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Harcèlement sexuel au travail : quatre femmes témoignent

Plus d'une Française sur deux dit avoir déjà été harcelée sexuellement (photo d'illustration). 84894953/thodonal - Fotolia

ENQUÊTE - Elles ont été agressées sexuellement sur leur lieu de travail ou ont été confrontées à des remarques déplacées. Quatre femmes se confient au Figaro.

Depuis plusieurs semaines, le harcèlement sexuel subi par les femmes sur leur lieu de travail - mais aussi en dehors - est au coeur de l'attention médiatique. L'affaire Weinstein, qui a éclaté outre-Atlantique le 5 octobre, a servi d'élément déclencheur. Dans la foulée, notamment en France, la parole des femmes s'est libérée et des initiatives se sont multipliées sur les réseaux sociaux par le biais des hashtags #BalanceTonPorc et #MoiAussi (ou #MeToo). Selon une étude Odoxa pour Le Figaro et France Info, plus d'une Française sur deux dit avoir déjà été harcelée sexuellement. Le Figaro a recueilli la parole de quatre femmes, qui ont été harcelées sexuellement sur leur lieu de travail. Pour préserver leur anonymat, les prénoms des protagonistes ont été modifiés.

« Il m'a sauté dessus comme un morceau de viande »,

Virginie (consultante, 34 ans).

Virginie*, une femme blonde de 34 ans, est consultante en région parisienne. Alors qu'elle avait 23 ans, tout juste diplômée d'un master en droit privé, elle postule pour faire un stage dans un cabinet d'avocat à Paris. Durant un mois, tout se passe pour le mieux. Jusqu'à un soir d'hiver où un des avocats associés, David*, donne à Virginie un dossier «soi-disant urgent». Alors que toutes les autres stagiaires sont parties du cabinet, Virginie se retrouve toute seule avec David. «Ça a été très rapide. À peine la dernière stagiaire était partie qu'il a aggrippé ma chaise par derrière pour la retourner. Il a mis sa main dans ma culotte et m'a embrassée de force en mettant sa langue dans ma bouche», confie Virginie, encore sous le choc. Elle poursuit: «J'étais tetanisée de peur. Honnêtement, je n'ai même pas compris ce qu'il se passait. Mon premier réflexe a été de le repousser, de regarder si mon téléphone était à portée de main et de regarder par la fenêtre pour voir si je voyais les voisins d'en face pour demander de l'aide». Virginie repousse encore son agresseur à plusieurs reprises, prétextant que quelqu'un l'attend en bas de l'immeuble. Puis elle essaie de lui parler calmement, espérant ainsi s'échapper de cette manière. «Je me suis dit qu'il réaliserait son coup de folie et qu'il arrêterait», confie Virginie. Elle lui demande pourquoi il lui fait ça alors qu'il a une femme et un bébé. David lui répond: «La vie, ce n'est pas noir ou blanc». Elle parvient finalement à s'échapper et portera plainte dès le lendemain. «Je ne suis jamais retournée au cabinet», explique la jeune femme. Elle poursuit: «Jamais un homme ne s'était permis de me sauter dessus comme un morceau de viande sans rien me demander. Je n'avais jamais connu un truc pareil!». La plainte de Virginie ne donnera rien et les policiers ne la rappeleront jamais. «À l'époque je n'ai pas insisté. Je ne voulais pas d'embrouilles dans le milieu juridique et je n'avais pas la force de me battre. Du coup ma carrière en droit s'est arrêtée brusquement avec cette histoire», détaille la jeune femme. Avant de conclure: «Si je parle aujourd'hui, c'est pour toutes les autres».

« Il m'a attrapée et m'a plaquée contre le mur »,

Elise (juriste, 24 ans)

Elise*, 24 ans, est juriste en droit du travail à Paris. À l'été 2012, alors qu'elle est âgée de 18 ans, elle travaille dans une petite supérette de l'ouest parisien. À cette époque-là, les patrons sont en vacances et Karim* devient alors son responsable. Elise le décrit comme «un gars sympa» qui «déconnait beaucoup». Mais il se permet aussi de lui faire de nombreuses remarques sur sa façon de s'habiller. «Plusieurs fois il m'a fait des réflexions du type ‘j'aime bien cette petite jupe' avec un regard appuyé sur mes fesses», détaille-t-elle.

Un jour, Elise doit descendre chercher des produits en réserve au sous-sol où il n'y a aucune caméra de vidéosurveillance. Alors que la jeune femme se dirige vers la chambre froide, Karim sort d'un bureau situé lui aussi au sous-sol. Elise sent qu'il se rapproche d'elle à grands pas. «Au moment où je me suis retournée, il m'a attrapée avec ses deux mains et m'a plaquée contre le mur. Il s'est rapproché de moi très près», explique Elise. Avant de poursuivre: «Je l'ai repoussé et je lui ai mis ma main dans la figure en criant ‘toi tu refais jamais ça!'. Il est resté complètement stoïque et scotché sur place». Elise remonte immédiatement en caisse en courant. «Je finissais mon service une demi-heure après et je ne l'ai pas revu ce jour-là», explique la jeune femme. «Pendant une semaine ou deux, je ne voulais plus du tout descendre en réserve, je restais en caisse. C'était la première fois qu'une chose pareille m'arrivait». Elise, qui habite dans le quartier, ne fait plus ses courses dans la supérette afin de ne pas recroiser Karim. Le lundi suivant, les patrons reviennent de vacances. «J'ai raconté à la gérante tout ce qui s'était passé et elle a pris les choses très au sérieux», explique Elise. Quelques jours plus tard, Karim sera muté dans un autre magasin du même groupe.

