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Quand la précarité touche aussi les jeunes diplômés

Même si le diplôme protège encore du chômage, près de 20% des titulaires d’une licence ou plus étaient en recherche d’emploi un an après la fin de leurs études. Décryptage et témoignages au sein d’une résidence qui héberge des jeunes travailleurs.

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La proportion des jeunes diplômés éprouvant des difficultés à trouver un emploi stable a doublé entre 2001 et 2016. (Shutterstock)
Publié le 2 nov. 2017 à 09:37Mis à jour le 2 nov. 2017 à 10:01

Lorsque l’on entre dans la résidence Saint-Sébastien de l’Association Logement des Jeunes Travailleurs (ALJT), Ariane Eksl, responsable de cet ensemble du onzième arrondissement parisien, regrette de ne pouvoir nous faire visiter les chambres. “Elles sont toutes occupées sauf une, dans lequel nous faisons des travaux. Et une locataire emménage dans 3 jours.”

Le turn-over est fréquent dans cet établissement où, comme pour les soixante-trois autres résidences de l’ALJT en Ile-de-France, des jeunes, seuls ou en couple, peuvent bénéficier d’un logement à prix réduit (à partir de 410 euros pour 12m² minimum, toutes charges comprises) s’ils présentent un contrat de travail. Les jeunes diplômés, s’ils ne sont pas majoritaires, font partie des profils retenus par l’ALJT.

Etat des lieux

Salariés de moins de trente ans et titulaires d’une licence ou plus, cette catégorie de jeunes est plutôt favorisée sur le marché de l’emploi. Néanmoins, en 15 ans, sa situation s’est fragilisée : le taux de chômage des jeunes diplômés a doublé entre 2001 et 2016, passant de 5 à 10% selon le Centre d’Observation de la société. Par ailleurs, 18% des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ne trouvent pas d’emploi un an après leur entrée sur le marché du travail, selon le Baromètre APEC 2017.

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Cécile*, 26 ans, peine à trouver un emploi un an après sa sortie d’école d’architecture. “J’ai essayé de trouver un poste l’été de ma sortie d’école, mais je n’ai rien trouvé.” Après avoir pris un poste de vendeuse au Bon Marché pour pouvoir postuler à une résidence de l’ALJT, Cécile a choisi de se consacrer pleinement à sa recherche d’emploi. Sans succès pour l’instant. “Peut-être que je m’y prends mal ?”, s’interroge la jeune fille.

Antoine*, 26 ans, en résidence à l’ALJT Marcadet, dans le 18ème arrondissement, est dans une situation similaire. Après trois ans de prépa littéraire à Paris, l’ex-khâgneux s’est spécialisé dans le jeu vidéo et la didactique de l’image pour travailler dans le domaine de la médiation culturelle. 

Mais, malgré de nombreuses expériences dans le milieu (il a, entre autres, fondé sa propre asso universitaire de médiation), Antoine enchaîne les missions courtes sans décrocher le sésame du CDI, un an après être sorti de master. “A force de passer des entretiens et de ne rien obtenir, on se décourage,” soupire-t-il.

Utiliser son réseau

A l’ALJT, on se demande pourquoi ces profils-là trouvent des difficultés à s’insérer sur le marché de l’emploi. “On pense que ces jeunes ne bénéficient pas d’un bon réseau, ou qu’ils ne savent pas l’activer suffisamment”, déclare Valérie Dulin, directrice de l'ingénierie sociale et de la communication à l’ALJT. “Je ne contacte pas mes profs ou mes camarades de promo”, reconnaît Cécile. “Je réponds essentiellement à des annonces en ligne postées par des agences d’architectes.”

“C’est pour cela qu’on essaye de les aider en organisant des ateliers CV et que l’on fait venir des recruteurs pour coacher nos résidents”, note Ariane Eksl. L’ALJT Marcadet s’est également rapprochée de l’association “Proxité”, qui propose un système de parrainage entre jeunes et professionnels. Antoine est régulièrement en contact avec sa “marraine”, fonctionnaire à Bercy, qui lui prodigue des conseils carrière.  Des tentatives qui restent encore expérimentales.

