Nucléaire L’Allemagne démantèle ses centrales à marche forcée

Le démantèlement des centrales nucléaires constitue un défi, dont nous vous proposons un tour d’horizon des pratiques. Aujourd’hui, l’Allemagne, qui stoppera en 2022 ses derniers réacteurs. Avec pour but de décontaminer plus de 90  % de ses déchets. Exemple à Greifswald.
À Greifswald, Philippe Marque - 24 oct. 2017 à 05:00 - Temps de lecture :
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Dans la gigantesque centrale de Greifswald, dont les unités de réacteurs ne sont plus qu’une succession de trous béants, les forçats du nucléaire s’activent à la découpe et à la décontamination des pièces.  Photo Philippe Dureuil
Dans la gigantesque centrale de Greifswald, dont les unités de réacteurs ne sont plus qu’une succession de trous béants, les forçats du nucléaire s’activent à la découpe et à la décontamination des pièces. Photo Philippe Dureuil

C’est une sorte de vaisseau fantôme, posé sur les bords de la mer Baltique. Dans cette zone rurale du nord-est de l’Allemagne remplie d’éoliennes – tout un symbole - ses gigantesques sarcophages gris, rectangulaires et austères, apparaissent comme les derniers vestiges de l’ex-RDA. La centrale de Greifswald a été conçue pour être la plus grosse d’Europe. Mais elle n’a produit que de 1973 à 1990. La réunification allemande a mis fin à ses rêves de grandeur.

La jugeant trop soviétique, entendez par là trop dangereuse, l’Allemagne fédérale a dit stop, s’engageant à financer les 6,6 milliards d’euros du démantèlement. Trois des huit réacteurs à eau pressurisée n’avaient même pas encore été mis en service.

24 réacteurs sur 32 stoppés

Aujourd’hui, l’endroit se visite en troquant tous ses habits, sauf les sous-vêtements, contre une combinaison blanche de protection, un casque, des chaussures de sécurité et des gants. Débuté en 1995, le démantèlement doit être terminé en 2028, mais donne déjà l’impression de toucher à sa fin. Les salles des générateurs de vapeur sont devenues des ateliers de découpe ultramodernes avec robots télécommandés. Et les unités abritant les réacteurs ne sont plus qu’une succession de trous aussi béants que vertigineux.

« C’est le plus gros projet de démantèlement au monde et nous avons prouvé que cela peut se faire en toute sécurité. Le défi n’est pas technique. C’est juste une question de logistique et d’organisation » , résume non sans fierté Henry Cordes, directeur d’EWN, l’opérateur en charge du démantèlement.

Dans les entrailles d’une conduite d’aération large comme un tunnel autoroutier, deux salariés en combinaison orange polissent méticuleusement un mur, visage masqué. « On prépare la décontamination » , décrit Eckhard Skaebe, 60 ans, l’une des dernières mémoires du site qui ne compte plus que 860 de ses 6000 travailleurs. En quarante-trois ans de carrière, l’apprenti rentré en 1974 est passé de la maintenance aux visites guidées. Il doit la sauvegarde de son emploi à la stratégie allemande du démantèlement immédiat. Le pays va l’appliquer à toutes ses centrales.

L’Allemagne a décidé sa sortie du nucléaire. Sur 32 réacteurs, 24 sont déjà stoppés. Les 8 autres le seront en 2022. Si trois ont déjà été démantelés, les autres font ou vont faire l’objet d’un programme colossal et quasi simultané. Pas question de perdre de temps. Et peu importe si rien n’est prêt pour accueillir les déchets après les échecs des stockages dans les mines de sel d’Asse et Gorleben.

Décontamination

Konrad, le futur site de stockage des déchets de moyenne et faible activité est programmé pour 2022 en Basse-Saxe. Pour ceux de haute activité, le processus de choix de localisation du site n’a même pas encore été défini. En attendant, Greifswald empile à sec, dans un bâtiment ultra-sécurisé attenant à la centrale, des containers de toutes formes et de multiples couleurs.

L’intérieur ressemble à un Lego géant. Seul le dosimètre dont est équipé chaque visiteur vient rappeler que s’y trouvent 5000 barres de combustible nucléaire ! Mais après 22 ans de démantèlement, l’endroit paraît vide. Normal, la plupart des déchets ont regagné les circuits de recyclage classiques. Alors que la France s’y refuse, l’Allemagne décontamine à tout va pour faire baisser la radioactivité en dessous d’un certain seuil. Greifswald ambitionne ainsi de « libérer » 98 % de ses déchets contaminés.

Enfermés dans des caissons à l’intérieur de l’atelier de découpe et de décontamination, des forçats du nucléaire bardés de protections s’attaquent aux pièces. L’un d’eux les fragmente au chalumeau. D’autres les décontaminent en les pulvérisant d’acides, d’eau à très haute pression ou de poudre d’acier. On dirait du Zola.