Nouvelle-Calédonie : 40 ans de lutte pour l'indépendance en 5 dates

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Nouvelle-Calédonie : 40 ans de lutte pour l'indépendance en 5 dates

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Deux femmes lisent le journal sur une plage de Nouvelle Calédonie suite à la signature de l'Accord de Nouméa, avril 1998
Deux femmes lisent le journal sur une plage de Nouvelle Calédonie suite à la signature de l'Accord de Nouméa, avril 1998
© AFP - Claude Beaudemanlin

Previously. A l'approche du référendum d'autodétermination et alors que s'est tenue, jeudi 2 novembre, la 16e réunion du comité des signataires de l’accord de Nouméa, voici en cinq jalons et archives sonores la façon dont s'est structurée depuis la fin du XXe siècle l'idée d'indépendance en Nouvelle-Calédonie.

Un référendum d'autodétermination est prévu en 2018 en Nouvelle-Calédonie. La date du scrutin reste encore à déterminer mais ce sera, selon le calendrier défini par l'Accord de Nouméa, en novembre 2018, au plus tard. Comment est née l'idée d'indépendance en Nouvelle-Calédonie, île du Pacifique dont la France a pris possession en 1853 ?

Le chemin a été sinueux et parfois violent, comme en 1878 lors d'une insurrection kanak contre la colonisation, qui s'est soldée par 1 200 morts dans le camp du soulèvement. Ce n'est qu'en 1946 que la Nouvelle-Calédonie cesse d'être nommée colonie. Les Kanak obtiennent alors la liberté de circulation, de propriété, et leurs droits civils. Le droit de vote, également accordé en 1946, ne devient vraiment effectif qu'en 1957, un an après la loi-cadre du ministre français d'outre-mer Gaston Defferre qui commence à amener la Nouvelle-Calédonie vers plus d'autonomie. Cette loi-cadre crée notamment un Conseil de gouvernement local. D'une culture mélanésienne revendiquée lors d'un festival à une prise d'otage tragique, des Accords de Matignon à ceux de Nouméa, voici cinq jalons décisifs depuis 1975, qui ont structuré la lutte pour l'indépendance kanak :

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Du Grain à moudre
39 min

1975 : Le festival Mélanésia 2000 et le congrès de Temala

En septembre 1975, plus de 50 000 personnes assistent au festival Mélanésia 2000, premier festival des arts mélanésiens organisé en Nouvelle-Calédonie. De nombreuses cérémonies se déroulent durant cinq jours sur le site du futur Centre culturel Tjibaou, sur la péninsule de Tina (Centre prévu dans les accords de Matignon en 1988 et inauguré en mai 1998 par le Premier ministre Lionel Jospin, présent pour la signature de l'Accord de Nouméa). Ce festival, en plus du côté culturel, porte aussi un message politique. Il s'agit de la première représentation publique pour la reconnaissance de la culture kanak.

Jean-Marie Tjibaou revient ainsi sur la signification de Mélanésia 2000 sur le plateau de RFO (6 octobre 1988) :

C'était la première fois que des Kanak se rassemblaient pour dire qu'ils ne sont pas seulement des vestiges d'une race en voie de disparition mais qu'ils sont fondamentalement présents avec une volonté de construire l'avenir, de partager l'avenir en apportant ce qu'ils ont de saveur à la vie moderne.

Trois mois après Mélanésia 2000, en décembre 1975, les mouvements indépendantistes kanak s'unissent au sein du Parti de libération kanak Palika, lors du congrès de Temala. En 1978, le Front indépendantiste est créé par six partis, dont le Palika.

Ecoutez cette archive de 1975 dans laquelle Olivier Stirn, secrétaire d'Etat aux DOM-TOM, fait le bilan de son voyage récent dans le Pacifique, et en Nouvelle Calédonie. Il dit ne pas y avoir observé de volonté d'indépendance politique (1'40) :

1975 : "L'indépendance, personne ne la veut", Olivier Stirn (1'40)

1 min

1984 : Le gouvernement provisoire de Kanaky

Avec l'élection de François Mitterrand en 1981, les attentes indépendantistes s'expriment plus fermement. En 1983, lors de la table ronde de Nainville-les-Roches (Essonne), un "droit à l'indépendance" est reconnu aux Kanak et une négociation débute pour l’autodétermination. En 1984, le Front de libération national kanak socialiste (FLNKS), qui remplace le Front indépendantiste, mécontent de l'avancée des négociations appelle au boycott des élections territoriales et met en place un "Gouvernement provisoire de Kanaky" présidé par Jean-Marie Tjibaou. C'est le début de quatre ans d'un conflit politique et ethnique appelé les "Évènements" qui a fait des dizaines de morts et qui ne prend fin qu'avec la prise d'otage sanglante de la grotte de l'île d'Ouvéa.

