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Au Kenya, une élection présidentielle dans la plus grande confusion

Quelque 19 millions de Kényans sont appelés aux urnes ce jeudi. L’opposition appelle à un boycott de la consultation.

Par  (Nairobi, envoyé spécial)

Publié le 25 octobre 2017 à 21h51, modifié le 26 octobre 2017 à 08h55

Temps de Lecture 4 min.

Manifestation des partisans de l’opposition, le 25 octobre, à Nairobi.

Terrible, l’image parlait d’elle-même : le juge David Maraga, président de la Cour suprême kényane, s’avance et s’assoit seul face aux magistrats et à la presse. A sa gauche et à sa droite, des fauteuils, désespérément vides. Mortifié, le chef de la plus haute juridiction du pays lit d’une voix blanche sa déclaration. « Regrettablement, s’excuse le chef de la plus haute instance judiciaire du pays, nous ne pouvons pas former un quorum (…) et l’affaire ne peut pas être entendue ce matin. »

Le juge Maraga, érigé en héraut de la démocratie africaine, a dû baisser les bras. Ce dernier examinait mercredi un dernier recours en justice, visant à reporter en urgence la nouvelle présidentielle kényane, fixée pour ce 26 octobre. Mais, dans un ultime coup de théâtre, seuls deux des sept magistrats de l’institution étaient en mesure de siéger mercredi matin : insuffisant pour procéder à un vote. « [L’affaire] est par conséquent ajournée », a conclu Maraga, saluant les présents et quittant les lieux sans un mot.

Jusqu’à la dernière minute, le chef de la Cour suprême aura tenté d’éviter le naufrage. Mais des élections à l’issue incertaine auront donc bien lieu ce jeudi au Kenya : l’aboutissement de deux longs mois de chambardement politique et institutionnel, faisant suite à l’invalidation historique par la Cour suprême de la présidentielle du 8 août, où, dans un premier temps, le président Uhuru Kenyatta fut déclaré victorieux contre son adversaire Raila Odinga. Mais sans doute pas le dernier épisode de la crise qui secoue la démocratie kényane.

« Coup d’Etat »

A l’heure actuelle, on ne pourrait rêver pires conditions pour organiser un scrutin de cette importance. M. Odinga, qui a retiré sa candidature, appelle en effet toujours au boycott de la consultation. « Ne participez pas à cette parodie d’élection ! », a lancé le chef de l’opposition à ses troupes, réunies mercredi à Nairobi, dénonçant un « coup d’Etat » et qualifiant le pouvoir de « dictature », prêt à « utiliser toutes les excuses pour massacrer [le] peuple. »

L’absentéisme soudain des juges de la Cour suprême – dont l’un s’est fait porter pâle et deux autres n’ont pas donné de motif d’absence... – n’est d’ailleurs pas une coïncidence selon l’opposition, qui évoque des « tentatives d’intimidation » visant les « institutions indépendantes » du pays.

Depuis des semaines, les sept membres de la Cour suprême sont en effet la cible d’invectives et de menaces de la part du pouvoir en place. Comme un avertissement, le garde du corps de la numéro deux de l’institution, Philomena Mwilu, a été retrouvé grièvement blessé par balle mardi. De quoi décourager plus d’un magistrat de faire le trajet vers le tribunal.

Dans les bastions de l’opposition, et en particulier dans l’ouest du pays, nombreux sont les bureaux de vote qui devraient rester porte close, en particulier dans la région de Kisumu, troisième agglomération du pays. Et à la veille du scrutin, des centaines d’employés de la commission électorale indépendante (IEBC), craignant des représailles, manquaient encore à l’appel. Dans plusieurs quartiers de la ville, les bulletins n’étaient pas non plus arrivés : les transporteurs routiers contractés par l’IEBC pour acheminer le matériel de vote refusaient de traverser la ville de peur d’être pris pour cible par des manifestants « anti-élection ».

La commission électorale indépendante prépare malgré le tout le scrutin qui doit se tenir le 26 octobre.

Affrontements entre policiers et manifestants

Du côté des bidonvilles de Nairobi, autre place forte de Raila Odinga, la situation est à peine meilleure. Ainsi, à Mathare, le deuxième plus grand de la capitale. « Ici, il n’y aura pas d’élections ! », assure Collin Okoth, jeune habitant du slum, entraînant le visiteur dans une école supposée servir de bureau de vote, où on n’a pas vu la trace d’une urne ou d’un isoloir depuis des semaines. Des échauffourées ont déjà éclaté, jeudi 26 octobre, dans plusieurs villles du pays.

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En août, les affrontements entre policiers et manifestants furent particulièrement sanglants dans le bidonville. « Personne n’osera venir voter dans cette partie de Mathare. Les gens vont rester enfermés chez eux car la tension est toujours très forte entre les Luo [ethnie de Raila Odinga] et les Kikuyu [celle d’Uhuru Kenyatta]. Dans le quartier, la marmite bout, et on n’arrive pas à faire descendre la température », soupire Collin.

Des pans entiers du Kenya pourraient ainsi être privés de vote ce jeudi. Le tout alors que la Constitution elle-même stipule qu’une élection présidentielle doit impérativement être organisée « dans chaque circonscription » du pays.

Pour ne rien arranger, le scrutin sera supervisé par une commission électorale aux abois, décrédibilisée, privée depuis la semaine dernière de son directeur exécutif – parti subitement pour trois semaines en congés – et de l’un de ses sept commissaires – démissionnaire et ayant fui à l’étranger.

Vers un troisième scrutin ?

Pire : dans un jugement rendu in extremis ce mercredi, la Haute Cour kényane a estimé que les présidents des 290 centres de comptage des voix du pays avaient été nommés de manière illégale par l’IEBC. « En clair, ça veut dire que les personnes qui vont présider à la tenue de ces élections occupent leur poste de manière illégale », décrypte l’analyste politique Dismas Mokua.  

« Jeudi soir, nous n’aurons ni gagnant ni perdant. La moitié des Kényans ne se rendront probablement pas aux urnes. La nation restera très divisée et le président qui sortira des urnes n’aura aucune légitimité. »

L’opposition, prudente, n’a pas appelé à des manifestations pour ce jeudi et semble déjà calculer le coup d’après. « Odinga prépare son recours en justice. Il ne veut pas être accusé d’avoir participé à des actes de violences, estime M. Mokua. En l’état, n’importe qui peut aller devant les tribunaux et démontrer sans difficulté que cette élection est totalement illégale. Ce scrutin a 100 % de chance d’être annulé par la Cour suprême dans quelques semaines. » Une situation qui pourrait ouvrir la porte à une troisième consultation, plus périlleuse encore.

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