Décret Photoshop, maquillage... La tendance est au naturel

LE PARISIEN WEEK-END. Depuis le 1er octobre, le « décret Photoshop » oblige journaux et magazines à spécifier si une photo a été retouchée. En parallèle, des mouvements féministes revendiquent l’authenticité et combattent les injonctions du physique parfait. Pour notre dossier, la comédienne Marie Gillain s’est prêtée au jeu d’une interview et d’une séance photo sans fard.

    Quelques centimètres de tour de hanches en moins, une poitrine qui gagne une taille de bonnet comme par magie ou un bourrelet effacé en quelques clics... Grâce aux logiciels de retouche (ou à cause d'eux), les publicités sont peuplées depuis des années de créatures parfaites, qui n'ont plus grand-chose à voir avec la commune des mortelles. Des mirages, d'autant plus inatteignables que rien ne précise qu'ils sont créés par ordinateur.

    Mais ça, c'était avant. Depuis le 1er octobre, un décret, dit « décret Photoshop », oblige à ajouter la mention « photographie retouchée » sur les photos à usage commercial de mannequins dont l'apparence corporelle a été modifiée. Les annonceurs qui ne jouent pas la transparence risquent une amende allant jusqu'à 37 500 euros. Objectif de cette mesure ? « Donner une image du corps plus réaliste dans notre société afin de mettre fin à l'incitation à la maigreur extrême, voire à l'anorexie, chez les jeunes les plus fragiles qui sont sensibles à un idéal de beauté inaccessible », précise le ministère des Solidarités et de la Santé. Le « décret Photoshop » s'inscrit dans la loi santé de 2016 qui, depuis le printemps dernier, astreint les mannequins à présenter un certificat médical attestant leur bonne santé pour défiler. Alors qu'on estime que 600 000 personnes souffrent en France de troubles du comportement alimentaire (TCA, principalement anorexie et boulimie), ces dispositions « vont dans le bon sens, notamment parce qu'elles adressent un message à la population », souligne le Pr Bogdan Galusca, endocrinologue nutritionniste au centre de référence des TCA de l'hôpital de Saint-Etienne. Mais il faut maintenant voir comment elles seront appliquées et quel sera leur impact. »

    « Fière de mon corps »

    A travers ces mesures, le législateur se fait l'écho d'un vaste ras-le-bol contre les diktats de l'image. « Avec l'essor de la chirurgie esthétique, de la retouche photo et des réseaux sociaux, jamais l'apparence physique n'a été aussi importante. On survalorise les jeunes et les beaux – c'est-à-dire les minces, décrypte Jean-François Amadieu, sociologue, auteur en 2016 de La Société du paraître (Odile Jacob, 256 p., 22,90 €). Mais la vraie vie, ce n'est pas ça, et les gens le savent bien. C'est pourquoi on assiste depuis quelques années à un mouvement de l'opinion publique qui revendique une beauté plus naturelle. » Comme souvent, cette tendance a vu le jour aux Etats-Unis, avec notamment en 2013 une pétition contre la chaîne de vêtements Abercrombie & Fitch, qui voulait chasser les grandes tailles de ses rayons. Plusieurs artistes féminines se sont fait les porte-parole de ce body positivism, qui consiste à s'accepter et à se montrer tel qu'on est. Comme la chanteuse Alicia Keys, qui ne porte plus de maquillage depuis 2016, ou Lady Gaga, qui a déclaré, en réaction à des critiques sur son poids au lendemain du dernier Super Bowl : « Je suis fière de mon corps. » Le 15 septembre, le top model américain Emily Ratajkowski a, de son côté, dénoncé sur Instagram les retouches de sa photo, en couverture de Madame Figaro : « Chacun est unique et beau à sa manière. Nous avons tous nos complexes à cause des choses qui nous éloignent d'un idéal de beauté typique (...) J'ai été extrêmement déçue de voir que mes lèvres et mes seins avaient été retouchés via Photoshop sur cette couverture », a-t-elle tenu à préciser. Autre mouvement, le going grey (« devenir gris »), que Sophie Fontanel représente de ce côté-ci de l'Atlantique. Il y a deux ans, la journaliste a dit stop au jeunisme et arrêté les colorations afin de laisser apparaître ses cheveux blancs. Une nouvelle « naissance », qu'elle a racontée dans son roman Une apparition (Robert Laffont, 252 p., 19 €.), paru fin août, et partagée jour après jour sur son compte Instagram suivi par près de 133 000 personnes.

    La comédienne australienne Celeste Barber (à dr.) détourne des photos de stars (ici, le mannequin Alexis Ren). Parodique et militant à la fois. (Captures Instagram)

    Les marques s'y mettent aussi

    Cette revendication d'authenticité est une lame de fond. La preuve, même l'industrie de la mode et de la beauté s'y met. Dès 2004, la marque de savon Dove s'est fait connaître grâce à ses publicités mettant en scène des femmes de tous les types : brunes, blondes, rondes, minces, jeunes, âgées, etc. Plus récemment, les géants du luxe LVMH (propriétaire du Parisien Week-End et de Dior, Kenzo, Guerlain...) et Kering (Gucci, Saint Laurent, Balenciaga...) ont lancé, début septembre, une charte bannissant notamment les mannequins trop maigres et trop jeunes des podiums. Quant à la banque d'images américaine Getty, elle s'est inspirée du « décret Photoshop » pour interdire, depuis le 1er octobre, toutes les photos dont les silhouettes auraient été retouchées. « Il y a un changement de perception dans la société, qui demande une représentation plus proche de la réalité, commente Anne Boussarie, directrice générale de Getty Images France. C'est le cas notamment des "millennials" (la génération née entre le début des années 1980 et 2000, NDLR), qui refusent la beauté parfaite. » Pas folles, les marques surfent sur cette vague pour séduire ce segment de consommateurs. Selon Jean-François Amadieu, « il ne faut pas tomber dans la naïveté. Les annonceurs captent cette tendance à la marge mais il suffit de feuilleter les magazines pour voir que le modèle dominant reste la minceur et la jeunesse. » La quête d'authenticité a effectivement ses limites, comme le montre la controverse autour de la dernière campagne d'Adidas pour une histoire de... poils. Fin septembre, l'équipementier sportif a mis à l'honneur le mannequin suédois Arvida Byström, posant avec les jambes non épilées. La campagne a fait scandale sur les réseaux sociaux, suscitant des commentaires allant de « va te raser » à « j'ai envie de vomir »...

    Marie Gillain, égérie naturelle

    Pour élever un peu le débat, nous avons demandé à des jeunes femmes bien réelles ce qu'elles pensaient de l'épilation, des stéréotypes de la minceur ou de la chirurgie esthétique. Et quand il s'est agi d'identifier quelle personnalité pourrait être notre égérie pour cette couverture, notre choix s'est tout de suite porté sur Marie Gillain. Simple, disponible, naturelle, la comédienne s'est prêtée au jeu d'une séance photo et d'une interview sans fard.