Confisqués pendant la Révolution, ces tableaux ont beaucoup voyagé

Le musée des Beaux-Arts de Rennes accueille une exposition retraçant l'épopée de tableaux, saisis dans les églises pendant la Révolution et dispersés au Québec.

Rennes (Ille-et-Vilaine). Guillaume Kazerouni présente une sélection d’œuvres sauvées par un prêtre réfractaire parti
Rennes (Ille-et-Vilaine). Guillaume Kazerouni présente une sélection d’œuvres sauvées par un prêtre réfractaire parti LP/SOLENNE DUROX

    «Il a fallu plusieurs années pour tous les retrouver. C'était une vraie chasse aux trésors. » Guillaume Kazerouni, responsable des collections d'art ancien au musée des Beaux-Arts de Rennes (Ille-et-Vilaine), a les yeux qui brillent en racontant le feuilleton épique de ces oeuvres des XVIIe et XVIIIe siècles qui n'ont plus été vues en Europe depuis deux cents ans. Et c'est à son initiative que l'on doit cette exposition exceptionnelle sur « le Fabuleux Destin des tableaux des abbés Desjardins ».

    L'histoire commence en France à la Révolution, avec la nationalisation des biens du clergé. Des dizaines de milliers d'oeuvres d'art confisquées sont extraites des églises condamnées à fermer. Une partie de cet immense patrimoine atterrit dans les musées fraîchement créés par la République. Le reste est dispersé et cédé au plus offrant lors de ventes sauvages. Exilé au Québec avec son frère depuis 1792, l'abbé Philippe Desjardins revient en France sous Napoléon. « Le prêtre réfractaire découvre alors un champ de ruines et toutes ces oeuvres vendues pour une bouchée de pain », souligne Guillaume Kazerouni. L'ecclésiastique décide alors d'acheter des tableaux pour les expédier au Québec, où les communautés religieuses en pleine expansion manquent cruellement d'oeuvres de qualité pour décorer leurs églises.

    Londres, New York puis Québec

    Au total, 180 peintures effectuent le grand voyage à partir de 1816, dans des conditions rocambolesques. Comment transporter des oeuvres de 2 à 7 m de hauteur ? Pragmatique, l'abbé Desjardins défait les tableaux des châssis, les roule les uns sur les autres, jusqu'à quarante à la fois. Le tout voyage sur des chariots de Paris à Brest, prend le bateau jusqu'à Londres, puis New York. Arrive l'hiver, et les peintures rejoignent Québec en luge par des températures de - 10 °C à - 20 °C ! Ayant souffert du transport, elles doivent être remises en état. Problème : le pays ne compte aucun grand peintre ou restaurateur à l'époque. Ce sont donc des artistes amateurs qui s'y collent...

    Les oeuvres se vendent comme des petits pains, si bien que les restaurateurs se mettent aussi à les copier. C'est ainsi que naissent la première école de peinture et, de fait, les premières collections d'oeuvres d'art au Québec. Avant d'être vendues aux paroisses, les toiles du fonds Desjardins sont parfois transformées pour s'adapter à leur nouvelle affectation. C'est le cas de « l'Apparition de la Vierge » et de « l'Enfant Jésus à saint Antoine », de l'artiste Simon Vouet, l'un des trois peintres français les plus importants au XVIIe siècle. Acquise par l'église Saint-Roch, à Québec, l'oeuvre est agrandie sur les côtés. En quelques coups de pinceaux, « saint Antoine est ensuite changé en saint Roch, grâce à l'ajout d'un chien et d'une gourde de pèlerin », raconte malicieusement Guillaume Kazerouni. Ce n'est que récemment que le tableau a de nouveau pu être attribué à Simon Vouet, grâce à une dérestauration laissant apparaître l'oeuvre originale.

    Cette dernière fait partie d'une sélection d'une quarantaine de peintures exposées à Rennes. Sur les 180 tableaux du fonds Desjardins, 80 n'ont toujours pas été retrouvés. Tabernacle !

    « Le Fabuleux Destin des tableaux des abbés Desjardins », exposition jusqu'au 28 janvier 2018 au musée des Beaux-Arts de Rennes. Entrée : 6 €, tarif réduit 4 €, gratuit le premier dimanche du mois. Ouvert tous les jours, sauf lundi, de 10 heures à 17 heures, 10 heures à 18 heures les samedis et dimanches. www.mba.rennes.fr, 02.23.62.17.45.