LES PLUS LUS
Publicité

Dans sa région, Wauquiez brutal et sans complexe

ENQUÊTE - En Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez teste sa politique très à droite. L'homme fait peur à certains, qui le qualifient de "tyran local" et dénoncent le clientélisme.

Marie-Christine Tabet, Gaël Vaillant , Mis à jour le
Laurent Wauquiez à Antibes (Alpes-Maritimes), jeudi dernier.*
Laurent Wauquiez à Antibes (Alpes-Maritimes), jeudi dernier. © Maxppp

Avoir un bilan à présenter en vue de la présidentielle de 2022 : tel est l'objectif de Laurent Wauquiez , qui veut faire de sa région Auvergne-Rhône-Alpes le laboratoire de la politique qu'il prône pour le pays. Décidé à imposer une rupture au pas de charge, le candidat à la présidence des Républicains n'a pas pris de gants. Lui et les siens ne se cachent pas de mettre en œuvre un programme "vraiment de droite" sur le fond au prix d'une certaine brutalité sur la forme. "Il faut trancher dans le vif, nous avons été élus pour ça", affirme au JDD Étienne Blanc, le premier vice-président chargé des Finances. "Pas moins de 72% de nos maires sont de droite, et 10 de nos 12 départements, alors je ne vois pas pourquoi nous devrions nous excuser de mettre en œuvre nos engagements", explique un lieutenant de Wauquiez. Et Blanc de provoquer : "Gérald Darmanin [le ministre de l'Action et des Comptes publics] aura-t-il le courage de faire avec son budget ce que l'on fait ici?" Il répond lui-même : "Je ne crois pas. Pour réaliser les ­économies promises et mettre les ­administrations au service des citoyens, il faut avoir du courage. Laurent en a."

Publicité

Laurent Wauquiez, personnage sans foi ni loi?

Ce "courage" ne suscite pas l'enthousiasme de tous. "Laurent Wauquiez est un triste personnage, sans foi ni loi", déclare, bravache, Bernard Cotte, maire divers gauche du Mazet-Saint-Voy, l'un des rares édiles de la région à oser défier publiquement son président. Il faut savoir que la plupart n'acceptent de parler que sous couvert d'anonymat, parce qu'ils ont peur, surtout les élus de droite. "Je ne veux pas d'ennuis avec Wauquiez, expose l'un d'eux. Il peut être tellement dur…"

La suite après cette publicité

À la tête d'une enclave parpaillote de quelque 1.100 âmes, Cotte n'est pas peu fier du mot "Résister" - témoignage des persécutions huguenotes du XVIIIe siècle - gravé dans la pierre de lauze au centre de son village. Si Wauquiez a abandonné sa mairie du Puy-en-Velay et son siège de député, il veille jalousement sur sa circonscription, la première de Haute-Loire. Sa mère, Éliane, règne sur la commune du Chambon-sur-Lignon depuis 2008. "Wauquiez distribue les subventions à ses copains, ou plutôt à ses obligés, poursuit Cotte, j'ai reçu son concurrent Jean-Jack Queyranne dans ma mairie pendant la campagne de 2015. Il me le fait payer."

La suite après cette publicité
"

Il se comporte en tyran local. Jacques Barrot, notre ancien président du Conseil général, qui l'avait formé avant de le désavouer, avait une autorité naturelle. Wauquiez pense qu'il va acquérir la sienne avec ses subventions…

"

L'objet de son courroux? Une demande de subvention de 201.150 euros pour la construction d'une salle à vocation culturelle. En juin 2016, le président de la deuxième région de France (près de 4,5 milliards de budget, fonds européens compris) avait réuni lui-même quelques élus du cru. "C'était surréaliste, il promettait 50.000 euros à l'un, 20.000 à l'autre, affirme Cotte. Lorsque mon tour est venu, je lui ai rappelé l'engagement de son prédécesseur." Quelques jours plus tard, Wauquiez lui téléphone et lui signifie un refus pour cause de doublon. Réplique de Cotte : "Tu as pourtant promis à ta mère une salle de sport, or il y en a déjà une dans le voisinage." Un élu - pourtant de droite - du département enfonce le clou : "Laurent a fait un sale coup à Cotte. Il se comporte en tyran local. Jacques Barrot, notre ancien président du Conseil général, qui l'avait formé avant de le désavouer, avait une autorité naturelle. Wauquiez pense qu'il va acquérir la sienne avec ses subventions…" Ambiance.

Les totems de droite préservés 

La dénonciation par la gauche d'un "clientélisme outrancier" laisse de marbre l'équipe Wauquiez. Elle a été élue avec un programme fondé sur un triptyque : sécurité, préférence régionale et réformes, un point c'est tout. "Jean-Jack Queyranne, l'ancien président de Rhône-Alpes, devait sortir le carnet de chèques avant chaque vote et arroser les pompes à finances locales de ses alliés écolos et communistes. Ils n'ont pas de leçons à donner", persifle un proche de Wauquiez. Étienne Blanc argue de la nécessité de faire des économies. "La dotation globale de l'État a baissé de 50 millions d'euros en 2016 et de 53 millions en 2017, détaille-t-il. Nous nous étions engagés sur 300 millions d'économies en cinq ans, nous en avons déjà réalisé 150 en trois ans…"