« Il m'a pincé les fesses »,

Selma (médecin, 30 ans)

Selma*, 30 ans, est médecin en région parisienne. Elle raconte son quotidien durant ses études de médecine: «Dans ce milieu il y a une ambiance particulière qui fait que tu acceptes beaucoup de choses», débute-t-elle. À 20 ans, Selma effectue sa première garde aux urgences en compagnie de Dimitri*, un interne qui «devait avoir 27 ou 28 ans». «Il m'a fait des blagues salaces toute la soirée», explique la jeune femme. Elle poursuit: «À un moment, pendant la soirée, il est passé derrière moi et m'a pincé les fesses». Dimitri lui dit immédiatement qu'il «n'a pas fait exprès». «Il a dit ça avec un naturel déconcertant», explique Selma, qui dit aujourd'hui «se sentir stupide de ne pas avoir réagi sur le moment». C'est son petit ami de l'époque qui lui a fait prendre conscience par la suite que «ce n'était pas normal».

Régulièrement, la jeune femme doit aussi faire face à des remarques déplacées. «En gynécologie ou en chirurgie, les mecs sont vraiment des porcs», confie-t-elle. Selma se rappelle d'un gynécologue en particulier, Patrick* la quarantaine. Elle a travaillé six mois avec lui au bloc opératoire lorsqu'elle était externe. «Le premier jour, je suis arrivé au bloc et il fallait examiner une patiente endormie, il m'a dit très rapidement ‘Tu vas t'asseoir à côté de moi, écarter les jambes et coller ton pubis contre ma cuisse, j'adore ça'», explique-t-elle. Une autre fois, après le service, il lui lance: «Tu passeras sous mon bureau tout à l'heure». Selma se montre assez fataliste sur cette situation: «En médecine, ça a toujours été comme ça. Tu fermes ta bouche et tu apprends, sinon tu peux vite devenir une paria dans le service».

« Il m'a dit ‘tu dois avoir tes règles en ce moment, tu as mis une culotte' »,

Carole (comptable, 32 ans)

Carole*, 32 ans, est expert comptable dans une grande entreprise agro-alimentaire de l'ouest de la France, une structure dans laquelle cadres et ouvriers se côtoient. Lorsqu'elle marche dans les couloirs de l'entreprise, Carole doit souvent faire face au regard d'hommes qui «se déplacent entre eux» et font des réflexions sur sa tenue vestimentaire. «On m'a dit plusieurs fois ‘dis-donc, y'a du monde au balcon'», explique Carole. Elle poursuit: «Certaines phrases comme ‘ta jupe est plus courte qu'hier' peuvent te mettre hyper mal à l'aise car ça montre qu'on te scrute». La jeune femme déclare: «Je fais attention quand je vais dans la partie atelier et je mets des manteaux plus longs». Adapter sa tenue vestimentaire fait donc partie du quotidien de Carole. «Tu es dans un milieu clos et tu retrouves avec les mêmes personnes dans l'ascenseur. C'est pas normal de se dire ‘comment je vais m'habiller aujourd'hui?' en fonction des gens que tu vas croiser», déplore-t-elle.

Un matin, un collègue de bureau, Pierre*, lui assène: «Tiens, tu dois avoir tes règles toi en ce moment, tu as mis une culotte et pas un string aujourd'hui». «J'étais tellement désarmée que je n'ai même pas su quoi répondre», confie Carole. À chaque incident, la jeune femme en parle à son supérieur hiérarchique et aux RH. «Mes responsables ont toujours été très attentifs sur ce sujet», explique-t-elle. Pierre a d'ailleurs été convoqué à plusieurs reprises. Après des faits similaires qui se sont répétés, il a été licencié.

*Les prénoms ont été modifiés

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43 commentaires
  • stef Nanah

    le

    bientôt, "balance ta porcasse"

  • Pikros

    le

    Le verbe "séduire" est devenu un verbe passif !

  • stef Nanah

    le

    J'ai travaillé deux ans dans l'enseignement, puis 13 ans dans la fonction publique d'Etat. En 15 ans je n'ai jamais été témoin du moindre geste de "harcèlement", main baladeuse, remarque grivoise déplacée, ou autre fait répréhensible. Je suis à 100%. Cela fait donc plus de 4 500 jours travaillés sans aucun fait remarqué. Comment expliquer ce déluge de témoignages soudain? Et pourquoi prétendre que la parole s'est "libérée", alors qu'elle l'est au moins depuis les années 1975 ? D'où vient tout ce tapage médiatique? Qu'on punisse les coupables et qu'on nous épargne à nous, les mâles sans histoire, les hommes désirant et fantasmeurs légitimes, toute cette macédoine indigeste et cette campagne honteusement stigmatisante. Sans compter la dernière lubie du HCE qui maintenant veut retirer le projet de loi sur la garde alternée "parce que la mère est "la figure d'attachement principal" (? en quoi?) de l'enfant. Du genre: "Je suis pour la parité absolue et systématique... enfin... sauf quand ça me gêne aux entournures!"

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