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Agressées par des hommes politiques, 4 femmes racontent leur calvaire

Elues ou employées de mairie, elles ont dénoncé les agissements de certains hommes politiques. Quatre femmes racontent au JDD les conséquences sur leurs vies personnelles et professionnelles.

Iris Ouedraogo , Mis à jour le
Le harcèlement sexuel n'échappe pas  à la sphère politique.
Le harcèlement sexuel n'échappe pas à la sphère politique. © Abaca

"Dénonce ton porc... à la justice." Après la multiplication de témoignages sous le hashtag #balancetonporc sur les réseaux sociaux, beaucoup de femmes ont été invitées, de façon plus ou moins sympathique, à aller plus loin, en dénonçant les faits et gestes de leurs agresseurs dans un commissariat. Dans les faits, pour celles qui franchissent le pas, c'est un véritable parcours du combattant qui s'annonce. Quant à celles qui ont dénoncé le comportement d'hommes politiques, leur vie peut devenir un calvaire. Quatre d'entre elles se sont confiées au JDD.

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"Je suis en train de mourir à petit feu." Lucile Mignon-Blindauer, 47 ans, vit avec la peur au ventre. Et si sa plainte contre Georges Tron pour harcèlement moral aboutissait à un non-lieu? En 2011, le maire de Draveil et ancien secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique est accusé de viol et agression sexuelle par deux anciennes employées communales. A l'époque, Lucile Mignon-Blindauer n'ose pas dénoncer les faits qui ont débuté, pour elle, en 2006. "A trois reprises", Georges Tron l'agresse, assure-t-elle. "La première fois que c'est arrivé, se remémore-t-elle, c'était lors d'un repas avec le service logement. Il s'est mis à me toucher les pieds sous la table."

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J'avais très mal à la tête et il m'a proposé de la réflexologie

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Quelques jours plus tard, elle se retrouve seule à la permanence du samedi avec lui et explique s'être retrouvée "piégée" : "J'avais très mal à la tête et il m'a proposé de la réflexologie." Lucile Mignon-Blindauer raconte alors avoir été victime d'attouchements sexuels de sa part ainsi que de celle de l'adjointe à la culture de l'époque, Brigitte Gruel. S'ensuit un long calvaire où la jeune femme subit "humiliations et menaces" de la part de l'élu. Elle dépose finalement plainte pour "harcèlement moral" en 2011 mais celle-ci est classée sans suite. Elle décide alors de se constituer partie civile pour poursuivre son combat.

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Difficile de retrouver un emploi

Aujourd'hui, elle attend, fébrile, de livrer son témoignage devant la cour d'assises de Bobigny. Les audiences sont prévues du 12 au 22 décembre prochain. Mais elle craint le classement de l'affaire, l'ancien ministre n'ayant jamais été reçu par les juges dans le cadre de cette plainte. Lucile Mignon-Blindauer estime subir une "double punition": financière d'abord, car l'ancienne assistante parlementaire, en congé maladie pour "choc post-traumatique" ne peut plus travailler. "Forcément, quand des employeurs tapent mon nom sur Internet, ça leur fait peur." Psychologique, ensuite. "La justice ne fait rien. Il me reste quoi? J'achète une corde et je me pends? Ça fera peut-être réagir."

Lorsqu'on l'interroge sur le mouvement autour du hashtag #balancetonporc, elle reste perplexe : "Quand on voit qu'au final, personne ne fait rien, à quoi ça sert de balancer?" Aujourd'hui, elle essaie de se reconstruire ailleurs, en France, mais elle ne peut s'empêcher de "penser à lui", Georges Tron, "qui a tous les droits". "Il peut agresser, il peut harceler en toute impunité."

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Fin 2013, l'élu a obtenu un non-lieu. Mais le jugement a été infirmé par la cour d'appel de Paris et l'affaire repasse donc devant la cour d'assises en décembre.

Un engagement politique reconsidéré

Isabelle Attard, ex-élue Europe Ecologie-Les Verts, déplore elle aussi l'apathie du milieu politique. L'ancienne députée du Calvados fait partie des quatre députées qui ont porté plainte contre Denis Baupin pour "harcèlement et agression sexuelle". Après le scandale qui a conduit l'élu écologiste à démissionner de son poste de vice-président de l'Assemblée, le bruit est retombé et Isabelle Attard dit ne pas avoir "vu beaucoup de différence". "La législation reste très faible. La plupart du temps, quand une femme dénonce, on lui demande de partir et c'est le prédateur qui reste." L'enquête préliminaire ouverte dans le dossier Baupin a été classée sans suite pour prescription.

Dans son cas, Isabelle Attard estime ne pas "vraiment avoir de carrière politique en soi" qui aurait pu subir les conséquences de sa dénonciation. "Mais ça a pu avoir un impact sur la façon dont j'ai été perçue dans ma circonscription", ajoute-t-elle. Des petites phrases entendues ici et là et qui blessent telles que : "Ça ne lui serait pas arrivé si elle avait un mec."

