Mi-octobre, le mannequin Cameron Russell publie des dizaines de témoignages révélant à quel point le harcèlement sexuel est courant dans l’exercice du métier de mannequin. La semaine dernière, c’est au tour du mannequin Sara Sampaio de dénoncer le magazine Lui, qui l’a fortement poussée à faire des photos de nu alors qu’elle avait expressément refusé.
Dans l’affaire Weinstein, parmi la trentaine de témoignages de victimes se trouve celui de Trish Goff, mannequin agressée par le producteur de cinéma alors qu’elle avait 25 ans. Et après des années de rumeurs concernant son comportement inapproprié envers les jeunes femmes qui posent pour lui, il semblerait que des actions soient enfin entreprises contre le photographe Terry Richardson, banni du groupe Condé Nast International.
L’une des quatre capitales de la mode a enfin décidé de se bouger. The Model Alliance, syndicat du mannequinat aux Etats-Unis, travaille avec Nily Rozic, membre de l’assemblée de l’Etat de New York, à la mise en place d’une loi qui protégerait les mannequins dans l’exercice de leur travail. Nommé Models’ Harassment Protection Act (Loi de protection contre le harcèlement des mannequins), le projet de loi vise à redéfinir la classification professionnelle des mannequins, généralement identifiés comme des travailleurs indépendants – ce qui les exclut des lois classiques de protection du travail. Avec cette loi, ce serait l’entité qui embauche le mannequin – créateur, magazine, marque – qui sera responsable en cas de harcèlement durant toute la durée du contrat : avances, demandes de faveurs sexuelles, harcèlement basé sur l’âge, l’origine ethnique, la couleur de la peau, l’orientation sexuelle, le sexe ou un situation de handicap.
Briser la loi du silence
The Model Alliance a déjà un succès au compteur. Le syndicat avait fait pression en 2013 pour redéfinir l’accès à la profession aux moins de 18 ans : aux Etats-Unis, le travail des mannequins mineurs est désormais assimilé au travail d’enfants, ce qui leur assure une meilleure protection sociale. Sara Ziff, ancien mannequin et fondatrice de Model Alliance, espère que cette protection s’étendra pour venir aux victimes de harcèlement sexuel. Elle s’explique dans un communiqué, publié par le site Fashionista : « Les mannequins découvrent souvent à la dernière minute qu’ils faut qu’elles posent nues sans leur demander leur consentement au préalable, on ne leur donne pas toujours des lieux adéquats pour se changer, et parfois elles sont poussées à accepter des demandes sexuelles inappropriées de la part de personnes qui contrôlent leur avenir professionnel. »
Le projet de loi vise également à briser la loi du silence qui perdure dans l’industrie de la mode. Comme pour l’affaire Weinstein, c’est le système entier qui est pointé du doigt, pas seulement les harceleurs. Sara Ziff dénonce les nombreux facilitateurs des abus : agents, assistants, collègues, ou amis qui cautionnent le comportement condamnable. « Parfois ce sont les agents qui sont responsables – les mêmes gens qui sont censés représenter les intérêts des mannequins – qui sont eux-mêmes les harceleurs, ou qui facilitent des rendez-vous avec les gens qui abusent de leur pouvoir. Il est l’heure de mettre en avant cette responsabilité, en transformant l’indignation générale en législation. »
James Scully, qui en mars 2017 avait lancé le scandale autour des agences de casting maltraitant leurs mannequins, aussi membre de Model Alliance, renchérit dans Vogue : « Comment un mannequin peut-il s’opposer à un photographe, styliste ou directeur de casting abusif quand les gens de l’industrie ont créé un mur de protection autour des prédateurs et sont prêts à détourner le regard pour protéger leurs propres intérêts, sans prêter attention au bien-être du mannequin ou du reste de l’industrie ? »