Il attire les curieux, avec son foulard lui bandant la bouche et son corps entièrement recouvert de peinture rouge. Assis devant la Generalitat, le siège de l’exécutif catalan à Barcelone, Lluis Villacorta exhibe une pancarte sur laquelle on peut lire son appel à l’aide pour la Catalogne, « une nation opprimée ». Ce militant passe tous ses après-midi sur la place San Jaume depuis un mois pour faire valoir la cause indépendantiste. Mais au soir du 30 octobre, trois jours après la proclamation de la République catalane qu’il a tant attendue, c’est la tristesse qui domine dans ses yeux.
« Je suis un peu perdu, explique-t-il, décontenancé. Je m’attendais à ce qu’il y ait plus de gens aujourd’hui. Je ne comprends pas pourquoi tout s’est arrêté si brusquement ». Devant lui, la place qui a accueilli la ferveur des indépendantistes vendredi soir est presque vide, exception faite d’une quinzaine de journalistes. « Alors, il ne s’est rien passé ? », lui demande, fébrile, une passante tout juste arrivée. C’est d’un haussement d’épaule déçu qu’il lui répond.
« Nous attendons un événement, n’importe quoi »
Comme eux, toute la journée, plusieurs indépendantistes barcelonais sont allés et venus, l’air interdit, devant la Generalitat. Certains pour brandir la bannière indépendantiste, d’autres pour chanter l’hymne catalan, d’autres encore pour exprimer leur colère contre le « coup d’Etat de Madrid », qui a placé la Catalogne sous tutelle vendredi. Ceux-là crient « Liberté ! » en catalan, et déclenchent l’ire de plusieurs passants qui sont aussi venus « défendre les couleurs de l’Espagne unie ».
Mais les actions sont individuelles, et ne parviennent pas à fédérer plus d’une trentaine de personnes. Aucun parti, aucune association n’a appelé à un quelconque mouvement pour contester la mise sous tutelle de Madrid, ni pour défendre la République catalane, proclamée et presque aussitôt enterrée. « Nous attendons qu’il y ait un événement, n’importe quoi », dit Ignacio Casamada, qui aurait aimé, comme beaucoup d’autres, voir apparaître Carles Puigdemont, le président destitué de la Catalogne, aux portes du palais de l’exécutif. « C’est un moment de grande incertitude », concède ce retraité, qui a été de toutes les manifestations antérieures.
« C’est toujours notre président, c’est pour lui qu’on a voté », assure Elisenda Carrasco, enveloppé dans un drapeau indépendantiste. Elle en est convaincue : « Il va continuer à travailler avec son gouvernement, pour l’indépendance. » Toute la matinée, ses soutiens l’ont cru, ou espéré, à l’intérieur de la Generalitat. Mais l’ancien président catalan n’est pas apparu de la journée.
« J’espère qu’il n’a pas abandonné le peuple »
« On dit qu’il est à Bruxelles », avance Lluis Villacorta, même s’il n’y a pas été vu davantage qu’à Barcelone. Moi, j’espère juste qu’il n’a pas abandonné le peuple. Je ne comprends pas pourquoi ils ne nous disent rien. » Pourtant, aucun ne blâme M. Puigdemont. Pour les uns, il est parti chercher le soutien de l’Europe ; pour les autres, il s’est trouvé acculé par la plainte pour rébellion déposée contre lui par le parquet de Madrid.
Pour Claudio Capdevilla, membre de l’Assemblée nationale catalane (ANC), puissante organisation indépendantiste, le silence assourdissant des partisans de l’indépendance, citoyens ou hommes politiques, est une stratégie. « Nous n’avons rien prévu, mais ne rien faire, c’est le plus grand mal qu’on puisse faire à Madrid, dit l’homme à l’air bourru, un badge aux couleurs de la Catalogne indépendante épinglé à l’épaule gauche. Ils n’attendent que ça pour nous envoyer la police. Si on ne bouge pas, ils se fatigueront », poursuit-il, lui qui se dit certain que même si Madrid convoque de nouvelles élections, les indépendantistes « gagneront de toute façon ».
Cependant, face à la déclaration du parti de M. Puigdemont, le Parti démocrate européen catalan (PDeCAT), qui a annoncé lundi qu’il participerait au scrutin du 21 décembre, beaucoup ne peuvent réprimer une grimace. « Je ne sais pas si j’irai, s’interroge Elisenda Carrasco. Voter en décembre, n’est-ce pas accepter que l’indépendance n’existe pas ? » Et c’est bien là le tourment des citoyens indépendantistes qui craignent d’être désormais seuls à défendre encore « leur » République à Barcelone.
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