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Je me suis mis à réfléchir sur le pourquoi de mon engagement politique

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Elle explique avoir reconsidéré son engagement politique après l'affaire : "Je me suis mis à réfléchir sur le pourquoi de mon engagement politique au départ. Le sujet de la violence envers les femmes était primordial pour moi. Mais je l'avais un peu mis sous silence car je ne voulais pas être reconnue que pour ça." 

A présent, cette question est au cœur des discussions d'un groupe de parole auquel elle participe avec d'autres femmes "de tout milieu et de tout âge" de sa région. "On a réalisé que l'on avait toutes, sans exception, été victimes de harcèlement." Le thème de la prochaine réunion est déjà trouvé : le livre de Sandrine Rousseau, autre victime présumée de Denis Baupin, Parler

La peur de parler

Parler, Aline Rigaud a elle aussi hésité à le faire. Pourtant, elle se définit comme une "grande gueule qui n'a pas peur de faire des vagues". Mais lorsqu'elle est victime d'une agression sexuelle, cette enseignante craint de voir sa reconversion professionnelle tomber à l'eau. A 40 ans, elle vient de décrocher le concours d'attachée territoriale après un "gros investissement financier et personnel". Il lui reste trois ans, montre en main, pour trouver un poste afin de le valider. 

"Je devais trouver un stage pour d'abord acquérir de l'expérience. Gérard Ducray, alors adjoint à la sécurité du maire de Villefranche-sur-Saône, m'en propose un de plusieurs mois." Mais après quelques temps de collaboration, l'élu tente de l'embrasser et la prend dans ses bras. C'est la sidération pour Aline Rigaud, qui pense d'abord à sa carrière : "Je me suis dit 'merde, il va tout foutre en l'air!'" Le soir, elle raconte les faits à une amie qui travaille, elle aussi, dans une collectivité territoriale. Celle-ci la prévient ": "Aline, si tu portes plainte, tu es grillée!" Mais lorsque l'élu réitère ses gestes la semaine suivante, Aline Rigaud décide de franchir le pas. 

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Le maire m'a reçu d'une manière hyper froide. Je n'ai pas été prise et j'ai su par la suite que c'était un ami de Ducray. J'étais grillée partout

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Aujourd'hui, elle décrit une ville, Villefranche-sur-Saône, où l'influence des "notables" est omniprésente. Gérard Ducray, ancien secrétaire d'Etat au tourisme de Valéry Giscard d'Estaing, signait à l'époque des faits encore ses lettres par "Monsieur le ministre", raconte-t-elle. Et selon l'enseignante, qui a relaté l'affaire dans un livre intitulé Il a fait de moi sa proie, "il a toujours une énorme influence" dans la région.

Avec la médiatisation de l'affaire et la condamnation en appel de Gérard Ducray, Aline Rigaud reconnait avoir du mal à retrouver du travail. "Coincée" dans la région, car partageant la garde de ses enfants avec leur père, elle tente de postuler dans une autre mairie de l'agglomération : "Le maire m'a reçu d'une manière hyper froide. Je n'ai pas été prise et j'ai su par la suite que c'était un ami de Ducray. J'étais grillée partout."

Au bout de plusieurs échecs, elle se décide à revenir à l'enseignement, "loin du monde politique". Mais se confronte tout de même au réseau de l'homme politique. "Un jour dans la salle des profs, une collègue me demande 'Ça ne te dérange pas si je vais à l'anniversaire de Ducray?' Qu'est-ce que vous voulez que je réponde?" 

Toujours ciblée par des remarques

Annie Lahmer, conseillère régionale d'Île-de-France EELV doit également côtoyer des proches de son agresseur présumé dans le cadre de son travail. En juin 2016, elle porte elle aussi plainte contre Denis Baupin. Directrice de cabinet du maire du 2e arrondissement, elle dit "travailler aux côtés de gens qui soutiennent et ont témoigné en faveur de Denis Baupin". Elle a pensé à partir mais "à 58 ans, je n'ai pas le luxe de perdre mon boulot", dit-elle. 

Militante écologiste depuis plus de 25 ans, elle considère que l'affaire a "changé [sa] manière de faire de la politique" et l'a poussée à "faire attention à ce que les femmes soient toujours prises en compte dans les dossiers qu'[elle] traite". 

Deux ans après l'enquête de France Inter et Mediapart qui a révélé les faits au grand public puis le classement de l'affaire pour prescription, Annie Lahmer fait toujours l'objet de remarques d'hommes politiques. "J'attendais l'ascenseur au siège de région et un élu PS m'a dit 'Ah non je le prends pas avec toi, tu vas raconter des conneries!'" 

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