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Patrick Rotman: «L'histoire est une roulette russe»

À l'occasion du centenaire de la révolution russe, ce mercredi 25 octobre, l'historien et scénariste a réalisé avec le dessinateur Benoît Blary, Octobre 17, une bande dessinée qui explore les coulisses de l'événement qui a façonné le 20e siècle. Abaca Press/ delcourt / le seuil

INTERVIEW - À l'occasion du centenaire de la révolution russe, l'historien et scénariste a réalisé avec le dessinateur Benoît Blary, Octobre 17, une bande dessinée qui explore les coulisses de l'événement qui a façonné le 20e siècle. Passionnant.

Mai 68, Printemps de Prague, guerre d'Algérie... Patrick Rotman a fait de l'histoire son cheval de bataille. Particulièrement fasciné par les coulisses des grands événements, l'historien propose à l'occasion du centenaire de la révolution russe, une plongée dans ses arcanes.

Avec le roman graphique Octobre 17, le scénariste et historien offre au lecteur une immersion dans l'atmosphère de Pétrograd en 1917 afin de comprendre les rouages complexes de l'événement qui a façonné le 20e siècle: «La révolution d'octobre est le fer rouge du 20e siècle. Il est né avec cet épisode qui a écrit son histoire jusqu'à la fin du communisme dans les années 1990» explique l'auteur.

Relayé par le délicat dessin aquarellé de Benoît Blary, le scénariste évoque les six mois qui ont précédé la prise du pouvoir par les bolcheviks. Avec une question qui sous-tend tout l'album: comment un événement aussi considérable, qui a changé le cours de l'histoire a-t-il pu être mené et réalisé par l'opiniâtreté de deux hommes, Lénine et Trotski?

Entremêlant faits historiques et fiction, Octobre 17 éclaire les zones d'ombre du mythe qu'a été la révolution russe, entre tensions, querelles intestines, ou manipulation des foules.

Au sein de ce tumulte cependant se démarquent des figures secondaires et plus sensibles. À l'instar du poète Maïakovski déclamant dans un cabaret qui donne à la révolution sa dimension artistique. Ou d'Alexandra Kollontaï, seule femme dans la direction du parti bolchevique qui défend la vision féministe de la révolution. Deux beaux utopistes qui verront leurs idéaux transformés en chimères.

Pourquoi utiliser la bande dessinée pour rendre compte de la complexité de la révolution russe?

Le rapport du texte à l'image, du fond et de la forme m'obsède depuis toujours. La bande dessinée est un outil qui permet une liberté formidable pour raconter des scènes qui n'existent pas en images. Contrairement au documentaire, j'ai pu raconter des moments intéressants qui manquaient cruellement d'images d'archives. La bande dessinée se prête magnifiquement à cela. On passe des discussions intimes à des foules gigantesques. Vous pouvez représenter des centaines de milliers de personnes dans la rue sans problème de figuration ou de décor trop coûteux que l'on peut rencontrer quand on écrit un scénario de film.

Comment avez-vous travaillé avec Benoît Blary , le dessinateur?

J'ai écrit le scénario, les dialogues et j'ai découpé tout ça par séquence. J'ai œuvré comme sur un scénario de cinéma. Benoît a ensuite réalisé un story-board à partir de mon descriptif très précis qu'on a retravaillé pour décider par exemple des doubles pages ou des gros plans.

« J'ai essayé de répondre à cette question: comment un petit parti minoritaire a réussi a se porter au pouvoir »

Patrick Rotman

Concernant l'élaboration du scénario sur quoi vous êtes-vous appuyé?

Je me suis appuyé sur la réalité historique et une part d'imagination. J'ai lu et relu des milliers de pages, notamment L'histoire de la révolution russe de Trotski ou les écrits de Marc Ferro. À partir de détails, j'ai imaginé des scènes, comme les déclamations de Maïakovski au cabaret du Chien vagabond, tout en restant dans un cadre proche de la réalité, dans le respect des faits historiques.

À qui s'adresse cet album?

À tous ceux qui s'intéressent à la révolution d'Octobre ou qui ne savent pas exactement en quoi elle consiste. Il y a une visée pédagogique. J'ai eu des retours de lecteurs de tous âges qui me disaient qu'ils avaient découvert cette révolution dont ils avaient une idée lointaine. Le but était d'en raconter les coulisses et d'essayer de répondre à cette question: comment un petit parti minoritaire a réussi a se porter au pouvoir. Une façon de faire découvrir l'histoire par-delà les apparences, ce que je fais toujours.

Que se cache-t-il derrière les apparences de cette révolution?

Tout d'abord, la révolution russe relève d'un mécanisme très complexe. À travers les débats théoriques, pages les plus compliquées de l'album, je voulais rendre compte de cette complexité. C'est à partir de ces discussions de fond qu'on comprend la destinée de cette révolution, à quel point surtout c'était une idée folle.

Qu'entendez-vous par idée folle?

Le gouvernement provisoire de Kerenski aurait permis sans doute à la Russie de se développer normalement comme une démocratie dite bourgeoise dirigée par un socialiste. Puis Lénine arrive et en décide autrement. Le parti bolchevique était minoritaire. Comment a-t-il réussi à s'emparer du pouvoir? Cette révolution ressemble presque à un hold-up. Je suis fasciné par son édification qui tient sur un simple basculement.

Qu'est ce qui a basculé?

Sans la tentative de putsch du général Kornilov contre le gouvernement de Kerenski (à la tête du gouvernement provisoire après la chute du tsarisme), en 1917, la révolution n'aurait pas abouti. Devant le risque militaire, Kerenski a commis l'erreur de faire appel aux bolcheviques, qui sans cela ne seraient jamais sortis de leur trou. Cela montre à quel point l'histoire est une roulette russe.

Que pensez-vous en somme de cet épisode de l'histoire?

Je pense que la révolution est toujours perverse, car elle a des répercussions plus terribles que ce qu'elle prétend dénoncer ou abolir. Les effets d'une révolution sont catastrophiques sur le plan des libertés individuelles, collectives ou économiques. Concernant la prise du pouvoir des bolcheviques le 25 octobre 1917, ce qui m'a frappé et que j'ai essayé de montrer dans cet album, c'est l'écart entre l'immensité de cet événement et le fait qu'il ait été décidé et réalisé par deux hommes, Lénine qui en a été le théoricien et Trotski le génie tactique et stratégique. Sans eux deux, il n'y aurait pas eu de révolution d'octobre.

Que reste-t-il aujourd'hui de la révolution d'octobre?

Le mythe a perduré, mais elle n'est plus la référence quelle a été. On en a fini avec cette vision de l'homme qui pense être le porteur du destin collectif, qu'il va apporter le bonheur. Il y a chez l'homme un irrépressible besoin de croire, et le communisme a apporté cela. Cette utopie folle de faire croire aux gens qu'ils pouvaient participer au changement de leur vie, qu'un régime avec les ouvriers au pouvoir serait possible. Le coût humain n'avait pas d'importance pour les bolcheviques, il était juste un moyen pour s'approprier le pouvoir. Fondamentalement ils ont surfé sur la misère de paysans illettrés qui ont cru à un monde meilleur grâce à la révolution. On ne peut plus croire à de telles choses aujourd'hui.

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