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100 ans de la révolution russe: ce que vous ne saviez pas sur octobre 1917

Portrait de Lénine, sur fond de manifestation.

Portrait de Lénine, sur fond de manifestation. - Tableau d'Isaak Brodsky via Wikimedia Creative Commons

Le 25 octobre 1917, les bolcheviks prenaient le pouvoir à Petrograd, nom porté à l'époque par la capitale russe, Saint-Pétersbourg. C'est l'acte de naissance du premier Etat communiste de l'histoire, appelé à régner sur la Russie, les pays baltes et l'Asie centrale pendant 70 ans. L'événement a aussi influencé tous les mouvements révolutionnaires et les gouvernements marxistes du XXe siècle. BFMTV.com revient sur cette révolution autour de cinq points méconnus décryptés par deux historiens.

L'année 1917 a été rude pour la Russie. L'immense empire qui s'étend de l'est de l'Europe à l'Asie, enlisé aux côtés des Alliés dans une Première guerre mondiale qui ne lui réussit pas, connaît coup sur coup deux révolutions. En février d'abord, lorsque les habitants de Petrograd, nom "russifié" en 1914 de Saint-Pétersbourg dont la consonance rappelait trop l'ennemi allemand, mettent à bas le tsarisme, puis en octobre, lorsque les bolcheviks, emmenés par Lénine, s'emparent du pouvoir, fondant quelques années plus tard une Union des républiques socialistes soviétiques, qui présidera pendant soixante-dix ans aux destinées de cette partie du monde. Cette révolution d'octobre fête actuellement ses cent ans.

Aussi anticapitaliste que capitale, elle reste pourtant très méconnue. Sa date elle-même appelle le débat: si on l'établit généralement au 25 octobre 1917, c'est en vertu du calendrier julien qui avait alors cours en Russie. En France, déjà soumise au calendrier grégorien depuis plus de trois cents ans, on en était déjà au 7 novembre 1917. Au-delà de cette controverse calendaire, de nombreux faits, de la prise du palais d'Hiver à l'attitude de Lénine, demeurent méconnus. BFMTV.com en a retenu cinq et a demandé à deux historiens, spécialistes de la révolution russe, de les analyser. 

Octobre 1917: situation explosive, révolution en catimini

A l'automne 1917, le moins qu'on puisse dire c'est que l'état de la Russie n'est pas brillant. Depuis février, la Russie est une république. Alors que le pays est embourbé dans une guerre contre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie dont il ne voit pas le bout, le gouvernement provisoire a décidé durant l'été de lancer une nouvelle offensive qui s'est révélée coûteuse en soldats, en territoire et en optimisme. L'économie est dans une situation désastreuse, les troubles sociaux sont innombrables. Eric Aunoble, chargé de cours à l'université de Genève et auteur de La Révolution russe, une histoire française, raconte à BFMTV.com cette période d'ébullition:

"Des comités se forment dans les régiments, et des soldats font la chasse aux officiers pour arracher leurs épaulettes. Des troubles ont éclaté dans les campagnes depuis l'été. Des tas d'usines sont en grève ou soumises à ce qu'on appelle un 'lock-out', c'est-à-dire que le patron l'a fermée, avant d'être reprises par des comités ouvriers."

Cette fièvre qui parcourt tout le pays explique d'ailleurs que la révolution d'octobre, restreinte à la capitale, ne passionne pas les foules: "Les gens sont très occupés à faire la révolution, et les événements du 25 octobre passent relativement inaperçus."

Octobre moins sanglant que février

A mesure que les tensions apparaissent, et que la popularité du gouvernement provisoire d'Alexandre Kerenski vole en éclat, les bolcheviks s'activent. Ils vont de caserne en caserne pour s'attirer les bonnes grâces des soldats, obtenant quelquefois leur soutien pour un coup de force prochain et le plus souvent leur précieuse neutralité. Le jour où ils choisissent de passer à l'action, le 25 octobre, le gouvernement est bien démuni: faisant appel à la troupe, les soldats lui refusent leur concours. 

Les "rouges" de Lénine sont très puissants à Petrograd et la révolution d'octobre est l'occasion pour eux de prendre de vitesse leurs concurrents. Sans tarder, ils veulent porter leur effort sur le palais d'Hiver où siège le gouvernement qu'ils comptent renverser. Dans la journée, ils occupent les points stratégiques de la ville, dont les ponts qui enjambent la Neva. Puis, c'est l'attaque contre le palais. Sur le fleuve, le croiseur Aurora, dont les marins sont acquis aux communistes, menace le palais. Cependant, l'action des matelots, parfois enjolivée par la légende reste limitée. "Ils n'ont tiré qu'une salve à blanc", note Eric Aunoble. 

C'est à terre, sous les fenêtres du palais, que les choses se décantent. Dominique Colas, professeur émérite au centre de recherches internationales de Sciences Po et biographe de Lénine, détaille auprès de BFMTV.com les forces en présence: "Les assaillants ne sont pas un petit groupe, façon commando. Ils sont quelques milliers d'hommes. Ceux qui les commandent sont des militants bolcheviks dont certains jouent un rôle important dans le parti". Pour leur donner la réplique et défendre le palais, ils ne trouvent que des élèves officiers et un bataillon féminin, des assiégés qui ne comptent pas "verser leur sang pour ce gouvernement", souligne Dominique Colas. 

