Le harcèlement sexuel sur grand écran : mentalité crapoteuse et prédatrices érotomanes 

Pas cinéphilique le droit de cuissage ? En tous cas, étrangement, quand le grand écran s’empare de ce fléau de société, les harceleurs sont des harceleuses. Glamour, les filles en mâle de sexe ?

Par Cécile Mury

Publié le 27 octobre 2017 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h39

Rions un peu avec le droit de cuissage. Si, si, des femmes qui couchent pour réussir, c’est hilarant. La preuve par Promotion Canapé, de Didier Kaminka. Dont l’affiche accroche le chaland avec un slogan publicitaire tout à fait éloquent : « Le harcèlement sexuel existe, nous l’avons rencontré ! ». Dans cette gaudriole, qui ne date pourtant pas du Crétacé supérieur, mais de la fin du siècle dernier (1990), deux ambitieuses provinciales endurent allègrement… un mâle nécessaire. Voire plusieurs. Bref, le film ne « rencontre » le harcèlement sexuel que pour mieux le justifier : une pratique vieille comme le monde, la chasse aux mammouths ou aux secrétaires sexy. Que voulez-vous, c’est ainsi, messieurs-dames (mais surtout messieurs) !

Mais le pire n’est peut-être pas la mentalité crapoteuse du film en question. Le pire, c’est qu’il est l’un des rares à aborder le sujet. Après vérification, et sauf erreur, le cinéma ne « rencontre » que fort peu ce problème de société sous sa forme la plus endémique, c’est-à-dire la plus ordinaire : les méfaits du prédateur « de proximité » sur sa voisine, sa collègue, sa subalterne… Un comble, quand, à la lumière de l’affaire Weinstein, on constate que le milieu du 7e Art est cruellement concerné, de tous les côtés de l’Atlantique.

En France, selon une enquête Ifop de 2014, le harcèlement sexuel affecte au moins une femme sur cinq, rien que dans le cadre professionnel. Mais autant la télévision s’efforce de représenter le fléau (voir, entre autres, le téléfilm Harcelée, avec Armelle Deutsch et Thibault de Montalembert, récemment diffusé sur France 2), autant le cinéma préfère remplir ses écrans de bien d’autres violences. Certes, en cherchant bien, on déniche une reconstitution (loupée) de l’affaire DSK dans Welcome to New York, d’Abel Ferrara (2014), avec Gérard Depardieu en violeur apoplectique et débordant. On observe Chalize Theron se battre contre les abus de ses collègues masculins, dans une mine du Minnesota (L’Affaire Josey Aimes, de Niki Caro, 2005). Et surtout, on partage le calvaire des Femmes du bus 678, le film égyptien de Mohamed Diab (2010), peinture saisissante d’une société masculine, malade de frustration sexuelle et de volonté de puissance. Chaque jour, dans la rue, dans les transports, partout, une moitié de la population est harcelée, voire violentée par l’autre. C’est peut-être le seul film qui questionne le phénomène dans sa globalité. Et il serait sans doute un peu trop confortable et rassurant de le circonscrire aux pays arabes.

Inversion des rôles

Même s’il existe d’autres exemples, d’autres dénonciations solides, la « filmographie » du harcèlement est par ailleurs curieusement surpeuplée… de prédatrices. Incroyable mais vrai, le cinéma adore inverser les rôles. La preuve de ce déni ultime, par Michael Douglas : le plus harcelé sexuellement à l’écran, c’est lui. Victime de Glenn Close, entre quasi-viol et lapin bouilli dans Liaison Fatale (1988) puis homme-objet de Demi Moore, supérieure hiérarchique aux appétits dévorants, dans Harcèlement (1994). Une « patronne » nymphomane et brutale, comme la Jennifer Aniston de Comment tuer son boss (2011). Ou comment « tuer » son sujet de société, en feignant de donner le « pouvoir » sexuel aux femmes, tout en les dépeignant en menteuses perverses (Sexcrimes, 1997), en briseuses de ménages (partout), voire en véritables cinglées. On ne compte plus les érotomanes, plus dangereuses que le démon Pazuzu dans L’Exorciste, avec à peu près les mêmes effets sur la vie domestique du héros : des films français (Anna M., A la folie… pas du tout), aux Américains (Obsessed, où, cette fois, la « victime » est Idris Elba), le harcèlement au féminin frôle toujours le cas clinique.

Mais, pour être tout à fait honnête, les mâles ne sont pas épargnés par cette confusion entre harceleur et psychopathe, entre sujet de société et thriller, avec la figure du « stalker », qui développe une fixette sur sa prochaine victime : halètements téléphoniques, couteau entre les dents et autres pratiques plus proches du tueur en série façon Scream que du « porc » d’à côté. Des démélés de Jennifer Lopez avec Un voisin trop parfait (tout est dans le titre) aux ennuis de Reese Witherspoon avec son faux fiancé  « idéal » dans Obsession mortelle, ces films n’ont que peu de rapports avec la réalité.

Besoin d’emprise, un accessoire glamour ?

Quand le harceleur n’est pas transformé en croquemitaine de carnaval, c’est encore pire : son besoin d’emprise devient un accessoire glamour. On a ainsi abondamment reproché à Cinquante Nuances de Grey, le grand triomphe sado-maso olé olé de ces dernières années, de faire l’apologie de la manipulation sexuelle et de la soumission féminine.

Il ne reste plus qu’à espérer que, dans une société de moins en moins « consentante », et sous l’énorme pression des scandales et des débats récents, le cinéma s’empare pour de bon du sujet. Disruptors, un projet de film sur les abus réels survenus chez Uber est déjà dans les cartons, inspiré du témoignage d’une ex-ingénieure de l’entreprise de transports, Susan Fowler. Le harcèlement sexuel existe, on attend à présent de le rencontrer vraiment au cinéma.

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