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

Wauquiez a donc imposé des coupes claires dans les budgets des associations environnementales, annulé deux projets de parcs régionaux dans la Dombes et l'Allier, diminué les subsides alloués à la culture, sacrifié l'accompagnement social des chômeurs au profit de l'apprentissage, dynamité les structures intermédiaires implantées sur les territoires au profit de financements sur projet. Sans complexe, il a bichonné certains totems de la droite, dont l'enseignement privé, les chasseurs, le syndicat étudiant UNI et quelques paroisses dont les églises nécessitaient une restauration rapide. Selon le conseiller régional socialiste Jean-François Debat, le Puy aurait perçu 28 millions d'euros de subventions régionales, deux fois plus que les villes équivalentes de la région. "On nous reproche de financer les chasseurs et d'avoir baissé le budget consacré à l'environnement? interroge Blanc. Il est vrai que nous n'avons pas vraiment la culture des 'associations d'éducation à la prise de conscience'… Nous sommes des pragmatiques." C'est l'ancien responsable des élections à l'UMP puis aux Républicains, Ange Sitbon, qui est chargé de veiller à la "bonne exécution" de la politique de subventions décidée par le président. "Confier à un spécialiste de la carte électorale la clef du coffre se passe de commentaire", fulmine Queyranne.

Le Medef régional apprécie

L'effort d'assainissement des finances a rencontré son public. L'agence de notation financière américaine Standard & Poor's l'a salué et le commentaire du Medef régional est élogieux. "Avec une hausse de 21% des investissements et une nette baisse des frais de fonctionnement, les objectifs que Laurent Wauquiez avait fixés sont en passe d'être atteints", apprécie son président Patrick Martin. Le Conseil économique, social et environnemental régional a livré, lui, deux analyses critiques de sa gestion. De nombreuses économies auraient été le fruit d'un gel ou d'un report de crédits, comme dans le cas des lycées, et non d'une réelle réorientation.

"

Il y a une forme de pression insidieuse sur les agents mis au placard. Ils n'osent rien dire car ils espèrent une nouvelle affectation.

"

C'est à l'intérieur du Conseil régional, dans le palais de verre conçu par l'architecte Christian de Portzamparc en 2012, que la contestation est la plus forte. Tout d'abord séduits par ce "Laurent" qui a fait le tour des bureaux pour se présenter, les agents ont vite déchanté. Jamais ils n'aperçoivent ce boss que même ses vice-présidents ne voient que toutes les six semaines. Wauquiez vit entre Le Puy, avec sa famille, Lyon et Paris. À Lyon, il s'est fait voter une indemnité pour payer ses frais d'hôtel.

Les syndicats se plaignent de ne pas avoir été reçus et accusent Wauquiez d'une brutalité managériale sans précédent. La région fusionnée compte quelque 8.000 agents, dont 6.000 répartis dans les lycées. Elle était constituée de deux collectivités où il faisait bon travailler. L'ancienne région Rhône-Alpes offrait l'une des plus belles grilles indemnitaires de la fonction publique territoriale, et celle d'Auvergne un temps de travail annualisé… à 32 heures.

"

Il est capable de lire Goethe dans le texte et d'utiliser trois cents mots de vocabulaire sur un marché.

"

Au siège lyonnais, où sont concentrées les principales directions, les agents de catégorie A et B ont vu leur monde s'effondrer. Ils seraient 300 à avoir quitté la maison pour la retraite ou un nouveau job. Une quarantaine d'agents seraient toujours sans réelle affectation. "Pendant un temps, la direction avait regroupé les désœuvrés au deuxième étage, explique un cadre, mais cela devenait trop visible. Entre nous, on parlait d'un 'Guantanamo'." Ambiance (bis). Le nombre de directeurs est passé de 60 à 23, tous les postes ont été ouverts à candidature, même lorsque les titulaires n'avaient pas d'autre attribution en vue… Les représentants du personnel allèguent des arrêts maladies et des dépressions en cascade. "Il y a une forme de pression insidieuse sur les agents mis au placard. Ils n'osent rien dire car ils espèrent une nouvelle affectation", explique Viviane Huber, responsable CFDT pour tous les agents de la région fusionnée. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a décidé fin septembre de mandater un audit social pour évaluer la réalité du traumatisme. Pour les "sous-traitants" de la région, syndicats mixtes et associations, la facture de la réorganisation a été encore plus lourde. "Lorsque les collectivités n'avaient pas les moyens de compenser les baisses de subventions, les organismes ont licencié", explique le secrétaire général de l'Unsa du Conseil régional, Christian Darpheuille.

Si Wauquiez assume le fait de "trancher dans le vif", "localement, il ne fait aucune provocation, relève un élu centriste. Sans compter qu'il bénéficie d'un calendrier très favorable : c'est maintenant que nous devons mettre en chantier les équipements qui nous feront réélire en 2020 dans nos mairies. Et comme pour cela nous avons besoin de la Région…" Et puis beaucoup considèrent, selon l'expression de l'un d'eux, que "ce serait idiot d'indisposer le futur patron du parti". Enfin, le brio de Wauquiez a également produit ses effets. "Il est capable de lire Goethe dans le texte et d'utiliser trois cents mots de vocabulaire sur un marché, relève un élu savoyard. On n'a pas toujours eu des premiers de cordée, ici." Emmanuel Macron n'aurait pas mieux dit.

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Publicité