"En fait, il n'y a pas vraiment eu d'assaut", complète Eric Aunoble. "C'est un encerclement avec une série d'ultimatums des rouges". L'historien fait d'ailleurs observer que le bilan n'est pas tellement sanglant: la prise du palais d’hiver a fait 6 morts et 50 blessés contre 1443 victimes en février à Petrograd. 

Le déguisement de Kerenski 

Au moment où le symbole du pouvoir tombe, le chef du gouvernement a quitté les lieux. Alexandre Kerenski, un social-démocrate, a levé le camp moyennant un subterfuge. Selon le documentaire diffusé par France 3 la semaine dernière, il serait sorti déguisé en soldat serbe. Eric Aunoble évoque un autre accoutrement: "Kerenski a réussi à partir dans une voiture du consulat américain, et donc il était protégé par l'immunité diplomatique. Selon une version, il est parti déguisé en femme". 

Dominique Colas confirme ce départ discret à bord d'un véhicule de la diplomatie américaine et a aussi entendu parler de cette histoire de travestissement qui serait selon lui une tentative de ridiculiser le vaincu: "On a présenté les choses comme une fuite, on a imaginé qu'il s'était déguisé en femme, ce qui était tout à fait infamant à l'époque". Mais pour le professeur, celui a cédé la place aux bolcheviks n'a fait qu'essayer de défendre sa place comme il le pouvait: "Il a eu une attitude très rationnelle car il voulait reconstituer un gouvernement ailleurs". Mais définitivement défait, il devra bientôt prendre la route de l'exil, d'abord vers la France, puis vers les Etats-Unis. 

La danse de Lénine 

  • Le nouvel homme fort de la Russie est un militant révolutionnaire bien connu: Lénine, qui a passé une bonne partie de sa vie en exil à l'étranger, notamment en Suisse. Revenu au pays après la révolution de février, il en devient le premier dirigeant après le coup d'octobre. Ce théoricien du marxisme n'a pas franchement une réputation d'amuseur. Pourtant, une anecdote court, au point d'avoir pénétré profondément l'imaginaire communiste: au bout de soixante-douze jours, constatant que sa révolution venait de dépasser en longévité la Commune de Paris de 1871, le nouveau chef d'Etat se serait mis à danser dans la neige. 

Nos deux historiens sont d'accord. Difficile à vérifier, le tableau ne tient pas seulement de la légende. "Vrai ou pas, il y a là un noyau réel. il est probable que les bolcheviks ont fait la fête après avoir dépassé la durée de la Commune. C'est un exemple qu'ils avaient tous en tête", valide Eric Aunoble. "On raconte beaucoup d'anecdotes autour de Lénine. Celle-ci est plausible, même si on ne peut pas être sûr qu'elle soit fondée", commente Dominique Colas. 

La Commune de Paris avait été écrasée dans le sang à la fin du mois de mai 1871, se comparer à elle pouvait passer pour un parallèle de mauvais augure. Pour le biographe de Lénine, la joie du leader russe tenait à sa philosophie: "Vouloir faire une nouvelle Commune semble absurde dans la mesure où la première a été une défaite majeure des Parisiens. Mais il faut garder à l'esprit que pour Lénine, la révolution ne peut que l'emporter. Vu comme ça, même un échec est une bonne chose". "Les bolcheviks veulent faire une Commune qui marche", analyse pour sa part Eric Aunoble qui estime que ce désir de réussir là où leurs prédécesseurs ont échoué a influencé la forme future du régime soviétique: "Ou plus exactement, ils veulent faire l'inverse des communards, d'où l'idée de centraliser les forces, de créer une police politique qui s'appelle d'abord la Tchéka, d'où la fondation de l'armée rouge plus tard". 

Le testament d'octobre

Sept ans après la prise du palais d'Hiver, dans les derniers jours de 1922, et les premiers de 1923, Lénine, gravement amoindri par des AVC à répétition, rédige une série de textes qui seront considérés comme son "testament" politique. Bilan de son action, de ses craintes, de ses pensées sur les hommes avec lesquels Lénine a fait la révolution et à qui il souhaite la confier, l'ensemble sonne même comme le testament de l'octobre rouge.

Si, dans ces lignes, Lénine fait quelques compliments, tout le monde en prend pour son grade. Le plus mal servi est Joseph Staline, déjà secrétaire général du Parti communiste. Lénine regrette "le pouvoir immense" concentré entre ses mains, ne le trouve pas assez prudent dans sa manière de l'exercer. Pire, quelques jours après ce premier jet, il ajoute: "Staline est trop brutal." Il propose alors de le remplacer à son poste au sein de la formation politique par quelqu'un qui "soit plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux".

Selon Eric Aunoble, le but du texte était alors de préserver l'unité de l'héritage d'octobre et de conseiller de le confier à une direction collégiale, afin d'éviter les divisions et les querelles de personnes: "En distribuant les bons et les mauvais points, en disant que tout le monde a un peu raison et un peu tort, c'est une façon pour lui de dire qu'il veut qu'ils travaillent tous ensemble". "C'est Staline qui est attaqué le plus nettement mais le texte n'est pas si positif que ça pour Trotski...Comme si, Lénine n'imaginait pas qu'il puisse avoir un successeur. Pour lui, son héritier et celui de la révolution, c'était le Parti et non un individu", juge Dominique Colas. 

Le testament est transmis au Parti communiste après la mort de Lénine. mais les nouveaux maîtres, dont Staline et Trotski, décideront de l'étouffer. Une manière de ne pas ébruiter un carnet de notes embarrassant pour eux, et, en un sens, une façon de tourner la page d'octobre. 

Robin Verner