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Comment la France surveille les investissements chinois

De Bercy à l'Elysée, la France surveille les achats chinois en France. En attendant un bouclier européen à la hauteur des enjeux, colossaux.

Bruna Basini , Mis à jour le
Emmanuel Macron et le président chinois Xi Jinping, au G20, en juillet.
Emmanuel Macron et le président chinois Xi Jinping, au G20, en juillet. © Reuters

C'est une liste d'emplettes chinoises compilée dans les ministères et chancelleries européens et depuis peu dans les bureaux de la Commission de Bruxelles . Après le port du Pirée en Grèce, le constructeur automobile suédois Volvo, les pneus Pirelli en Italie, le Club Med en France ou la pépite allemande de la robotique Kuka, sur quels actifs stratégiques et marques emblématiques les entreprises et milliardaires de la deuxième économie mondiale vont-ils jeter leur dévolu? En quatre ans, Pékin a multiplié par huit ses acquisitions et dépensé 35 milliards d'euros en Europe l'an dernier. En France, ces investissements sont étroitement surveillés.

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"Et si demain la Coface tombait dans l'escarcelle de l'assureur-crédit Sino Guarantee ? Ou si les 9,4 % détenus par L'Oréal dans Sanofi intéressaient une compagnie chinoise, pourrions-nous vraiment les bloquer ?", s'inquiète un ancien conseiller économique en poste dans l'empire du Milieu. À croire que la doctrine libre-échangiste ne fait plus la loi à Bercy. Les décrets Villepin en 2005, dégainés pour protéger Danone de Pepsi, et surtout Montebourg en 2014, après le psychodrame du rachat de la division énergie d'Alstom par General Electric, l'ont, il est vrai, écornée.

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L'Elysée à la rescousse

Paris peut désormais bloquer les opérations qui touchent à la défense, la sécurité, l'énergie, l'eau, les transports ou la santé. De quoi mettre sous cloche les deux tiers des sociétés du CAC 40. Qualifié par certains d'"ectoplasme" tant il est flou, cet outil de filtrage est piloté par le Multicom 3, un service de la direction du Trésor. à Bercy, dans une aile du bâtiment Colbert, une dizaine de hauts fonctionnaires gèrent les dossiers extracommunautaires soumis à autorisation préalable. Et la Chine est devenue le nouveau chiffon rouge des contrôleurs. "On se prépare à la prochaine offensive articulée autour du plan d'expansion 2025, qui fixe les parts de marché mondiales que Pékin veut obtenir à cette date et des projets d'infrastructure dans le cadre du programme Nouvelle Route de la soie", reconnaît un membre de la direction du Trésor.

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Il n'y a pas de doctrine claire sur la notion d'intérêt stratégique. Du coup, on n'a jamais empêché une opération avec le décret Montebourg

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Toujours à Bercy, le Sisse (Service de l'information stratégique et de la sécurité économique), placé sous la Direction générale des entreprises, constitue le cœur du réacteur de l'intelligence économique. avec plus d'une trentaine de collaborateurs regroupés dans une zone confidentielle défense. Ils sont dirigés par Jean-Baptiste Carpentier, l'ancien directeur de Tracfin. À eux d'identifier et de protéger les secteurs dits stratégiques. Un travail de bénédictin, car ceux-ci ne se cachent pas forcément dans les groupes cotés mais dans leur réseau de sous-traitants ou des PME/PMI.

De l'avis général, ces vigies n'ont pas encore l'efficacité d'une vraie tour de contrôle. "L'information chemine encore beaucoup depuis les entreprises approchées par des investisseurs, lesquelles préviennent ensuite l'administration", décrit Jean-François Di Meglio, président du think tank Asia Centre. "Il n'y a pas de doctrine claire sur la notion d'intérêt stratégique. Du coup, on n'a jamais empêché une opération avec le décret Montebourg. Quand un dossier s'en­venime avec un partenaire chinois, comme dans les cas d'Accor­Hotels et d'Areva, cela remonte à l'Élysée qui utilise le rapport de force politique pour bloquer", explique Alain Juillet, ancien directeur du renseignement de la DGSE. La sécurité économique des entreprises s'embourbe aussi dans le millefeuille de l'appareil d'État. Outre le Quai d'Orsay, les services de renseignement telle la DGSI (renseignement intérieur), la DGSE, la DRSD rattachée au ministère de l'Intérieur, la Direction générale de ­l'armement ou encore de l'Autorité des marchés financiers surveillent les opérations économiques sensibles. Autant de capteurs qui travaillent en silo, coopèrent difficilement et manquent souvent de culture économique.

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Le modèle américain

Pour le banquier d'affaires Arié Flack, associé à l'élaboration du décret Montebourg, la pratique déployée par le tout-puissant Comité pour l'investissement étranger (CFIUS) aux États-Unis fait référence. Le CFIUS protège les secteurs touchant à la sécurité nationale, aux infrastructures de communication et aux technologies de pointe. "Le mécanisme est rodé, il exerce un vrai filtrage à bas bruit. Les refus sont rares mais les dossiers qui n'arrivent pas au bout du processus se comptent par dizaines", indique Arié Flack.

Le modèle américain est aussi dans le viseur de Bruxelles, où le principe de réciprocité des échanges vient d'enfoncer un coin dans la doxa ultra-­libérale défendue par la Commission. Car le marché chinois reste largement fermé aux investisseurs étrangers. Emmenés par l'Italie, la France et une Allemagne traumatisée par le rachat de Kuka, les dirigeants européens ont affirmé à la mi-­septembre vouloir s'attaquer aux investissements étrangers, et au premier chef chinois, dans les secteurs clés de l'économie. Une proposition de règlement est à l'étude. Place au screening. Jusqu'ici inexistant, ce filtrage n'est, toutefois, pas près d'émerger tant les intérêts des États membres continuent de diverger.

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