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Un rapport du CSA pointe le sexisme de la pub à la télévision

D'après une étude de l'autorité indépendante, 82% des «experts» représentés dans les publicités télévisées sont des hommes. Les femmes sont reléguées à des rôles de consommatrices inactives, souvent dénudées.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 30 octobre 2017 à 17h13

Ce n'est pas vraiment une surprise : en 2017, la publicité à la télévision française est toujours sexiste, véhiculant à l'égard des femmes des clichés vieux comme un tube cathodique. «Le rôle attribué aux femmes est réducteur et, volontairement ou non, des stéréotypes de genre imprègnent encore un grand nombre de messages», écrit le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dans un rapport consacré à la «représentation des femmes dans les publicités télévisées» que dévoile Libération. Cette étude, dont la publication tombe quelques jours après la prise de conscience liée à l'affaire Weinstein, s'appuie sur une observation des pratiques lors de sept journées différentes, entre octobre 2016 et avril 2017.

Le CSA a décortiqué un peu plus de 2 000 publicités diffusées juste avant 20 heures, sur 24 chaînes gratuites et commerciales de la TNT. Ce créneau horaire a été choisi (sauf dans le cas de la chaîne jeunesse Gulli, pour laquelle c'est celui de 8 heures qui a été retenu) car il correspond à un carrefour d'audience majeur de la télévision. Dans ce rapport, le Conseil, chargé depuis la loi du 27 janvier 2017 sur l'égalité et la citoyenneté de «veiller au respect de la dignité de toutes les personnes et à l'image des femmes qui apparaissent dans [les] émissions publicitaires», établit plusieurs constats. Le premier est que les hommes sont davantage représentés à l'écran : ils constituent 54% des personnages mis en scène par les publicités télévisées, contre 46% pour les femmes – alors que les femmes sont plus nombreuses dans la population française.

Spectatrices passives

Dans le détail, on constate la persistance des stéréotypes : les annonceurs et agences montrent «des hommes pour parler d'automobile et des femmes pour l'entretien du corps», résume le CSA. Quand il s'agit de jeux d'argent (78%), de voitures (64%), de banque et d'assurance (59%) et de technologie (58%), les hommes prédominent. A l'inverse, les femmes ressurgissent en majorité lorsque l'on aborde l'entretien du corps (63%), l'habillement et la parfumerie (57%), les loisirs (56%) et les produits médicaux et paramédicaux (55%). Le monde de la publicité a beau avoir supprimé de son jargon professionnel le terme «ménagères», remplacé par l'expression tout en euphémismes «femmes responsables des achats», il semble n'avoir pas abandonné sa vision de la répartition des rôles et des tâches héritée des années 50.

«On subodorait ces résultats mais c'est toujours mieux de mettre des chiffres sur les mots, commente Sylvie Pierre-Brossolette, la conseillère au CSA qui a supervisé ce rapport. Nous n'avions pas d'étude précise mettant en lumière cet état de fait. Il ne s'agit pas de s'indigner sur un exemple particulier. Nous avons fait un examen exhaustif sur plusieurs mois. C'est un élément très important pour ouvrir une discussion.»

La disproportion s'accentue quand on s'intéresse aux visages des «experts» représentés dans les publicités télévisées. Par ce mot, le CSA désigne «les personnages occupant la position du sachant, apportant une connaissance particulière sur le produit proposé dans la publicité». Soit par exemple le chercheur en blouse blanche, au sourire éclatant, qui apparaît à l'écran pour vanter la capacité d'un dentifrice à redonner vie à vos gencives. Les hommes occupent 82% de ces rôles publicitaires d'experts, contre seulement 18% pour les femmes… L'équilibre entre les deux genres est en revanche quasiment respecté (51% pour les femmes, 49% pour les hommes) pour les rôles «esthétiques ou inactifs» ou de «consommateur-trice». En résumé, la publicité cantonne les femmes à une position de spectatrices passives, se décidant à bouger pour acheter quand un homme leur a expliqué pourquoi elles auraient intérêt le faire…

«Objets de désir»

Dernier constat du CSA, là aussi peu étonnant : la publicité sexualise davantage les femmes que les hommes. Sur 82 messages mettant en scène des attitudes suggestives ou des cadrages intimes, 55 le faisaient via des corps féminins. Ils étaient majoritairement l'œuvre du secteur «habillement et parfumerie», relève le rapport. «Une publicité de parfum pour homme illustre bien cette tendance, note le Conseil. Le personnage principal de cette publicité est un homme qui traverse un terrain de sport, torse nu, avec un trophée posé sur l'épaule. La publicité se clôt sur l'homme rentrant dans son vestiaire et trouvant un groupe de femmes en train de l'attendre, uniquement couvertes par un léger voile.» Le CSA fait référence, sans la nommer, à une réclame pour la marque Invictus de Paco Rabanne.

«Tout se tient, insiste Sylvie Pierre-Brossolette, l'affaire Weinstein en tête. Tant que l'on conserve ces clichés de représentation en objets de désir ou en consommatrices, on ne favorise pas le respect des femmes. La publicité à la télévision a fait des progrès : il y a moins d'images dégradantes ou humiliantes. Mais les messages sont parfois subliminaux, avec des poses lascives ou des airs évaporés, qui imprègnent les mentalités.»

Après la publication de ce rapport, le Conseil mènera des entretiens avec les organisations professionnelles du secteur de la publicité, représentant les marques annonceurs, les agences créatives et les supports de diffusion. «J'ai l'impression qu'ils sont de bonne volonté», avance Sylvie Pierre-Brossolette, qui espère les faire signer des «engagements de bonnes pratiques» dans les prochains mois. La conseillère du CSA dit vouloir avancer sur le dossier en misant sur le «pragmatisme» plutôt que sur des mesures de coercition. Elle envisage de renouveler cette étude statistique chaque année pour mesurer et encourager le changement de comportement.

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