête nationale en Espagne. « C’est nouveau, de voir des drapeaux espagnols dans les rues de Barcelone, commente le romancier sans les quitter des yeux. L’allocution du roi Felipe VI, qui a pris parti contre les dirigeants catalans, les a encouragés à sortir. » En observant le groupe de plus près, on reconnaît sur les vêtements croix celtiques et autres symboles identitaires. Sur un des étendards rouge et jaune, au côté des armoiries des Rois catholiques, on repère même l’aigle de saint Jean – emblème de l’Espagne franquiste. « L’extrême droite, jusque là très discrète, profite des tensions nationalistes de part et d’autre pour sortir du bois. »

“Etre catalan, ce n’est ni une extravagance, ni une pathologie.”

Né à Paris dans une célèbre famille de communistes catalans émigrés politiques, Sergi Pàmies arrive à Barcelone à l’âge de 10 ans et apprend la langue catalane dans laquelle il écrit aujourd’hui ses livres. Visage carré et sourire franc, il avoue fréquenter avec curiosité les manifestations catalanistes depuis 2010, année de l’annulation, à la requête du Parti populaire de Mariano Rajoy, du nouveau statut d’autonomie accordé à la Catalogne par le précédent gouvernement, socialiste. Le retrait de l’inscription du concept de « nation catalane » est notamment considéré par tous les Catalans comme une humiliation. C’est le détonateur du mouvement régionaliste dans sa forme transversale actuelle. Lorsque Mariano Rajoy prend la tête du gouvernement espagnol, en 2011, 23 % des Catalans se déclarent, selon le Centre d’enquête sociologique espagnol, pour la possibilité de devenir un Etat indépendant. En 2015, ils étaient plus de 45 %. La Catalogne se plaint d’un Etat trop centralisé, qui ne lui rend pas la monnaie de sa productivité. Le parti de Mariano Rajoy, à la tête du pays depuis 2011, ne possède qu’un seul maire sur les neuf cent quarante-sept de toute la région de Catalogne… « Je ne partage pas le désir d’émancipation des indépendantistes, mais j’aime manifester ma singularité catalane, explique Sergi Pàmies en français. Etre catalan, ce n’est ni une extravagance, ni une pathologie. Je suis la preuve que l’on peut vivre avec ces multiples identités. »

Manifestants bâillonnés pour l’indépendance de la Catalogne, le 2 octobre 2017, à Barcelone. Madrid refuse de reconnaître le verdict du référendum illégal organisé par le Parlement de Catalogne.

Manifestants bâillonnés pour l’indépendance de la Catalogne, le 2 octobre 2017, à Barcelone. Madrid refuse de reconnaître le verdict du référendum illégal organisé par le Parlement de Catalogne. © AP Photo/Felipe Dana

Ses enfants, des jumeaux de 22 ans, sont plus actifs dans la mobilisation indépendantiste. « A 20 ans, on aspire à vivre dans une société libre, où surgit le rêve d’une nouvelle république. Participer à sa construction est un trésor biographique. » L’écrivain catalan cite le psychiatre Adolf Tobeña, qui s’est intéressé à ce qu’il appelle « la passion sécessionniste » : « Il a remarqué que le désir indépendantiste stimulait les mêmes parties du cerveau que l’amour. Ces gens ne sont pas fous, ils sont comme tombés amoureux : ils font preuve d’audace, de courage mais aussi d’irrationalité. »

“Le mouvement en Catalogne est si pacifique et romantique que même s’il perd, il va influer sur l’histoire de l’Espagne et de l’Europe.”

