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Analyse

Après Fukushima, l'enjeu méconnu de la sûreté immatérielle

Après l'accident nucléaire japonais il y a trois ans, les exploitants nucléaires ont lancé des chantiers pour renforcer la sûreté physique des réacteurs. Mais la sûreté « immatérielle » est aussi un enjeu crucial.

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Par Véronique Le Billon

Publié le 10 mars 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

L'approche d'une date anniversaire, fût-elle d'une catastrophe, est toujours l'occasion de dresser des bilans. Trois ans après l'accident nucléaire de la centrale de Fukushima Daiichi, au Japon, des conséquences concrètes ont déjà été tirées par le monde nucléaire : des « stress tests » ont été menés et des prescriptions ont été imposées par les autorités de sûreté nationales pour renforcer les équipements qui pourraient, en cas de catastrophe, éviter la fusion du coeur d'un réacteur et limiter les rejets radioactifs. En France, le « post-Fukushima » a été largement commenté : ajouts de matériels d'appoint « ultime » en eau et en électricité, résistance supplémentaire des matériels aux séismes, création d'une « force d'action rapide » mobilisable en quelques heures, construction de locaux de crise bunkérisés, etc. Le tout pour une facture évaluée par EDF à quelque 10 milliards d'euros pour ses 58 réacteurs nucléaires -59 avec le futur EPR de Flamanville - et pour une mise en place prévue à l'horizon 2020.

Un chantier moins médiatisé de l'après-Fukushima est celui du renforcement de la sûreté « immatérielle » du monde nucléaire. Or, comme l'explique l'économiste François Lévêque dans son ouvrage (« Nucléaire On/Off », éditions Dunod), « la cause immédiate de la catastrophe de Fukushima-Daiichi est d'origine naturelle - un séisme doublé d'un tsunami de très grande ampleur -, mais sa cause profonde réside dans l'absence d'une régulation de sûreté transparente, indépendante et compétente ». Moins mesurable, moins chiffrable, cette sûreté qu'on pourrait qualifier de « molle », comme le sont les sciences sociales face aux sciences « dures », est pourtant tout aussi importante. « Des solutions institutionnelles et organisationnelles existent - souvent moins coûteuses que l'ajout de certains équipements redondants - qui peuvent renforcer significativement le niveau de sûreté du nucléaire », poursuit ainsi François Lévêque.

Les exploitants nucléaires, qui sont les premiers responsables de la sûreté, ont toujours réagi au gré des crises. Avec une ligne de conduite guidée par un principe de survie : la faute ou la défaillance d'un seul pèse sur tous. Après l'accident de Three Mile Island en 1979 aux Etats-Unis, les Américains ont ainsi créé l'Inpo, un organisme de contrôle entre pairs. Après Tchernobyl (Ukraine) en 1986, les électriciens en ont lancé une version mondiale, quoique différente, Wano (World Association of Nuclear Operators). Après Fukushima, qui a mis en lumière les dysfonctionnements internes de l'électricien Tepco et illustré d'une certaine manière une défaillance de cette forme d'autorégulation, Wano a été réformé. L'association, qui regroupe jusqu'au Pakistan ou à l'Iran tous les exploitants couvrant les 220 centrales nucléaires (mais pas les réacteurs militaires de recherche ni tous les sites nucléaires), a renforcé ses effectifs, multiplié les revues de pairs (« peer review ») - une par centrale tous les quatre ans en 2015 et un contrôle de chacun des 130 électriciens d'ici à 2017 - et promet d'être beaucoup plus rigoureuse sur les mesures correctrices. Wano fonctionne toutefois selon un principe de confidentialité des rapports qui limite le jugement extérieur. « Il y a de nombreuses informations concernant les pratiques d'exploitation qui n'ont pas vocation à être portées à la connaissance des autorités de sûreté. Il faut respecter les biotopes », tempère Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de recherche et de radioprotection nucléaire (IRSN). L'un des enjeux pour Wano sera le cas sud-coréen, dont l'exploitant KHNP a été égratigné par des scandales de contrefaçon et le manque de transparence. Un contrôle de l'entreprise par ses pairs y a d'ailleurs été mené en novembre. L'AIEA, l'agence internationale chargée de promouvoir un nucléaire pacifique, a aussi engagé quelques mouvements de réforme, dont l'une des illustrations sera, pour la première fois cette année, le contrôle d'EDF.

D'autres idées circulent. Certains plaident pour un mode de certification des réacteurs nucléaires semblable à celui de l'aéronautique, où la licence serait accordée pour une large zone géographique plutôt que pour un seul pays, limitant ainsi les adaptations potentiellement préjudiciables à la sûreté. Mais cela remettrait en cause les prérogatives des autorités de sûreté. L'IRSN s'inquiète aussi de l'inflation réglementaire qui surcharge les équipes et peut conduire in fine à fragiliser des dossiers. « Trop de réglementation tue la réglementation », n'hésite pas à dire Jacques Repussard.

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Après Fukushima, des réflexions ont aussi émergé pour créer des réseaux régionaux avec des centres de référence pour aider les pays voisins d'un lieu d'accident - notamment les pays non nucléarisés, par principe plus démunis. Certains pays ont ainsi proposé de renforcer les obligations d'information et de coopération dans le cadre de la Convention de sûreté nucléaire. Mais d'autres s'y opposent.

Ces réflexions sur la sûreté immatérielle sont d'autant plus nécessaires que de nouveaux risques apparaissent : avec la construction de nombreux réacteurs en Chine, la part de la population proche de centrales s'accroît et une large part du parc actuel arrive dans des zones d'âge proches de leur durée de vie prévue à la conception. Enfin, les salariés qui ont construit les premiers parcs (Etats-Unis, France, Japon) partent à la retraite, mettant en lumière tout l'enjeu des facteurs « sociaux, organisationnels et humains » sur lequel insistent régulièrement l'IRSN et l'Autorité de sûreté nucléaire française.

Les points à retenir

La catastrophe de Fukushima a mis en lumière les dysfonctionnements internes de l'électricien japonais Tepco.

Elle a aussi illustré d'une certaine manière une défaillance de l'autorégulation revendiquée par le monde nucléaire depuis des années.

Au-delà des renforcements d'équipements imposés par les autorités de sûreté, les acteurs du secteur doivent adopter de nouvelles pratiques et s'organiser différemment, pour améliorer la sécurité des installations.

Journaliste chargée de l'énergie au sein du service Industrie des « Echos » Véronique Le Billon

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