Ecoutez dans cette archive de 1984 Jean-Marie Tjibaou proclamer la création du gouvernement indépendant kanaki, le 30 novembre, et lever le drapeau Kanak :

1988 : Prise d’otage et Accords de Matignon

Le matin du 5 mai 1988, des forces spéciales françaises et le GIGN prennent d'assaut une grotte, sur l'île d'Ouvéa, où des indépendantistes kanak du FLNKS détiennent une vingtaine de gendarmes. Au terme de combats très violents, dix-neuf ravisseurs et deux militaires sont tués. Ce dénouement sanglant des "Évènements" déclenche des négociations, sous la médiation du Premier ministre Michel Rocard. Le 26 juin 1988, les Accords de Matignon sont signés. Ils prévoient notamment l'organisation d'un scrutin d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie dans les dix ans.

Le Premier ministre Édouard Philippe a rendu hommage le 31 octobre 2017 à deux signataires des Accords de Matignon : Jean-Marie Tjibaou, alors président du FLNKS et Jacques Lafleur, du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (anti-indépendantiste) :

Ceux qui ont osé se serrer la main il y a trente ans, qui ont osé rompre avec les canons traditionnels du droit institutionnel et du droit public français, ceux-là, qui ont parfois payé de leur vie leur engagement ont été des héros français.

Jean-Marie Tjibaou, et son secrétaire général, Yeiwéné Yeiwéné, ont été assassinés le 4 mai 1989, sur l'île d'Ouvéa, par un ancien militant du Palika qui leur reprochait la signature des Accords de Matignon.

Ecoutez cette archive de 1988, dans laquelle Jean-Marie Tjibaou analyse l'impact des Accords de Matignon (45 sec) :

1988 : "J'espère vous convaincre que la souveraineté sera la meilleure solution pour tous" J-M Tjibaou

44 sec

Groupe d'indépendantistes kanaks armés à l'orée du village de Canala, 27 avril 1988
Groupe d'indépendantistes kanaks armés à l'orée du village de Canala, 27 avril 1988
© AFP - Remy Moyen

1998 : L'Accord de Nouméa, double légitimité et citoyenneté néo-calédonienne

Finalement, dix ans après les Accords de Matignon, indépendantistes et non-indépendantistes décident de négocier de nouveaux accords avec l'État. Le 5 mai 1998, l'Accord de Nouméa est signé puis validé en novembre par un vote sur l'île. Dans l'Accord de Nouméa, la France reconnaît "les ombres de la période coloniale". Le texte met en place une autonomie forte, avec l'organisation d'un transfert progressif de compétences de Paris à Nouméa. Paris ne doit conserver, à terme, que les pouvoirs régaliens. L'Accord de Nouméa prévoit également, de nouveau, l'organisation d'un scrutin d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie dans les dix ans (avec possibilité d'organiser, sur demande du Congrès calédonien, deux autres scrutins jusqu'en 2022, si le non l'emportait lors du premier référendum) et invite, d'ici là, à une meilleure prise en compte de l'identité kanak (avec la construction d'un destin commun) et à la promotion de la culture et des langues kanak en leur attribuant un statut civil coutumier.

Ecoutez cette archive de 1998, dans laquelle Roch Wamytan, leader indépendantiste du FLNKS, assure que le territoire choisira l'indépendance au terme de la période intermédiaire ouverte par l'Accord de Nouméa, et la position opposée de Jacques Lafleur, anti-indépendantiste (1'10) :

La réception de l'accord de Nouméa par les indépendantistes et les anti-indépendantistes

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Années 2010 : la construction d'une nation

En 2010, la Nouvelle-Calédonie a adopté un hymne, une devise, le graphisme des billets de banque et le double drapeau. Les transferts de compétences se poursuivent. La fin de ce processus, normalement prévu en 2014, a pris du retard. Les transferts se poursuivent en 2017. La première semaine de novembre 2017, le Comité des signataires de l'Accord de Nouméa se réunit à Paris. Objectif : organiser la consultation sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, au plus tard en novembre 2018. La date du scrutin, ainsi que la question à poser doivent être définis. La question de la constitution d'un corps électoral est également posée. En effet, l'inscription automatique des natifs (les Caldoches ou les résidents installés avant 1994 sur l'île) sur la liste référendaire divise les parlementaires en Nouvelle-Calédonie. Une partie des indépendantistes réclame que seuls les Kanak y soient automatiquement inscrits.

Il n'est pas question qu'il y ait une différence de traitement entre les Kanak et les autres, protestent les loyalistes. De leur côté, les indépendantistes du FLNKS estiment que ce corps électoral correspond à un "équilibre trouvé en 1998 et qu'il n'est pas envisageable d'y revenir". Avant les réunions de travail qui se déroulent toute la première semaine de novembre 2017, Édouard Philippe a appelé à définir des règles claires pour le scrutin, pour "que cette consultation ne prenne pas la forme d'un affrontement". Une nouvelle réunion du Comité des signataires de l'Accord de Nouméa doit se tenir en mars ou avril 2018, normalement pour terminer de définir l'organisation du référendum d'autodétermination. Dans le même temps, Édouard Philippe se rendra en Nouvelle-Calédonie avant la fin de l'année. Emmanuel Macron ira également, avant le mois de mai 2018.