Incontestablement, la vague populaire qui traverse aujourd’hui toutes les strates sociales de la Catalogne est chargée de romantisme. Celui-ci se dévoile, entre colère et espérance, sur un nombre incalculable de murs bavards : « L’Etat a les armes, le peuple a la force », « Sans grands-mères, pas de révolution », « Votons pour être libres »… Sergi Pàmies évoque Mai 68, un mouvement « spectaculaire mais peu réaliste », qui a selon lui « perdu face au pragmatisme mais profondément changé l’histoire de la France et de l’Europe ». « Le mouvement en Catalogne est si pacifique et romantique que même s’il perd il va lui aussi influer sur l’histoire de l’Espagne et de l’Europe. Le pragmatisme auquel il fait face est tellement conservateur que ce mouvement est obligé de prendre des allures révolutionnaires pour obtenir des réformes. Il pourra servir de modèle de désobéissance pacifique en vue d’un renouveau démocratique pour d’autres communautés à l’intérieur d’Etats plurinationaux. »

A Barcelone, sur l’avenue Passeig de Gràcia, deux mille personnes protestent contre l’emprisonnement de responsables indépendantistes catalans. 

A Barcelone, sur l’avenue Passeig de Gràcia, deux mille personnes protestent contre l’emprisonnement de responsables indépendantistes catalans.  © Yves Salaun / Hans Lucas

C’est aussi le sentiment de Joan Fontcuberta, le plus célèbre photographe de Catalogne, qui nous reçoit dans son atelier installé sur le site d’une ancienne usine de textile de Granollers, ville moyenne en périphérie de Barcelone. « Ce qui se passe actuellement est une métaphore des problèmes de l’Europe, avance-t-il dans un français quasi parfait. La crise de gouvernance que connaissent les pays européens se traduit chez nous par une montée du catalanisme, comme elle se traduit par une montée de l’extrême droite en France. » L’artiste catalan en est persuadé, « il ne s’agit pas d’un problème d’identité mais d’un problème démocratique ». « La question ne tourne plus autour de la défense de la culture ou de la langue. Le mouvement catalan s’est élargi pour devenir un laboratoire politique, qui cherche à transformer, par la voie locale faute de pouvoir le faire au niveau national, le système démocratique actuel. »

“J’ai voté précisément parce que l’Etat n’a pas voulu que je vote” Txema Salvans

Ainsi, Joan Fontcuberta, comme son confrère Txema Salvans, qui ne se considèrent ni l’un ni l’autre comme « nationalistes », sont tous deux allés voter en faveur de l’indépendance le 1er octobre, malgré l’interdiction du scrutin. « J’ai voté précisément parce que l’Etat n’a pas voulu que je vote, explique Txema Salvans dans sa cuisine, les mains occupées à la préparation d’une soupe de poisson aux vermicelles. C’est avec le Parti populaire de Rajoy que j’ai un problème, pas avec l’Espagne. »

A quelques rues de son appartement, dans l’ancien village bohème de Gràcia, devenu le quartier des artistes et des néocommerçants branchés de Barcelone, les anciens regardent les gamins jouer sur la plaça del Diamant. Une place rectangulaire à la catalane, qui donna son nom au roman de Mercè Rodoreda, l’un des plus importants de la littérature catalane, dont les drames se déroulent durant la guerre civile espagnole. Le monument qui y trône, la statue d’une jeune femme désespérée sous un essaim d’avions, rappelle les bombardements menés par les nationalistes espagnols et les fascistes italiens en 1938. La place, où les républicains de Gràcia avaient construit des abris antiaériens, est devenu un lieu de résistance idéologique : on y proclame ses griefs contre la guerre, le capitalisme… ou le gouvernement espagnol. « Nous sommes les protagonistes de notre histoire », lit-on aujourd’hui sur les écharpes colorées qu’arbore la statue.

Barcelone, 3 octobre 2017. Le drapeau indépendantiste de la Catalogne est déployé. 

Barcelone, 3 octobre 2017. Le drapeau indépendantiste de la Catalogne est déployé.  © REUTERS/Enrique Calvo

Les enfants de Txema Salvans ont, comme la grande majorité des jeunes de Catalogne, parlé catalan avant d’apprendre l’espagnol, qui n’est pratiqué que dans les grandes villes touristiques. « La nouvelle génération est catalane naturellement. Elle ne l’est pas, comme le fut la nôtre après Franco, en opposition à quelque chose, estime le photographe de 46 ans. Pourtant, le gouvernement alimente cette opposition. » Il se souvient de cette phrase de l’ancien ministre de l’Education du gouvernement espagnol qui avait parlé de la nécessite « d’“espagnoliser” les enfants catalans ». « On est ce qu’on est, on ne peut pas se réinventer », avertit Txema Salvans. Ces mots ravivent, dans des villes et villages meurtris par la guerre civile puis la dictature, des plaies pas encore cicatrisées. L’époque où Franco obligeait les instituteurs à donner des cours de « formation à l’esprit national » et leur interdisait de parler catalan, ce qu’ils faisaient de façon clandestine, n’est pas si lointaine.

