Le Palais des Festivals à Cannes le 17 mai 2017

Le Palais des Festivals à Cannes le 17 mai 2017

afp.com/LOIC VENANCE

Les "porcs" sévissent partout: aux États-Unis, avec Harvey Weinstein, au Canada, si l'on en croit les dernières accusations visant Gilbert Rozon, mais aussi en France. Que ce soit dans les médias, les grandes entreprises ou au cinéma, certains hommes y usent de leur pouvoir pour obtenir faveurs sexuelles et soumission.

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Pour les actrices, les remarques graveleuses débutent très vite, dès la formation. Il y a une dizaine d'années, Laetitia*, la trentaine, est étudiante dans l'une des plus grandes écoles parisiennes de comédie. L'un de ses professeurs n'hésite pas à évoquer son physique.

"Tes seins n'auditionnent pas?" lui demande-t-il un jour, alors qu'elle passe un casting. Il y a également les remarques récurrentes, "il va falloir coucher pour réussir" ou "il va falloir y passer." "On ne sait pas si c'est du lard ou du cochon, au propre ou au figuré. J'ai tellement vu de pièces de théâtre avec des nanas torse nu alors que cela n'avait aucune raison d'être..." se souvient la comédienne.

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Les remarques sexistes, ça arrive "tout le temps, ajoute Bérengère*. C'est monnaie courante dans le milieu, on pourrait écrire une trilogie." Cette actrice de 31 ans a vécu plusieurs expériences douloureuses, "coincée dans un casting par le réalisateur d'une Web série qui [lui] a roulé une pelle juste pour voir jusqu'où [elle était] prête à aller", par exemple. "Heureusement, j'ai la capacité de dire stop, se félicite-t-elle, quand je sens que ça devient trop malsain."

Un rendez-vous professionnel... dans une voiture

Bérengère dit non lorsqu'un célèbre réalisateur français tente d'abuser de son pouvoir pour parvenir à ses fins. "On était amis sur Facebook depuis un moment, et un jour, il m'a demandé d'aller boire un café, pour que l'on se rencontre entre actrice et réalisateur, ce qui est une bonne idée, dans l'absolu." C'est l'été, Bérengère porte un débardeur. "On a échangé sur nos métiers, c'était intéressant. Et puis d'un seul coup, il s'est mis à me tripoter l'épaule. Légèrement. J'ai eu un mouvement de recul et je lui dis que je n'étais pas là pour ça."

Quelques semaines plus tard, le réalisateur lui propose un dîner, à des fins strictement professionnelles, prétend-il. "Je lui ai répété sur Facebook que je ne souhaitais pas autre chose qu'une collaboration professionnelle. Il m'a dit qu'il était d'accord." Bérengère et lui se voient près de chez elle, "si jamais [elle avait eu] besoin de partir vite."

Coiffure Festival de Cannes 2017: Marion Cotillard

Marion Cotillard a condamné le comportement de Harvey Weinstein.

© / Shootpix/ABACA

Le réalisateur évoque sa femme, elle aussi actrice, durant de longues minutes. Tout se déroule bien, jusqu'à ce qu'il demande "quand ils allaient bien pouvoir coucher ensemble". "Il disait ça en plaisantant, histoire de pouvoir retomber sur ses pieds. Mais je suis tombée des nues! Après tout ce que je lui avais dit, il a quand même essayé. Je lui ai dit qu'il me mettait mal à l'aise et il a prétexté que c'était une blague. Il n'est pas allé trop loin parce que je sais être ferme, mais si j'avais eu 20 ans et que je ne savais pas me défendre? Que se serait-il passé?"

Après ce dîner, elle reçoit des messages sans équivoque sur Facebook. "Il m'a traitée de manipulatrice, de calculatrice, et m'a bien évidemment précisé qu'il ne me ferait jamais tourner dans un de ses films. C'est dommage, j'adorais vraiment sa filmographie. Mais je préfère effectivement ne pas tourner avec des personnes de son genre."

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Laetitia n'a pas beaucoup plus de 20 ans lorsqu'elle se rend à un rendez-vous fixé par un directeur de casting qu'elle a vu le jour-même, lors d'une audition de chant. "Il me rappelle le soir pour qu'on se voie. Comme j'étais avec mon copain de l'époque, je me rends à l'endroit voulu en sa compagnie. Et là, je m'aperçois que le rendez-vous est censé se passer dans une voiture."

L'actrice fait mine que tout est normal et monte dans la voiture pour chanter des chansons. Le directeur de casting joue le jeu. "Il ne voulait pas perdre la face, mais il ne s'attendait certainement pas à ce que je vienne accompagnée. C'était une ambiance très, très étrange."

"Il m'a dit qu'il ne me ferait jamais tourner"

L'auteur Harold Cobert ne fait pas partie du milieu, il est un homme, il a lui aussi essuyé des avances non désirées et insistantes d'un célèbre producteur. "C'était il y a plus de dix ans, explique-t-il à L'Express. Je n'avais pas encore publié mon premier roman et j'étais dans une situation financière assez bordélique."

Harold Cobert rencontre ce producteur audiovisuel, qui travaille à la fois pour le cinéma et la télévision. "Il se trouve qu'un texte que j'ai écrit lui plaisait. Il organisait des dîners chez lui, il m'a invité et, rapidement, fait comprendre que je lui plaisais." Sous la table, il lui inflige des caresses instantes et non consenties. Le romancier ne sait comment réagir. "J'étais emmerdé, piégé, d'autant plus que j'étais dépendant de lui financièrement." Cobert lui explique qu'il n'est pas intéressé. Son interlocuteur réplique et lui parle de l'amour entre Jean Cocteau et Jean Marais. "J'ai insisté, lui ai opposé un refus marqué. Depuis lors, j'ai beaucoup plus de difficultés à le contacter."

Dans le cinéma français, les voix sont peu nombreuses à s'élever contre le chantage sexuel et le harcèlement. Seule Mélanie Laurent a récemment confié au magazine ELLE avoir été harcelée par un réalisateur français lorsqu'elle avait 20 ans, sans donner plus de détails. Quant à Juliette Binoche, elle n'a rien dit de la nationalité de ses agresseurs. Elle a été abusée à 18 et 21 ans par un metteur en scène et un producteur.

Juliette Binoche s'est exprimée sur le harcèlement sexuel dans le milieu du cinéma.

Juliette Binoche s'est exprimée sur le harcèlement sexuel dans le milieu du cinéma.

© / Fewings/ Getty Images

Les comportements de certains acteurs, réalisateurs ou producteurs sont souvent décriés, mais ne dépassent jamais le stade de la rumeur. "Ça ne m'étonne pas. J'ai l'impression qu'on est un peu à la traîne sur tout, estime Bérengère. En France, on sait faire l'autruche et dédramatiser."

* Les prénoms ont été modifiés

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