Les salles communes de l’ALJT sont devenues des espaces de socialisation à cet effet. “Depuis cette année, on a décidé de les ouvrir 24h sur 24h, pour permettre aux résidents de s’y retrouver et d’échanger sur leurs parcours”. Grâce à ces formes de socialisation, plusieurs résidents ont réussi, sur les conseils de leurs pairs, à trouver des CDI.

Allongement de la durée des études

Pour François Sarfati, sociologue spécialiste des “marchés du travail, entreprises, trajectoires” au Centre d’études de l’emploi, plusieurs facteurs expliquent que les jeunes diplômés connaissent, eux-aussi, des difficultés. “La France est, plus que les autres sociétés européennes, une société du diplôme, du prestige et du concours. Le diplôme occupe une place prépondérante dans l’accès à l’emploi.” Les filières sélectives sont donc privilégiées par les recruteurs, tandis que les filières universitaires paraissent moins attirantes.

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En parallèle du prestige se pose la question de la professionnalisation des études. “L’université pâtit de la réputation - en partie injuste - qu’elle est moins professionnalisante que les écoles. Si des efforts ont été faits de longue date sur ce sujet, la loi Pécresse de 2007 sur les universités est venue entériner ce travail visant à améliorer l’insertion professionnelle des étudiants." 

"Elles ne sont plus simplement des lieux de savoir,”ajoute le sociologue. Un bac+5 qui sort de l’université pourrait, en théorie, avoir fait autant de stages qu’un étudiant d’école et avoir développé toutes les qualités professionnelles requises sur le marché du travail.

A cela s’ajoute l’allongement global de la durée des études en France depuis les années 1970, et le fait que de plus en plus de jeunes obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur. 32 % des jeunes entrés en sixième en 1995 ont obtenu un diplôme de niveau bac + 3 ou plus contre 26 % des jeunes entrés en sixième en 1989, révèle une étude du ministère de l'enseignement supérieur.

Inégalité d'accès à l'information

Par conséquent, les études universitaires, qui étaient à l’origine professionnalisantes, sont devenues plus généralistes. “Beaucoup d’étudiants s’inscrivent en lettres ou en histoire sans avoir l’intention de poursuivre une carrière universitaire ou de passer l’agrégation. Ils se spécialisent ensuite en master en fonction des secteurs qui les intéressent”, explique François Sarfati.

Il s'ensuit que des jeunes diplômés postulent à des postes pour lesquels ils ont plus de diplômes que leurs prédécesseurs. C’est l’impression qu’en a Antoine, qui s’est vu refuser un poste d’animateur culturel parce que la structure cherchait un profil d’animateur “plus classique”, comprendre, moins diplômé.

“Si le diplôme protège toujours contre le chômage, remarque le sociologue, reste que les jeunes ne sont pas égaux lorsqu’il s’agit de choisir à quel diplôme ils vont s’inscrire”, et cela expliquerait les erreurs de parcours ou les cursus accidentés, menant à une attractivité moindre sur le marché du travail.

Les “jeunes” sont un ensemble d’individus aux situations sociales hétérogènes, et ils ne sont pas égaux en termes d’accès à l’information. "Certains secteurs, comme ceux de l’économie sociale et solidaire, qui recrute beaucoup les sortants de SHS, sont aussi des secteurs qui ont beaucoup recours à l’emploi précaire," conclut le chercheur.

Ainsi, les jeunes diplômés qui galèrent sont aussi ceux qui, cherchant à s’insérer dans certains secteurs professionnels bouchés, n’ont pas forcément eu toutes les cartes en main quand il a été question de choisir leur formation.

*A la demande des personnes interrogées, leurs prénoms ont été modifiés

Esther Attias

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