“L’identité, c’est ce qu’il nous reste dans le naufrage social.”

Selon l’écrivain Sergi Pàmies, l’indépendantisme constitue alors un « médicament antidépresseur » dans les zones rurales qui se sentent « insultées » et « oubliées ». « L’identité, c’est ce qu’il nous reste dans le naufrage social. Or, toute une industrie de la haine allant des élus politiques – espagnols et catalans – aux médias ont travaillé à amplifier l’hostilité entre Espagnols et Catalans à partir des différends historiques qui les opposent. » Joan Fontcuberta rappelle qu’« il y a vingt ans, nous avions honte de parler d’indépendance ». « Aujourd’hui, l’Espagne fait tout pour que les Catalans y soient tous favorables. Pour les Espagnols, nous sommes “les autres”, soupire le photographe. Vous savez comment ils nous appellent ? “Los Polacos”, les Polonais. » Il s’émeut d’avoir reçu, au lendemain des violences policières qui ont touché la Catalogne le jour de référendum, des messages de nombreux amis de France, d’Italie, du Canada… « Mais aucun d’amis espagnols. »

Le 10 octobre 2017, des indépendantistes attendent la proclamation de la République de Catalogne. Depuis, Carles Puigdemont a suspendu sa décision, et Madrid menace de retirer son autonomie à la région. 

Le 10 octobre 2017, des indépendantistes attendent la proclamation de la République de Catalogne. Depuis, Carles Puigdemont a suspendu sa décision, et Madrid menace de retirer son autonomie à la région.  © Visual Press Agency

Qu’est-ce qui lie encore Basques, Castillans, Galiciens, Catalans ? « Les Espagnols ont en commun de ne rien avoir en commun, plaisante Sergi Pàmies. Plus sérieusement, l’Histoire a créé des liens émotionnels malgré les différences. Un ciment de cohésion est à trouver dans cette éducation sentimentale pour assurer la convivencia, la cohabitation. Mais nous sommes en vérité plus proches de ce que le philosophe José Ortega y Gasset avait nommé la conllevancia, c’est-à-dire le fait de tout juste parvenir à se supporter... »

“En s’opposant aux Catalans, le roi n’est plus le pondérateur qu’il doit être.”

Dans son dernier travail photographique intitulé My kingdom, Txema Salvans confronte les discours grandiloquents de Juan Carlos Ier, le roi précédent, sur la grandeur de l’Espagne, à des clichés de ses sujets ordinaires, profitant de leur temps libre sur des aires d’autoroute ou des carrés de plage bétonnés. « Cette figure rassurante et paternaliste, qui a pu assurer la cohésion du peuple espagnol après la dictature, a éclaté en morceaux avec les scandales de corruption, analyse-t-il. Aujourd’hui, son fils, en s’opposant aux Catalans, n’est plus le pondérateur qu’il doit être. Il n’est pas le roi de tous. »

De l’autre côté des Pyrénées, une partie de la Catalogne choisit de plonger dans l’inconnu pour retrouver sa dignité, quitte à rompre avec une Espagne accrochée, elle, à son honneur. « Mais quel que soit le gagnant, soupire Sergi Pàmies, le problème ne sera pas résolu. » Et sans solution, une victoire politique n’atténuera pas le dangereux vertige que connaît le pays.

 

Notes

(1) Néologisme issu du nom biblique de Caïn, fils d'Adam et Ève, qui tua son frère Abel, pour désigner le comportement agressif au sein d’une fratrie.

(2) La Première Guerre carliste est la guerre civile qui déchira l’Espagne entre 1833 et 1839, la Deuxième, de 1846 à 1849.

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